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Corto Maltese est de retour dans une exposition au Centre Pompidou, qui rend hommage à cette figure de légende de la bande dessinée, 2024 - TGL
Visuel de l’affiche de présentation du premier numéro de la revue italienne Corto Maltese, 1983.
Marine Mimouni

The Good Culture // Art

Corto Maltese fait ses premiers pas au Centre Pompidou

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Créé en 1967 par Hugo Pratt, Corto Maltese a imposé son personnage de marin séditieux mâtiné de dandysme dans des histoires mêlant grande aventure et références littéraires. Il est de retour dans une exposition organisée à Paris, au Centre Pompidou, qui rend hommage à cette figure de légende de la bande dessinée.

Un caban, un gilet, une chemise avec ruban, un pantalon blanc. Le tout surmonté d’une casquette et agrémenté d’un anneau accroché à l’oreille gauche. Cette silhouette a fait le tour du monde. C’est celle de Corto Maltese, héros de bande dessinée créé par l’auteur italien Hugo Pratt. Marin, aventurier, pirate en rupture de ban… On ne sait pas trop comment définir Corto.


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Corto Maltese, La Jeunesse.
Corto Maltese, La Jeunesse. 1985 Cong S.A. Suisse - Tous droits réservés.

Lui se présente volontiers comme un « gentilhomme de fortune ». Il trimballe sa carcasse longiligne et nonchalante depuis 1967, année de son apparition dans la revue mensuelle italienne Sgt. Kirk. Ses débuts n’eurent pourtant rien de glorieux. Celui qui s’imposera auprès de ses lecteurs comme un dandy romantique entre en scène dans La Ballade de la mer salée.

On le découvre en fâcheuse posture, naufragé sur l’océan Pacifique, la chevelure hirsute et le visage mangé par une barbe noire. Pratt n’a pas encore affiné son physique, il ne songe d’ailleurs pas à faire de lui le personnage central de son œuvre.

Un homme du destin

Corto Maltese devra patienter quelques années pour s’imposer comme une icône de la bande dessinée. En 1970, il effectue son retour dans l’hebdomadaire pour la jeunesse Pif Gadget, avec un récit intitulé Le Secret de Tristan Bantam.

Corto Maltese, J’avais un rendez-vous, Rapa Nui, 1912.
Corto Maltese, J’avais un rendez-vous, Rapa Nui, 1912. 1994 Cong S.A. Suisse / SDP Centre Pompidou

Dans la première case, Corto revient en majesté. On le retrouve du côté de Paramaribo, en Guyane néerlandaise, assis dans un fauteuil en rotin, les pieds posés sur une table et un cigare à la main. « On voyait tout de suite que c’était un homme du destin », annonce le texte de cette image devenue légendaire.

Corto restera trois ans dans les pages de Pif. Au grand désespoir de certains jeunes lecteurs, qui ne comprenaient rien à ses histoires ni au dessin en noir et blanc de Pratt. Trois ans, le temps de se faire un prénom et d’imposer un style, mélange d’aventure, d’exotisme, de clins d’œil littéraires et d’allusions ésotériques.

« Je ne suis pas un héros, moi »

Corto Maltese n’est pas un héros comme les autres. Le terme antihéros lui conviendrait sans doute mieux. Inutile d’attendre de lui un comportement exemplaire, propre à édifier les jeunes générations. Corto traverse la première moitié du xxe siècle en observateur distant. Cet individualiste forcené porte un regard lucide et teinté d’ironie sur ses semblables et sur les événements, même s’il lui arrive – rarement – de prendre parti.

Corto Maltese, La Maison dorée de Samarkand, Rhodes, 1923.
Corto Maltese, La Maison dorée de Samarkand, Rhodes, 1923. 1987 Cong S.A. Suisse / SDP Centre Pompidou

Il lui arrive aussi d’avoir peur. Comme dans cette scène de la série Les Éthiopiques, où il fuit face au danger et à la menace de la mort : « Je ne dois me justifier auprès de personne, moi… Je ne suis pas un héros, moi… Je suis comme les autres et j’ai le droit de me tromper comme tout le monde, tranquillement, sans avoir à faire un examen de conscience à chaque fois. »

Peut-être faut-il voir, dans cette revendication de liberté et dans ce plaidoyer pro domo, le reflet de la personnalité de son créateur, Hugo Pratt. Celui-ci, tout comme son personnage fétiche, était un grand bourlingueur. Un aventurier à sa manière, curieux de la planète et des autres. Un explorateur d’univers graphiques et de nouvelles formes de narration, infatigable globe-trotteur qui se nourrissait de ses voyages pour alimenter son imaginaire.

Corto, bourlingueur-lecteur

Pratt s’inspirait aussi de ses multiples lectures. La liste de ses influences littéraires aurait de quoi remplir cet article. Les romanciers du grand large et de la grande aventure, de Melville à Stevenson, dont il a adapté certains ouvrages, côtoient les poètes et les écrivains classiques. Rien d’étonnant si certains d’entre eux s’invitent dans les histoires de Corto Maltese, de Jack London à Gabriele D’Annunzio, ni si Corto, tout aventurier qu’il est, ne dédaigne pas de se plonger dans un bon livre pour enrichir ses réflexions sur le sens de la vie.

Corto Maltese, Aventureuses, le personnage de l’aviatrice Tracy Eberhard.
Corto Maltese, Aventureuses, le personnage de l’aviatrice Tracy Eberhard. 1994 Cong S.A. Suisse / SDP Centre Pompidou

Dans le sillage de ses illustres devanciers, Hugo Pratt a donné naissance à une galerie de personnages hauts en couleur, tous plus fascinants – ou inquiétants – les uns que les autres. De Raspoutine au Moine ou à Cush, le jeune guerrier impétueux. De Bouche Dorée à Shanghai Li ou à Venexiana Stevenson, ces femmes dont Corto disait « qu’elles seraient merveilleuses si tu pouvais tomber dans leurs bras sans tomber entre leurs mains ».

Un jour, Corto Maltese a disparu. Selon Hugo Pratt, il se serait engagé dans les Brigades internationales durant la guerre civile espagnole. Disparu, certes, mais pas mort pour autant, prenait soin de préciser son créateur, qui s’y entendait pour naviguer entre vérité et mensonge et brouiller les pistes.

Corto Maltese, J’avais un rendez-vous, Nouvelle-Irlande.
Corto Maltese, J’avais un rendez-vous, Nouvelle-Irlande. 1984-cong-s-a-suisse-sdp-centre-pompidou

Pratt est décédé en 1995, mais Corto est revenu sous la plume et le crayon de nouveaux auteurs. Les uns ont prolongé l’œuvre d’Hugo, tandis que d’autres se sont amusés à faire vivre son personnage dans notre société contemporaine. Jusqu’au 4 novembre prochain, le Centre Pompidou lui consacre une exposition passionnante. Les grands héros, comme chacun sait, ne meurent jamais tout à fait.


Exposition Corto Maltese. Une vie romanesque
Bibliothèque du Centre Pompidou, jusqu’au 4 novembre.
Les albums de Corto Maltese sont publiés chez Casterman.


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