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Horlogerie

En 2023, ces chefs font le pari du zéro

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Ça bouge en cuisine ! Exit la viande, l'alcool ou encore les fruits rouges en hiver, ces trois chefs ancrés dans les préoccupations de l'époque proposent à leur table des alternatives.

Le futur de la gastronomie s’écrit au Grand Restaurant de Jean-François Piège.
Le futur de la gastronomie s’écrit au Grand Restaurant de Jean-François Piège. Bernhard Winkelman

Mais que se passe-t-il sous la toque des chefs ? Après des années de prouesses culinaires, d’expérimentations moléculaires et de bistronomie à partager, les chefs semblent opérer un virage stratégique. Est-ce un retour aux sources, l’ambition de coller à une société où l’on se doit être plus responsable, une nouvelle forme de créativité ou un recommencement ? Probablement un peu de tout cela à la fois, comme nous l’ont expliqué ces trois chefs qui passent au « zéro »…

Zéro viande et poisson chez Jean-François Piège

Le chef Jean-François Piège propose depuis janvier un menu « Tour de France des territoires zéro viande zéro poisson » à la table de son Grand Restaurant (deux étoiles). Le temps de 16 plats (!), légumes de saison et fromages de spécialité animent avec légèreté les assiettes qui s’enchaînent.

Jean-François Piège.
Jean-François Piège. Jo Malone London

« Je n’avais pas envie d’embrasser l’idée de faire un menu végétal, car tout le monde le fait ». Jean-François Piège a donc imaginé une partition excluant la viande et le poisson tout en s’autorisant d’autres protéines animales. « Le gâteau d’œufs n’aurait pas eu sa place dans ce genre de menu, plaide-t-il, l’équilibre, c’est la clé de la cuisine ».

Et d’expliquer que la cuisine est un exercice semblable à l’écriture : « il ne faut pas se répéter, ne pas réutiliser un mot ou un ingrédient deux fois ». Ainsi, le chef doublement étoilé a cherché de nouvelles harmonies afin de palier au mariage terre-mer qu’il s’interdit pour ce nouvel exercice.

Quand on lui demande si ce sont les nouvelles prises de conscience écologiques qui l’ont motivé à proposer une alternative sans viande ni poisson, Jean-François Piège nous renvoie dans nos lignes. « Le menu du Grand Restaurant s’appelle Le Tour de France. Tous les ingrédients utilisés proviennent de nos belles régions, depuis toujours. On n n’a pas attendu que l’urgence se pointe à notre porte pour consommer de façon responsable. »

La grenouille de Jean-François Piège n’en est pas une.
La grenouille de Jean-François Piège n’en est pas une. Bernard Winkelmann

Alors pourquoi pencher vers le végétarisme ? « Je souhaitais faire oublier les préjugés que nous pouvions avoir sur ces produits relayés bien trop souvent au rôle d’accompagnement ou qui sont synonymes de régime » précise le chef dans la préface de son livre Zérø viande, zérø poisson (éditions Hachette Cuisine, 2022).

Le verdict : L’absence de protéines allège la densité du menu. Les associations inédites de saveurs et les trompes-l’œil végétaux n’en oublient pas la gourmandise — quelques plats sont même agrémentés d’une truffe généreuse. Une belle expérience.

La réalité des choses : Il faudra tout de même faire preuve d’une curiosité féroce pour se priver de la cuisine carnée et iodée du chef deux étoiles. Peut-être pour un second rendez-vous ?

Zéro alcool chez David Toutain

Le chef David Toutain fêtera cette année les dix ans de son restaurant éponyme. Auréolé d’une seconde étoile en 2019, il confie désormais « se sentir bien » dans cette adresse qu’il fait évoluer en permanence. En début d’année, c’est un pairing mets-boissons sans alcool qu’il a introduit à sa carte.

David Toutain.
David Toutain. DR

« Cela fait un moment que je l’avais en tête, plus d’un an que j’ai fait mes premiers essais. » Comme s’il manquait encore un soupçon de maturité à sa réflexion, ce pairing zéro alcool n’éclot que fin 2022. En chef d’orchestre, David Toutain lance des idées, sa brigade et son chef sommelier Fabien Vullion rebondissent. Naît ainsi un accord composé d’autant de boissons que le menu comporte de plats, disponible midi et soir.

« Nous sommes au début de l’expérience. Je crée encore mes boissons en fonction de mes plats. Je pense que quand l’exercice sera rodé, j’expérimenterai à l’inverse », nous confie-t-il. À la façon d’un menu dans le menu — expression validée par le chef —, chacun des verres servis est élaboré à partir d’une technique propre. Kombucha, macération, lacto-fermentation, décoction, extraction… Rien ne se répète, pas même les ingrédients. Une difficulté supplémentaire qui s’ajoute aux goûts et aux couleurs des clients. « Que faire si quelqu’un n’aime pas la betterave que j’associe à la côte de cochon rôtie ? C’est une bonne question. »

Si l’idée initiale lui vient d’une envie d’innover, le chef avoue sans détour avoir aussi œuvré afin de satisfaire une clientèle d’abstèmes (qui s’abstient de boire de l’alcool pour raison de santé, de philosophie, de religion…). « C’est bien de leur proposer autre chose à boire que de l’eau, des jus ou des sodas ! » Cet accord mets-boisson est déjà un succès auprès de cette cible : « pour ne parler que de hier midi, trois tables avaient spécialement fait le déplacement. »

Le plat de choux de Bruxelles associé à un jus de kale.
Le plat de choux de Bruxelles associé à un jus de kale. Thaï Toutain

Le chef doublement étoilé n’en lâchera pas pour autant sa belle cave de vins et de champagnes. « Je suis extrêmement fier de notre parcours en sommellerie. Ces boissons zéro alcool ne sont pas là pour remplacer un bon vin mais pour proposer une alternative à ceux qui voudraient essayer autre chose ». Nous voilà rassurés.

Le verdict : La sensation de goûter à une double ration du génie de David Toutain.

La réalité des choses : « Certaines personnes viennent spécialement pour le pairing : ce sont souvent des gens qui ne boivent pas l’alcool. Peu de curieux s’y risquent, car ils considèrent que l’expérience d’un gastronomique s’accompagne de bons vins. Surtout les Français ! Quelques uns se laissent aussi tenter par une ou deux boissons en fin de menu pour ne pas recommander de verres alcoolisés. »

Zéro fruits exotiques par Jeanne Lecourt, cheffe pâtissière de Bellefeuille

Jeanne Lecourt vient de rejoindre les équipes du chef Julien Dumas au Bellefeuille, le restaurant de l’hôtel Saint-James. Auréolé d’une étoile en 2022, il lui fait confiance pour traduire en pâtisserie sa vision nature et responsable de la cuisine. La cheffe pâtissière y développe ainsi une approche excluant tout produit non cultivé sur le territoire français.

Jeanne Lecourt.
Jeanne Lecourt. Le Saint-James

Elle a fait ses armes au Ritz, sous la houlette de François Pairet, fut lauréate du concours Meilleur Apprenti de France en 2018 et trouva son mentor en Alain Ducasse, jusqu’à taper dans l’œil de Julien Dumas. A seulement 24 ans, Jeanne Lecourt a un CV bien rempli et de la suite dans les idées. « C’est inacceptable de voir, en 2023, à la carte de certains restaurants, des desserts à base d’ananas probablement cultivés en Afrique et acheminés par avion ! »

Sa pâtisserie est un écho naturel à la cuisine du chef Dumas, exclusivement saisonnière et éco-responsable. Ils partagent une même démarche privilégiant des assiettes dédiées à la nature. Jeanne Lecourt s’interdit donc les fruits exotiques, les purées de fruit, le mascarpone et tout autre ovoproduit. « Cela décuple les efforts mais aussi la satisfaction d’avoir maîtrisé un dessert de bout en bout. » Ses agrumes sont français, sa vanille signée Roellinger, le chocolat vient de la manufacture de Nicolas Berger.

jeanne lecourt saint james bellefeuille cheffe patissiere dessert au chocolat

En parallèle de son engagement zéro fruits exotiques, la cheffe développe une approche radicalement moderne. « La pâtisserie d’aujourd’hui c’est bien plus qu’une simple pâte avec des fraises que l’on pose dessus. C’est aussi des légumes, des recettes saines et pauvres en sucre. »

En ce moment, Jeanne Lecourt propose en dessert un mariage fenouil-pomme verte-graines de chia. « Les graines de chia proviennent d’Île de France et son bio. C’est une trouvaille du chef Dumas. Nous échangeons beaucoup. »

Le verdict : Un bonheur de finir un repas copieux par une note du même acabit, qui ne reste pas sur l’estomac.

La réalité des choses : « Une nouvelle vague de chefs s’éloignent de la vision traditionnelle de la pâtisserie. Je suis particulièrement admirative de Claire Heitzler qui est un modèle pour moi. Elle invente ses desserts à partir de moodboards. C’est inspirant ! »

F.L.G.


Le Grand Restaurant
7 Rue d’Aguesseau, 75008 Paris France
Menu zéro viande zéro poisson : 366 € (hors boisson)

Restaurant David Toutain
29 Rue Surcouf, 75007 Paris
Soft-pairing à partir de 80 € le midi

Bellefeuille à l’hôtel Saint-James
5 Pl. du Chancelier Adenauer, 75116 Paris
Menu 6 temps : 155 €
Menu 9 temps : 185 €

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