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David Rockwell, l’architecte chorégraphe
kate

The Good Business

David Rockwell, l’architecte chorégraphe

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En trente-cinq ans, il a signé des dizaines de restaurants et d’hôtels cultes, mais aussi des décors de spectacles, ainsi que des espaces publics emblématiques de la ville. David Rockwell, dont l’agence de 250 personnes est installée au-dessus du marché de producteurs d’Union Square, est assurément l’architecte du quotidien des New-Yorkais.

Depuis 1984, date du début de son activité dans la ville qui ne dort ­jamais, David Rockwell est sans doute l’architecte qui a le plus contribué à accompagner, jour après jour, à travers ses projets, le mode de vie des New-Yorkais. Il a grandi dans le New Jersey, puis à Guadalajara (Mexique) auprès d’une mère actrice et danseuse de vaudeville. D’où sa passion pour tout ce qui touche à la scène – il a d’ailleurs créé à ce jour plus de 60 décors de théâtre et de comédies musicales. Il est convaincu que le scénario joue un rôle clé dans tout projet, qu’il s’agisse de spectacle, d’architecture ou de design, à l’image des pièces qu’il a dessinées pour l’éditeur chinois Stellar Works, l’américain Knoll ou, cette année, pour le français Roche Bobois, avec la collection très réussie de lits de piscine Sunset.

L’architecte David Rockwell.
L’architecte David Rockwell. Jonathan Levine

A New York, son lieu de résidence depuis 1979, les touristes comme les commuters lui doivent, souvent sans le savoir, leur premier contact avec la ville puisqu’il a réaménagé le terminal de la gare Grand Central et le terminal JetBlue de l’aéroport JFK. « Vingt millions de passagers transitent par ce terminal chaque année. Or les aéroports sont rarement des lieux intuitifs en matière de déplacements. Nous avons donc travaillé avec un danseur chorégraphe afin d’être en mesure de réellement “chorégraphier” l’espace et lui insuffler des rythmes différents : rapide, lent, repos. » L’approche narrative et pluridisciplinaire de cet architecte prolixe et pourtant discret est particulièrement lisible dans les nombreux restaurants qu’il a aménagés. Les chiffres sont éloquents. « De 1984 à 1994, soit durant les dix premières années d’existence de l’agence, 80 % de nos réalisations ont été des restaurants, et 85 % d’entre eux étaient à New York », se souvient-il.

La galaxie Nobu

On ne peut ignorer les landmarks signés David Rockwell. A commencer par le tout premier Nobu, qui a donné naissance à une longue et fructueuse collaboration. Le restaurant s’est installé à quelques blocs de Tribeca, au cœur du Financial District. Là, dans un imposant bâtiment classé, ancien siège d’AT&T, David Rockwell n’a pas hésité à accrocher au plafond une sculpture en écorce de bois brut façon calligraphie japonaise XXL.

On retrouve sa patte sur plusieurs établissements de la galaxie Nobu, à New York (Nobu 57) comme à l’international (Hong Kong, Las Vegas, Doha, Melbourne et Dubaï). Sans oublier les Nobu Hotels de Las Vegas, Miami, Manille, Riyad et Barcelone (en construction). C’est à lui encore qu’on doit le décor du nouveau Union Square Café, une institution new-yorkaise, relocalisée elle aussi, où il a ses habitudes, et même sa table. Parmi les restaurants livrés au cours de l’année écoulée, il faut citer Wayan, sur Spring Street, à Soho ou encore Feroce, la table italienne du nouveau Moxy (une chaîne du groupe Marriott ­International).

Le caffè Feroce, du nouveau Moxy, propose cornetti, espressi, capuccini, torte della nonna… dans la tradition italienne la plus pure.
Le caffè Feroce, du nouveau Moxy, propose cornetti, espressi, capuccini, torte della nonna… dans la tradition italienne la plus pure. Michael Kleinberg

L’art de la reconstruction

La porosité entre espace privé et espace public intéresse David Rockwell au plus haut point. Il l’a abordée avec brio pour NeueHouse, cet espace de coworking fonctionnant sur le modèle d’un members club qui reste, aujourd’hui encore, « la » référence dès lors qu’on parle de lieu de travail partagé. NeueHouse souligne l’importance que David Rockwell accorde à la notion d’interaction et de collaboration. « J’aime beaucoup le travail collaboratif. C’est une attitude qui me vient du théâtre. Dans Tootsie [la comédie musicale de Broadway dont il a créé les décors, NDLR] par exemple, faire bouger l’appartement sur scène implique que plusieurs techniciens agissent de concert et en simultané. »

David Rockwell chorégraphie l’espace dans une approche narrative des lieux, à l’image de la sculpture « calligraphique » du Nobu Downtown.
David Rockwell chorégraphie l’espace dans une approche narrative des lieux, à l’image de la sculpture « calligraphique » du Nobu Downtown. ERIC LAIGNEL

Scène, mobilité, collaboration : trois mots qui lui sont chers et qui qualifient d’ailleurs parfaitement l’ambitieux projet The Shed, inauguré au printemps. Conçue et réalisée en partenariat avec l’agence Diller Scofidio + Renfro, cette salle de spectacle extensible grâce à un système coulissant sur roues inédit est la réussite incontestable du nouveau quartier Hudson Yards. Pourtant, à première vue, tout sépare Elizabeth Diller et David Rockwell, qui se sont rencontrés à la fin des années 90. La première ne jure que par l’expérimental le plus exigeant – ce qui n’est toutefois pas incompatible avec le succès populaire, comme le démontre la High Line que son agence a su imposer –, le second excelle dans les projets privés d’hôtels et de restaurants de luxe.

Le Cedric’s at the Shed, le bar-restaurant du nouveau centre culturel pluridisciplinaire dans Hudson Yards.
Le Cedric’s at the Shed, le bar-restaurant du nouveau centre culturel pluridisciplinaire dans Hudson Yards. DR

Défi architectural

« Après le ­11-Septembre, nous faisions tous deux partie d’un groupe d’architectes qui s’interrogeait sur ce qu’il conviendrait de reconstruire, avec beaucoup de spéculations puisque personne ne savait exactement ce qui s’était passé. Au même moment, on m’a sollicité pour apporter de l’aide à une école publique qui avait été évacuée à Tribeca. J’ai réalisé combien les architectes pouvaient être utiles en créant quelque chose d’optimiste, face à la destruction. De là est née l’idée de l’éphémère World Trade Center Viewing Platform, conçue avec Diller Scoffidio + Renfro afin de permettre un accès visuel au site de Ground Zero, alors interdit au public. »

L’escalier en bois du NeueHouse, un espace de coworking très sélect.
L’escalier en bois du NeueHouse, un espace de coworking très sélect. DR

En 2010, David Rockwell propose, sur le mode du pro bono, le projet Imagination Playground destiné à aménager de façon flexible les espaces de jeux pour enfants dans les lieux publics, et réunit lui-même le financement privé pour qu’il se concrétise. Pour The Shed, le contexte est radicalement différent, Hudson Yards est un projet immobilier ambitieux et unique, presque un quartier dans la ville. Le défi architectural comme la programmation du Shed, et la convivialité naturelle du ­café-restaurant Cedric’s at the Shed, forcent le respect. « L’hôtel Equinox [un projet du Rockwell Group au sein de Hudson Yards, NDLR] m’intéresse de la même façon que Nobu il y a vingt-six ans, quand nous avons imaginé le premier restaurant. La notion du luxe était en train de changer. Je pense qu’Equinox opère la même révolution sur le marché de l’hôtellerie. » Et que signifie le luxe pour David Rockwell ? « Pouvoir jouer du piano, travailler avec des gens que j’aime, ne pas être dans l’urgence. Le luxe est de faire ce qu’on aime, de prendre des risques – ce qui est à la fois un luxe et une nécessité. » Un luxe qui sait rester simple…


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