Horlogerie
Réputés sérieux, voire hyperrigoureux, mais assurément moins versés dans la communication que leurs voisins italiens, français, néerlandais ou scandinaves, les Allemands peuvent s’enorgueillir d’avoir posé, il y a près d’un siècle, les fondamentaux du design moderne. Et d’avoir su, discrètement donc, se renouveler sans jamais perdre leur ADN. Un dossier intéressant à plus d’un titre…
Sans le Bauhaus, le travail des Eames, d’Alvar Aalto, de Jean Prouvé et d’Achille Castiglioni, hier, mais aussi celui de designers contemporains comme Jasper Morrison, Naoto Fukasawa, Ronan et Erwan Bouroullec, Jonathan Olivares ou Konstantin Grcic, aujourd’hui, aurait sans doute été plus balbutiant d’un point de vue technique, stylistique et théorique. L’onde de choc de cette école mythique, contrainte à la fermeture par les nazis, continue de se propager, et c’est un formidable message d’espoir que de constater que les valeurs démocratiques et les prises de risques esthétiques sont des phénix. Que ce soit pour des raisons politiques donc, mais aussi tout simplement en raison de son excellence et de sa fonctionnalité avérée, le design allemand n’a jamais cessé de voyager et d’influencer les objets qui nous entourent. L’argument vaut autant pour le style international (comprendre la quasi-totalité du catalogue de Knoll International, par exemple), qui a vu le jour aux Etats-Unis puisque la plupart des membres influents du Bauhaus (Walter Gropius, Marcel Breuer, Ludwig Mies Van der Rohe, Laszlo Moholy-Nagy) y avaient émigré et y enseignaient, que pour les produits Apple (surtout l’iPod et l’iPhone). Jonathan Ive, directeur du design d’Apple, n’a d’ailleurs jamais caché l’admiration absolue qu’il voue au designer allemand Dieter Rams et à son travail chez Braun.
Business first
On ne sait pas s’il faut y voir un héritage de la « cuisine de Francfort » de Margarete Schütte-Lihotzky (conçue en 1926 pour les habitations modestes et destinée à rendre fonctionnel un espace minimal de 6,5 m2, elle fut la première « cuisine intégrée » produite à échelle industrielle – 10 000 exemplaires entre 1926 et 1930) couplée à la réputation de qualité et de précision des produits made in Germany, mais toujours est-il que les marques spécialisées dans les équipements de cuisine premium (Poggenpohl, Gaggenau) ou de salle de bains (Axor-Hansgrohe, Dornbracht) sont des leaders mondiaux sur ce segment de marché. Et si le Salon du meuble de Milan reste la grand-messe de la profession, IMM et Orgatec (mobilier de bureau), à Cologne, et Ambiente, à Francfort, sont des manifestations à l’occasion desquelles les meubles s’exposent. Et se vendent. Il n’en reste pas moins que l’héritage du Bauhaus, toujours influent et respecté, continue de pousser la nouvelle génération de designers à cultiver l’expérimentation et à faire le choix d’une production principalement industrielle et/ou d’un artisanat de haute qualité, comme le pratique l’éditeur, par exemple. A quelques exceptions près – mais elles sont rarissimes –, ce dernier point distingue radicalement les designers allemands de certains de leurs pairs anglais ou néerlandais. Point ou très peu de pièces uniques vendues à prix stratosphériques donc : le design allemand contemporain reste avant tout synonyme de design industriel de qualité, seul réel vecteur de démocratisation de la discipline. Les fondateurs du Bauhaus en seraient fiers.
Le Bauhaus (1919-1933)
Né en 1919 de la fusion de l’école des arts appliqués et de l’école des beaux-arts de Weimar, sous l’impulsion de l’architecte Walter Gropius, le Bauhaus fut l’école moderniste la plus influente du XXe siècle. En prenant le relai des mouvements Arts and Crafts (1810-1960), en Angleterre, Art nouveau, en France, et de l’avant-garde russe, le Bauhaus entendait faire disparaître les frontières entre les beaux‑arts (peinture et sculpture) et les arts appliqués (architecture, design, graphisme et textile). Les peintres Wassily Kandinsky, Paul Klee et Josef Albers furent parmi les premiers professeurs à y avoir enseigné. L’idée phare de Walter Gropius était d’insister sur l’importance de la pratique artisanale dans le processus de création et de sortir le design du domaine des arts décoratifs. En 1925, le Bauhaus trouve refuge à Dessau, et Hannes Meyer, qui en prit la direction en 1928, milita pour une radicalisation de l’orientation fonctionnelle et industrielle
du design. En 1930, le climat politique délétère contraignit Hannes Meyer à démissionner – il fut remplacé par Ludwig Mies Van der Rohe – et l’école emménagea à Berlin, où elle ferma définitivement ses portes en 1933.