The Good Business
Entre l’engagement de nombreux pays à sortir du nucléaire après la catastrophe de Fukushima et l’arrivée en fin de vie d’installations nucléaires, le démantèlement est une problématique d’actualité. Les perspectives de croissance laissent les industriels songeurs, mais la réalité les rappelle à l’ordre et soulève de nombreuses incertitudes concernant la filière nucléaire dans son ensemble.
Il s’agit du projet Cigéo, mais, là aussi, la situation semble ubuesque. Alors que les acteurs du secteur se disputent sur les modalités financières de la réalisation, les opposants s’attaquent à l’essence même d’une telle solution, jugée immorale et antidémocratique. « La difficulté, avec la radioactivité, c’est qu’on ne sait pas la confiner, déplore Roland Desbordes. Personne n’a encore réussi à trouver l’obsidienne, cette pierre mythologique indestructible. On a beaucoup misé un temps sur la vitrification, puis on s’est rendu compte que ça se dégradait au bout de trente ans seulement. Aujourd’hui, on sait faire du béton qui dure quelques centaines d’années. Mais mille ou dix mille ans, non ! Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de dire qu’on n’a pas la solution. »
Pourtant, la législation, comme la loi du 28 juin 2006 ou la loi transition énergétique 2015, impose des obligations spécifiques aux exploitants nucléaires. Ils sont contraints d’anticiper la complexité des opérations de démantèlement et la mise en place de solutions de gestion des déchets radioactifs. Il en va également de leur responsabilité de provisionner les sommes nécessaires au financement de ces charges futures et d’œuvrer à plus de transparence. C’est dans ce contexte également que la France a opté pour la stratégie d’un démantèlement immédiat. Gilles Giron, directeur adjoint au sein de la direction projets Déconstruction et Déchets d’EDF, égrène les arguments officiels : « Dès 2001, EDF a souhaité passer à une stratégie de démantèlement immédiat qui présente deux avantages majeurs. Le premier est qu’il ne laisse pas de charge aux générations futures, et le second est qu’il permet de profiter de l’expérience des personnes qui ont exploité la centrale et qui la connaissent bien puisqu’elles sont toujours présentes. » On comprend l’enjeu de la transmission des savoirs et de la formation des employés pour le démantèlement. Mais l’exercice de communication est périlleux, surtout lorsqu’il ne manque pas d’exemples contradictoires. En effet, le recours à la sous-traitance, par définition volatile, est particulièrement massif sur les opérations de maintenance et de démantèlement. L’industrie évoque des partenaires industriels spécialisés, mais le travail à l’économie est aussi l’une de ses stratégies. La réduction de ces niveaux de sous-traitance est d’ailleurs régulièrement demandée par l’ASN pour des raisons de sûreté qu’on comprend sans mal.
Un coût inchiffrable
Malgré toutes les allégations de l’industrie, le retour d’expérience du démantèlement est pour le moment trop faible et les incertitudes quant aux charges futures sont immenses. Et cela se répercute sur les coûts. En effet, la faisabilité technique doit être appuyée par une faisabilité financière ; or, les différents chantiers montrent plutôt une tendance générale à la sous-évaluation des devis. Celui du démantèlement d’UP2‑400, arrêté en 2003, est passé de 1,327 milliard d’euros à 1,955 milliard entre 2006 et 2013 pour Areva. Le démantèlement de la centrale de Brennilis (arrêtée en 1985), qui devait être la vitrine du savoir-faire d’EDF, est toujours en cours, et son coût, qui avait été évalué à 19,4 millions d’euros (en monnaie de l’époque), a été réévalué à 482 millions aujourd’hui. La question du coût du démantèlement reste la grande inconnue. « Il est inchiffrable aujourd’hui tant qu’on n’a pas réalisé un démantèlement complet », estime Roland Desbordes. EDF et Areva affirment avoir les provisions nécessaires, et le CEA se débrouille comme il peut avec les 740 millions d’euros annuels dévolus à cette charge par l’État. « Ces financements sont importants mais limités, souligne Laurence Piketty. On ne peut pas alterner des pics de dépense sur des années avec des dépenses moindres sur d’autres. Cela nous oblige à lisser nos programmes et cela peut aussi être un frein à leur avancement. » Mais peut-on laisser aux seuls exploitants la responsabilité d’évaluer les charges du démantèlement ? Montants dont la comparaison internationale montre de surcroît qu’ils sont particulièrement bas. « Ce qui est en train de tuer le nucléaire, c’est le coût, affirme Roland Desbordes. Le coût de la construction et ceux de la maintenance, de la gestion, de la surveillance et du démantèlement. Toutes les factures explosent et on est rentré dans le mur. » Coûts exceptionnels et risques exceptionnels pour une filière exceptionnelle.
https://thegoodlife.fr/2016/05/04/le-nucleaire-propre-nouveau-graal-de-la-silicon-valley/