Culture
Ils ont voulu faire de leur restaurant new-yorkais l’une des meilleures adresses mondiales. Trois macarons au Michelin plus tard, leur ascension éclair nourrit bien des fantasmes. Et ne s’annonce que comme une étape.
Ils n’avaient respectivement que 30 et 28 ans, en 2006, lorsqu’ils ont pris les rênes du restaurant Eleven Madison Park, à New York. Cinq ans plus tard, Daniel Humm et Will Guidara le rachetaient à son propriétaire, le célèbre Danny Meyer, et, en 2012, obtenaient 3 étoiles au guide Michelin. Parcours sans faute pour ce duo inséparable et ambitieux qui, dès le début, désirait classer son restaurant parmi les meilleurs du monde. Et, depuis 2013, Eleven Madison Park figure dans le top 5 du palmarès San Pellegrino World’s 50 Best Restaurants. L’an prochain, ils s’apprêtent à ouvrir un nouvel établissement dans le World Trade Center, 7000 m² en plein cœur de Manhattan qui suivra l’inauguration du NoMad – deuxième du nom après celui de New York (voir encadré) – dans le Downtown LA. Bref, ils ne s’arrêtent pas !
Un succès résultat d’un travail d’équipe. Le travail en salle, c’est la responsabilité de Will Guidara. Un peu prêcheur, un peu professeur, il interroge ses troupes, demande son avis à l’un ou à l’autre sur une nouvelle façon de poser les serviettes de table, parle du menu, des clients et d’autres sujets, cherchant à stimuler l’esprit critique de ses ouailles. « Un an avant de rencontrer Daniel, j’en avais vraiment assez de la gastronomie. Je n’avais pas envie de me battre avec un chef avec qui je suis censé collaborer, qui pense que la cuisine est ce qu’il y a de plus important, ni de tenter de le convaincre que l’accueil et le service le sont tout autant. Dès le premier jour, Daniel m’a fait confiance et m’a soutenu, ce qui est vraiment inhabituel dans le monde de la restauration. »
A l’assaut des sommets
« Make it nice » est la devise de Daniel Humm et Will Guidara et Made Nice, le nom de leur compagnie. C’est avec Made Nice qu’Andrew Zobler, fondateur du groupe Sydell et poids lourd de l’hôtellerie lifestyle, s’est associé pour l’ouverture, en 2012, du NoMad. Dans une zone négligée de Midtown, cet hôtel a lancé le renouveau du quartier. Avec un service de restauration signé par l’équipe d’Eleven Madison Park. Le restaurant et le NoMad Bar, dans lequel sévit une star de la scène cocktail, Leo Robitschek, formé auprès du chef à l’Eleven Madison Park, sont devenus parmi les must de Manhattan. L’expansion ne s’arrête pas là pour Made Nice, qui a annoncé, en juin, la création d’un restaurant au sommet de 425 Park Avenue, une tour en construction signée par le Britannique Norman Foster. Un projet qualifié par les deux comparses de « Four Seasons du xxie siècle sous stéroïdes » !
Daniel Humm a quitté la Suisse pour les Etats-Unis en 2003, après un apprentissage précoce et classique et une première étoile décrochée dans son pays à 26 ans. C’est après un bref mais acclamé passage au Campton Place de San Francisco qu’il a rejoint l’Eleven Madison Park. Dans sa vaste cuisine, il dirige une grande équipe avec autant de calme que de rigueur. Tout est cadré et réglé au millimètre ; les assiettes sont dressées et enlevées dans une chorégraphie parfaitement maîtrisée.
Une histoire gastronomique
Ils ne sont que six à New York à avoir décroché trois étoiles. La cuisine de Daniel Humm est un hommage à cette ville devenue sienne, une revue de ses traditions culinaires. « Partout où je vais, je tente de goûter ce qui est spécifique au lieu et que je ne peux trouver que là. En arrivant à New York, c’est ce que je cherchais. Et, en y regardant de plus près, on trouve des choses particulières, façonnées par trois cents ans d’histoire et d’immigration. Cette histoire n’avait pas été racontée dans le cadre d’un restaurant gastronomique. »
Ainsi peut-on déguster chez Eleven Madison Park une délicate salade froide de brochet surmontée de fines tranches de radis, un œuf Bénédicte enchâssé dans une boîte de caviar, un étonnant tartare végétal haché minute à la table ou un fromage frais fermier servi avec ses condiments façon « sundae ». Autant de clins d’œil « haute couture » aux delicatessen, aux brunchs des grands hôtels, aux bistros et autres « soda fountains » de New York.
Cette partie ludique du repas, parfois décriée pour son côté parc d’attractions, a, avec le temps, tendance à s’estomper au profit de préparations moins gadgets, voire empreintes d’une certaine austérité. « Notre cuisine a changé ces dernières années. Le mot d’ordre, aujourd’hui, est “less is more”, explique Daniel Humm. Nous avons enlevé de l’assiette tout ce que nous pouvions, jusqu’à ce qu’il n’y reste plus que deux éléments. Avec ces deux choses, vous devez produire un plat magnifique, créatif, surprenant et délicieux. » Comme une simple asperge cuite en vessie, servie avec une pointe de pomme de terre à la truffe, ou ce grand classique de la maison, le canard rôti au miel et à la lavande, dépouillé au fil des années de ses fioritures.
« Aujourd’hui, notre cuisine est plus compliquée que jamais, mais elle a pourtant l’air plus simple que jamais, renchérit Will Guidara. Ceux qui l’aimaient, l’aiment encore plus. Mais certains, bien sûr, disent : “Tout ça pour ça !” Voilà ce à quoi nous sommes confrontés dans notre évolution. Plus vous vous concentrez sur votre idée, plus vous rendez certains heureux… » et d’autres, un peu moins. C’est le jeu.
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