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S’il est une chose que l’année passée nous a rappelé, c’est que le voyage n’est pas une évidence. Alors que l’échappée (physique comme psychique) semble avoir été bridée par la pandémie, le projet “CULTURE GATE to JAPAN”, lancé au début du mois par l’Agence pour les Affaires Culturelles japonaise, tombe à pic : il s’agit de découvrir, par le biais de l’art contemporain, les spécificités culturelles des régions de l’archipel nippon. En résumé, il s’agit de voyager autrement. En voilà une belle idée !
Pour l’occasion, des artistes et des créateurs japonais réinterprètent certains pans du patrimoine japonais. Ils sont plus particulièrement conviés à sélectionner un aspect des ressources culturelles de la région dans laquelle ils sont invités. Les sept aéroports et un terminal de croisière japonais partenaires de l’opération servent ensuite de lieu d’exposition pour les œuvres. Ce projet permet ainsi aux voyageurs de découvrir les traditions locales, tout en étant transportés dans l’univers des artistes.
Le nom du projet, “CULTURE GATE to JAPAN”, découle du souhait d’un portail d’éveil à la culture japonaise sous tous ses angles. Des vidéos et interviews des artistes ainsi que des articles sur les régions concernées permettent de prolonger l’expérience des expositions. C’est aussi l’occasion de les découvrir depuis chez soi sur le très organisé site internet.
Fukuoka et sa mosaïque de motifs
Le premier aéroport à accueillir des œuvres est celui de Fukuoka, sur l’ile Kyūshū au sud-ouest de l’archipel nippon.
D’un point de vue géographique, le Kyushu est une région adjacente à la Chine et à la Corée. Grâce à cette proximité l’île a depuis toujours bénéficié de riches échanges commerciaux et culturels avec ses voisins. Nourris par ces influences, la région de Kyushu a développé des traditions artisanales toutes particulières. MIZUE Mirai et MURAYAMA Macoto sont les deux artistes exposés à l’aéroport de Fukuoka. Ils ont puisé leur inspiration de leurs rencontres avec les artisans locaux et de la découverte des productions artisanales. Ils ont ensuite fait naître de nouvelles œuvres sur un thème commun : PATTERN*. Divers objets artisanaux de Kyushu sont exposés aux cotés de ces créations artistiques.
*motif en français
L’éveil de l’artisanat traditionnel
Depuis le 10 février, nous pouvons ainsi admirer Mandala-Q, l’œuvre de MIZUE Mirai. A l’origine, l’animateur s’est inspiré de quatre grands éléments de la culture locale : les tissus hakata-ori de Fukuoka aux mille motifs, les cerf-volants baramon de Nagasaki aux visages de démons hauts en couleurs, les délicates lanternes Yamaga en papier de Kumamoto, et le ciselé travail du verre taillé Satsuma kiriko de Kagoshima.
MIZUE Mirai
Né en 1981 dans la préfecture de Fukuoka. Ses animations abstraites aux couleurs enfantines et aux motifs géométriques rappelant parfois l’univers cellulaire ont fait le tour du monde. Il a été consacré dans les plus grands festivals d’animation, et notamment au festival d’Annecy en 2012.
Prenant vie sur un grand socle illustré, cinq animations colorées, fourmillantes de détails et d’êtres imaginaires psychédéliques, composent ce grand mandala kaléidoscopique. Une œuvre qui plaira assurément aux plus grands comme aux plus petits.
Le 27 février, un autre artiste, MURAYAMA Macoto, rejoint l’exposition. Issu de l’univers digital, il a décidé de se pencher sur la tradition potière d’Arita. Historiquement, l’art de la céramique a été introduit au Japon par des potiers coréens. C’est dans cette ville de la préfecture de Saga qu’elle apparaît pour la première fois, au début du 17e siècle. La poterie d’Arita (arita-yaki) se caractérise par des motifs délicats, souvent floraux, qui se détachent d’un fond blanc.
MURAYAMA Macoto
Né en 1984 à Kanagawa, cet artiste digital utilise son sens de l’observation aiguisé pour créer des illustrations botaniques ultra-détaillées en 3D. Ses œuvres, au trait délicat et chirurgical, se situent entre l’esthétique des planches analytiques de coupes biologiques et celle des plans architecturaux.
Pour CULTURE GATE to JAPAN, MURAYAMA a collaboré avec un potier local, Fukusen-gama. Partant du motif du chrysanthème, souvent utilisé dans les Arita-yaki, il a créé une illustration botanique ultra-détaillée en recourant à la modélisation 3D. Le potier a ensuite peint à la main la création de Murayama sur la porcelaine. Résultat : une délicate œuvre à quatre mains intitulée Arita ware × Inorganic flora “Chrysanthemum”. Cette collaboration montre, si c’était encore à prouver, que savoir-faire traditionnel et création contemporaine font bon ménage.
Naha, temple de la mémoire
Située tout au sud de l’archipel japonais, la région subtropicale d’Okinawa est connue pour ses magnifiques plages aux eaux turquoises, sa nature luxuriante et la longévité de ses habitants, qui en détiennent le record mondial (rien que ca !). C’est dans ce cadre que l’aéroport de Naha, à Okinawa, a choisi pour thème d’exposition : MEMORY*.
*la mémoire en français
Un des piliers de la culture d’Okinawa était incarné par le château de Shurijo, fief du royaume Ryukyu. Ce dernier a prospéré 450 années durant, du 15e au 19e siècle. Le royaume archipélagique développe alors une culture unique, pleine de couleurs vives et de traditions teintées de différentes influences. Véritable plaque tournante, les échanges avec la Chine, le Japon, la Corée et l’Asie du Sud-Ouest nourrissent la culture Ryukyu. Les vestiges de ce royaume ont failli disparaitre lors d’un terrible incendie en 2019. Le château de Shurijo, véritable icône de l’histoire de Ryukyu classé depuis l’an 2000 au patrimoine mondial de l’UNESCO, a en grande partie été détruit à ce moment là.
C’est de ce grandiose royaume que ce sont inspirés nuQ et HIGA Satoru. Les deux artistes exposent depuis le 13 février à l’aéroport de Naha.
Une fenêtre sur le passé
HIGA Satoru est un artiste visuel et un programmeur. Il avait pour ambition d’exprimer l’osmose du château avec la nature. En effet, ce spectaculaire lieu se situe au point de rencontre entre le bleu du ciel et de l’océan. Dans Portrait, Landscape, il relève le défi en dessinant l’énergie qui se dégage du célèbre monument.
HIGA Satoru
Né en 1983 dans la prefecture d’Okinawa, cet artiste visuel utilise ses talents de programmeur pour créer des oeuvres 3D interactives et/ou en temps reel. HIGA transpose également son art dans des performances live, des installations, du Vjing et expérimente dans le domaine de la réalité virtuelle.
Trois écrans, dans lequel HIGA a remodelisé en 3D le château de Shurijo, montrent l’attrait de l’artiste pour l’aspect presque mystique du lieu. Le passage du jour à la nuit, les marées montantes et descendantes, le défilement des étoiles semblent bercer ce château bordé par les eaux turquoises. Ces écrans fonctionnent comme des fenêtres ouvertes sur le royaume Ryukyu, transcendant le digital pour faire voyager les spectateurs hors du temps, au cœur du passé de ce bijou historique.
Hommage à la culture Ryukyu
L’illustratrice et animatrice nuQ a choisi de se concentrer sur le joyeux “melting pot” dont est issue la culture d’Okinawa. La grande fresque murale pop et généreuse intitulée Past and Present Chanpuru Hospitality regorge d’éléments faisant référence à l’histoire de Ryukyu, transposés dans le monde moderne de l’île.
nuQ
Le travail de l’illustratrice et animatrice nuQ, aux couleurs pop, à l’esthétique rétro et aux sympathiques personnages excentriques, est reconnaissable entre tous. Son univers dynamique se retrouve sur divers supports, tels que la publicité télévisée, les clips de musique ou encore l’illustration plus traditionnelle. Elle est la lauréate de plusieurs prix prestigieux tant en illustration qu’en animation.
Au centre de la fresque, trois écrans animés permettent de faire défiler des éléments-clé. Ils dévoilent tour à tour de sympathiques personnages du royaume portant des lunettes de soleil, des sirènes et des éléments foodies locaux. Cet ensemble fait écho à l’œuvre de HIGA Satoru exposée dans le même aéroport de Naha. L’œuvre pousse l’hommage jusque dans son titre : Past and Present Chanpuru Hospitality, chanpuru, clin d’œil à la culture locale. A Okinawa « chanpuru » désigne le mélange. C’est aussi un plat populaire du même nom. Devant le travail de nuQ, on a envie de partir, cheveux au vent, à la recherche des mille petites références à la culture passée et présente d’Okinawa qu’elle a glissé dans son œuvre. Une vraie invitation au voyage, on vous dit !
En attendant de pouvoir découvrir toutes ces merveilles qui resteront dans les aéroports de Fukuoka et de Naha jusqu’en septembre 2021, n’attendons plus pour voyager (autrement) !
> Plus d’informations sur le site de CULTURE GATE to JAPAN.