The Good Business
Entre l’engagement de nombreux pays à sortir du nucléaire après la catastrophe de Fukushima et l’arrivée en fin de vie d’installations nucléaires, le démantèlement est une problématique d’actualité. Les perspectives de croissance laissent les industriels songeurs, mais la réalité les rappelle à l’ordre et soulève de nombreuses incertitudes concernant la filière nucléaire dans son ensemble.
Origines du nucléaire français
En France, le choix historique du nucléaire est d’abord politique, et sa vocation première est militaire. Le CEA est créé à l’initiative du général de Gaulle en 1945 et a pour mission de mener des « recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans les divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale ». La technologie de l’atome à des fins civiles est développée en parallèle. Dès 1952, le programme d’électronucléaire se développe sur le territoire. Une vague de centrales dites de première génération, utilisant la technologie de l’uranium naturel-graphite-gaz (UNGG), eau légère ou eau lourde voit le jour. Dans les années 60, le premier réacteur à eau pressurisée (REP) est construit dans la caverne de Chooz. C’est cette dernière filière qui est retenue. En réponse au choc pétrolier de 1973, un vaste programme de construction de centrales nucléaires de deuxième génération est mis en œuvre, inaugurant, dans la foulée, indépendance énergétique et ère atomique. Le pays se met en branle, les politiciens de tout bord applaudissent et les industriels se frottent les mains. En une dizaine d’années, les 58 réacteurs qui constituent l’actuel parc nucléaire français voient miraculeusement le jour. Avec une durée de vie moyenne estimée entre trente et quarante ans, la question du démantèlement devient tangible à la fin des années 90. Avant cela, l’industrie se fait la main sur des sites de recherche et des petits réacteurs, mais l’expérience ne reflète pas l’ampleur de la tâche. Pourtant, forte de ce premier acquis, l’industrie s’emballe, y voit l’occasion supplémentaire de démontrer avec éclat la toute-puissance de sa maîtrise et l’illusion du « retour à l’herbe » fait acte de foi. « Au départ, le démantèlement était annoncé comme quelque chose de très facile, témoigne Roland Desbordes. Ce qu’on a su faire, on saura le défaire. On a même inventé le terme “déconstruire” à l’occasion. C’est intéressant de revenir à l’historique. De voir ce qu’on nous a dit et de voir où on en est aujourd’hui. »
Des déchets dont on ne sait que faire
Aujourd’hui ? Les chantiers s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Quant à la maîtrise des exploitants, elle se démarque davantage par son inégalité que par sa constance. Chacun est aux prises avec des difficultés techniques et des aléas imprévus qui creusent toujours plus le fossé entre le discours et la réalité. Le CEA s’est retrouvé confronté à un problème de sols contaminés entachant le succès du démantèlement du site de Grenoble. Sur le site de Brennilis, EDF a buté sur des problèmes de démolition (dureté du béton), de gestion de la radioactivité (présence de plutonium), etc. Sur le site de Creys-Malville, la gestion risquée du sodium dans le démantèlement du surgénérateur Superphénix donne du fil à retordre à EDF et des sueurs froides aux techniciens. Les exemples de la réalité laborieuse du démantèlement sont légion. En plus des difficultés techniques et des chantiers périlleux, les exploitants se heurtent au problème inéluctable des déchets sans exutoires. EDF ne sait que faire des déchets graphite issus de ses réacteurs de première génération et botte en touche en demandant le report du démantèlement. Les déchets « historiques » datant de l’époque bénie où on ne se souciait guère de ce qu’ils allaient devenir sont simplement entreposés à La Hague dans des conditions de sûreté douteuses. Quant aux déchets de haute activité, l’Andra étudie depuis plus d’une vingtaine d’années la faisabilité d’un stockage à 500 mètres de profondeur à Bure.