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Deuxième plus grande ville d’Irlande après Dublin et troisième en termes de population, avec environ 125 000 habitants, Cork cultive sa singularité comme elle l’entend : avec humour, indépendance et fierté. Située dans le sud de l’Irlande et pourvue de l’un des plus grands ports naturels du monde, elle a été un endroit stratégique tout au long de son histoire. Aujourd’hui, la ville accueille les sièges européens de grands groupes, dont celui d’Apple.
Dès la sortie de l’aéroport de Cork, perdu dans une immensité verdoyante, la région semble s’offrir sous son jour le plus théâtral. Des champs d’un vert irréel à perte de vue et un ciel qui se teinte de toutes les nuances de gris imaginables. Il ne manque plus que les moutons pour achever l’image d’Epinal. Un chauffeur de taxi à l’air impassible accepte de nous conduire sur les collines au nord du centre-ville. « Cela fait onze ans que je suis maintenant installé à Cork, nous lance-t-il soudain. La vie est calme et douce ici. » Alors que la voiture emprunte l’un des 31 ponts pour traverser la « Venise du Nord », le ciel s’éclaircit tout à coup en cette fin d’après-midi et laisse se déverser des trombes de soleil faisant scintiller le fleuve Lee.
La Saint Patrick’s Street, l’artère principale de la ville, se pare d’intenses couleurs, tandis que la pierre millénaire des églises brille de gravité. Le moment de grâce ne dure qu’un instant et, dans un ultime revirement, le ciel s’assombrit jusqu’à sembler s’éteindre. Il ne reste plus que les minces filets de lumière qui filtrent à travers les épaisses fenêtres des pubs, qui semblent plus chaleureux que jamais. Sous ses airs charmants de petite cité provinciale, Cork est loin d’être une ville à sous-estimer. « L’histoire de Cork a toujours été liée à l’eau, explique Mairin, notre guide à l’accent chantant et au sourire malicieux. Son port a permis d’établir des communications avec l’extérieur, de développer son commerce et de s’urbaniser, notamment sous l’égide des merchant princes [riches marchands, NDLR], au XVIIe siècle. Cork a toujours été une ville ouverte au monde et cosmopolite. »
L’acte fondateur de la ville remonte au VIe siècle, avec la création d’un monastère par Saint Finbarr dans un endroit marécageux, qui donne alors son nom à la ville. Alors que le ciel a décidé de se déverser sur nous, Mairin, imperturbable, nous entraîne au pas de course dans un grand tourbillon historique, où l’on saute allègrement les siècles au gré des bâtiments que l’on croise et qui nous révèlent la dense et tumultueuse histoire de la ville. Façades édouardiennes dans South Mall Street, architecture coloniale typique de l’Empire britannique dans Oliver Plunket Street et remparts médiévaux dans North Main Street, sans parler des innombrables églises. La ville est sans cesse détruite et rebâtie.
Ses habitants gagnent au passage une réputation de farouches rebelles, témoignant de leur inexpugnable insoumission et de leur soif d’émancipation face à l’ennemi, qu’il soit viking ou anglais. « Ne dites jamais à un Corcagien que Cork est la deuxième ville d’Irlande, déclare Mairin. Vous êtes ici dans la vraie capitale du pays. » Un tour dans le centre et son dédale de rues nous permet de palper cette atmosphère résolument vive et joyeuse. Les étals de l’English Market se sont diversifiés, les cafés branchés se sont multipliés, des bars à cocktails ont ouvert et la gastronomie s’est modernisée. Mais ce qui fait la singularité de Cork se trouve dans ses aspérités et le mélange hétéroclite qu’elle donne à voir, le tout bercé par un humour ravageur et irrésistible.
La région compte 148 multinationales
Dans sa campagne, il n’est pas rare que les moutons côtoient les multinationales des secteurs pharmaceutique, technologique ou encore microélectronique. En effet, c’est à Holly Hill, au nord de la ville, qu’en 1980 une petite start-up californienne décide d’y installer sa première chaîne de production d’ordinateurs en dehors des Etats-Unis. Cork devient ensuite son siège européen et le deuxième plus grand site après celui de la maison mère à Cupertino. L’entreprise Apple emploie aujourd’hui 6 000 personnes et constitue le sixième plus gros employeur de la région. Sa présence est loin d’être une exception. Dell EMC, Johnson Controls, Pfizer, Johnson & Johnson, Amazon, Intel Security… La région métropolitaine compte 148 multinationales employant près de 32 000 personnes.
« Vous pouvez vous demander, sans doute à raison, ce qui a pu conduire toutes ces énormes entreprises à venir s’installer dans une petite ville comme Cork, plaisante DC Cahalane, CEO de Republic of Work. Vous avez ici un écosystème solide, doublé d’une qualité de vie que vous ne trouverez nulle part ailleurs. L’université et l’institut technologique de Cork sont parmi les plus réputés du pays. La ville compte 30 000 étudiants, soit un immense vivier de talents. Ensuite, le port et surtout l’aéroport (le mieux desservi après Dublin) vous permettent de rallier toutes les grandes villes. » La présence de ces multinationales résulte également d’une volonté politique nationale qui débute dans les années 60 et qui vise à ouvrir l’économie irlandaise aux investisseurs étrangers.
Cette stratégie est renforcée dans les années 80, et place alors la fiscalité basse au coeur de la politique économique et sociale du pays. Si les années 90 voient l’avènement du « Tigre celtique », l’économie du pays devient dépendante de la richesse produite par ces multinationales et par l’investissement immobilier. La recette qui a fait sa gloire ne tarde pas à provoquer sa ruine, et l’Irlande subit la crise économique de 2008 de plein fouet. « Aujourd’hui, vous avez une vraie revitalisation du centre-ville, explique Kieran O’Hea, CEO de Digital Cork. Il suffit de vous promener pour voir les grues et les chantiers. De nouveaux immeubles sont construits, des projets qui avaient été suspendus reprennent, comme la construction du centre des congrès en plein centre-ville. De nouveaux commerces s’installent et de nouvelles entreprises sont créées. »
South Mall Street est l’une des rues les plus anciennes de Cork, en témoigne la présence des cellar houses, qui datent du XIXe siècle, à l’époque où la rue était encore un cours d’eau que les navires pouvaient emprunter. Elle est ensuite devenue la rue des affaires, les compagnies d’assurances et les banques occupant les bâtiments cossus. Aujourd’hui encore, l’activité est toujours présente.
De nouvelles entreprises très diverses
En plein milieu de la rue, un immense immeuble à la façade en verre détonne. « Pour nous, il y avait vraiment une portée symbolique au fait que nous nous installions dans cette rue, raconte DC Cahalane. C’était une manière d’affirmer que les start-up sont aussi importantes que les entreprises traditionnelles. Aujourd’hui, vous comptez une dizaine d’entreprises spécialisées dans les technologies installées dans South Mall Street. Il existe une culture locale extrêmement forte, et les entrepreneurs à Cork ont entre 23 et 25 ans, alors que la moyenne ailleurs est plutôt supérieure à 30 ans. Vous retrouvez ce dynamisme dans la diversité des nouvelles entreprises qui se créent : mode, biotechnologie, intelligence artificielle, cybersécurité ou encore gastronomie. »
Inauguré il y a seulement deux ans, Republic of Work se définit comme un espace de coworking, où les entrepreneurs de toutes sortes peuvent se rendre pour jouir des infrastructures, louer des espaces de travail ou participer aux événements et ateliers collaboratifs organisés gratuitement chaque semaine. « Je suis persuadé qu’un bon espace de travail encourage l’innovation et la productivité, s’enthousiasme DC Cahalane. Nous sommes comme une sorte de maison. » Au lounge, il y a de quoi boire des litres de cafés dans des mugs « I love my work », de gros canapés dans lesquels procrastiner en potassant Screw the Valley ou The $100 Startup. Détail original, la faune locale se compose aussi bien de jeunes adultes, tablettes sous le bras et baskets aux pieds que de businessmen grisonnants, en costumes et souliers vernis.
« Cet endroit n’est pas uniquement dédié aux start-up, explique DC Cahalane. Nous voulons inclure tout le monde dans une même communauté et nous avons également des entreprises bien établies qui jouent le rôle de parrains. » DC Cahalane est un natif de Cork qui a fini par revenir au pays natal il y a sept ans. « Cork est la combinaison parfaite entre une ville qui a de la personnalité et le charme d’une bourgade. Jamais vous ne trouverez de gens plus chaleureux et plus accueillants qu’ici. »
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