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Qu’est-ce qui, chez certains acteurs, impose le silence dès qu’ils apparaissent ? Ce n’est pas une question de voix ni de gestes, mais de présence. Ambassadeur de l’horloger Audemars Piguet, Niels Schneider fait partie de ceux qu’on admire avant de comprendre pourquoi.
L’acteur Niels Schneider est la cover star de notre numéro d’hiver 25-26. Pour fêter la fin d’année, nous vous offrons exceptionnellement son portrait, écrit par Anne Boulay et photographié par Ben Parks, publié dans The Good Life #69.
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Niels Schneider dans le dernier numéro de The Good Life
Il est arrivé avant l’heure prévue, a pris le temps de saluer tout le monde, s’est intéressé à ce qu’on attendait de lui. Puis, sous les sunlights du studio photo, il a pris la tondeuse, l’a passée lentement sur son crâne, dans un silence de cathédrale. Impossible, pour les témoins de cette scène, de ne pas penser à De Niro dans Taxi Driver. Pas lui. Il ne rejouait rien. « Ça faisait trois films de suite qu’on me faisait de fausses calvities, dit-il en s’esclaffant. Après trois ans à cacher mes cheveux sous des casquettes, j’étais heureux de pouvoir enfin me raser la tête. » Ce n’était pas une provocation, mais une libération : se débarrasser de la contrainte, retrouver la peau, sentir le temps passer comme un coup de frais. Le silence, pour lui, n’est pas absence mais matière. « C’est un espace d’introspection, dit-il sans emphase. Au cinéma comme dans la vie, il permet le ressenti. » Il marque une pause : « La parole n’a de valeur que si elle respire. Ce calme n’est jamais vide. Il est traversé de pensées, d’émotions, d’états intérieurs ». Tout son travail procède de cette idée : chercher la densité plutôt que le bruit, la tension plutôt que l’effet. « J’essaie toujours d’apporter une intériorité. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’exécuter ce qui est écrit, mais de le rendre vivant. » Pour lui, un scénario n’est qu’une ossature. « Il faut lui rendre sa pleine humanité au moment de l’incarnation, quand la fiction devient réalité. » C’est là que le personnage naît, quand il quitte le texte pour le corps.
Niels Schneider appartient à une famille d’acteurs qui travaillent par imprégnation, dans une forme de dépense physique. « River Phoenix m’a profondément marqué. Il avait une physicalité, une vulnérabilité, une grâce. J’aime aussi Dewaere, Pacino, Philippe Léotard… Ils incarnaient une masculinité différente, plus marginale, plus fragile, tout en restant très virils. » Il se reconnaît dans cette cette manière d’habiter le cadre plutôt que de le remplir.
Son travail commence bien avant le tournage. « Je n’ai pas de méthode fixe, explique-t-il simplement. Chaque projet demande autre chose. Parfois, c’est une préparation physique, parfois intellectuelle, parfois l’apprentissage d’une langue. » Il parle d’une mission souterraine. « En amont, je fais un vrai travail cérébral, je cherche des inspirations littéraires, historiques, picturales. J’essaie d’avoir la plus grande nourriture possible avant de me lancer ». Mais quand la caméra s’allume, tout se simplifie. « Ce n’est plus un exercice scolaire. On ressent, on agit. » Ce point de bascule, il le décrit ainsi : « Le premier jour de tournage, quand on entre dans le décor, dans le costume, tout ce qu’on a préparé se simplifie. C’est un moment très agréable, tout l’effort s’efface, les choses viennent naturellement. » L’incarnation passe aussi par les vêtements. « Le costume, c’est fondamental, confirme-t-il dans un sourire. Une paire de chaussures, une coupe, une matière, tout change. Ça aide à comprendre qui est le personnage. L’habit fait le moine, en tout cas au cinéma. »
C’est sans doute ce lien entre le geste juste et la précision du détail qui explique sa collaboration avec Audemars Piguet. La maison horlogère symbolise un rapport au temps qui lui ressemble, maîtrisé, mesuré, intérieur. Une montre mécanique, comme un rôle, demande de la patience et une écoute du rythme. Schneider la porte sans démonstration. Chez lui, le temps n’est pas un décor mais une présence qu’il apprivoise, comme une seconde nature. « Quand on tourne, on s’appartient peu, glisse-t-il, sincère. C’est un métier qui t’absorbe complètement ». Les journées de quinze ou seize heures, parfois de nuit, ne laissent pas de place au reste. « Mais après, j’aime revenir à moi, ne rien faire, passer du temps avec ma famille. » Il est père depuis deux ans. « Avoir un enfant, ça change tout. Ça oblige à s’organiser, à devenir adulte. Tu n’es plus responsable seulement de toi. Le temps passe autrement. C’est une boussole, un rappel qu’il faut vivre le présent et faire ce qu’on a vraiment envie de faire. »
Il ne cherche pas la maîtrise pour elle-même, simplement la justesse. « Je ne fais pas de plan de carrière. Je ne suis pas entrepreneur, je ne contrôle pas la demande. » Il accepte ce qui vient, sans se forcer à exister partout. Ce refus du calcul, rare dans son milieu, l’a conduit vers une filmographie où la discrétion n’exclut pas l’intensité : Les Amours imaginaires de Xavier Dolan, Diamant noir d’Arthur Harari, Sympathie pour le diable, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Et aujourd’hui, Les Tourmentés de Lucas Belvaux, où il incarne un ancien légionnaire, et Badh, un film d’espionnage tourné l’an passé. Des rôles où le calme et la retenue deviennent une forme d’expression.
La conversation revient sur les transformations qu’il s’impose. Il montre des photos sur son téléphone. Sur l’une, il apparaît méconnaissable, amaigri. Sur une autre, il porte l’uniforme du général Leclerc, droit, massif, presque hiératique. Il l’incarne dans le diptyque biographique d’Antonin Baudry sur De Gaulle, dont la sortie est prévue pour janvier 2026. Entre les deux images, le même regard, la même concentration. Pour lui, tout passe par le corps. « Un acteur, c’est une enveloppe modulable. » Sur le plateau du shooting, son crâne rasé donne une certaine dureté à son visage, mais le sourire n’est jamais loin. Pas besoin d’en rajouter, il tient le cadre. L’œil du photographe cherche le bon angle, lui reste fixe, attentif, présent. Il ne joue pas, il attend. Dans ce léger décalage, tout est dit. Niels Schneider ne court pas après le mouvement, il lui donne sa cadence. Sa manière d’exister dans un monde saturé de vitesse tient à cette précision, à cet art du contre-temps. Chez lui, la mesure et la retenue ne sont pas des retraits, mais des choix. Et peut-être aussi une forme d’élégance : celle de ne jamais confondre le passage du temps et sa valeur.
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