The Good Business
Son rachat par le chinois Fosun a littéralement boosté le Club Med et surtout clarifié un positionnement premium. La preuve ? Une agence d’un genre nouveau vient d’ouvrir à Paris, sur les Champs-Elysées. Joli prétexte à un entretien avec Sylvain Rabuel, le directeur général France, Benelux, Suisse… du Club Med.
A Shanghai ou à Séoul, quoi de plus banal qu’une marque de luxe haut perchée dans les étages d’un building. Alors, pourquoi pas à Paris ? Au 125 de l’avenue des Champs‑Élysées, le Club Med vient d’investir 245 m² au deuxième étage d’un immeuble haussmannien. Une agence de voyages avec balcon sur la plus belle avenue du monde. Nul besoin de vitrine : l’appartement-boutique incarne à lui seul l’image « new style » du groupe de clubs de vacances fréquentés par 1,2 million de clients par an (2014), dont 75 % optent pour les villages classés 4 ou 5 Tridents, le top de l’offre Club Med. L’accueil est donc à la hauteur, conjuguant adresse prestigieuse, cadre raffiné et ambiance « comme à la maison ». Membre du comité de direction générale et directeur général France, Benelux, Suisse et nouveaux marchés Europe-Afrique, Sylvain Rabuel, 44 ans, visite le chantier de l’agence et nous en fait les honneurs. Relax mais concentré, il suit l’avancée des travaux. Peintres et électriciens s’activent encore autour de nous parmi les meubles exotiques disposés sous les moulures si parisiennes. Projections murales et masque immersif à 360° sont également prévus pour titiller le rêve, tandis que des espaces modulables permettent d’organiser des événements à deux pas de l’Arc de triomphe. L’enjeu est de taille, car le tourisme mondial a explosé, et le Club Med a une sacrée partie à jouer.
Depuis sa fondation, en 1950, sur une plage des Baléares, l’entreprise idéaliste et désintéressée des débuts s’est radicalement transformée. La France des congés payés a fait des émules, et le monde entier veut à son tour jouir de lieux sublimés, de champagne à gogo et d’atmosphères conviviales. Pour répondre à cette demande, le groupe, l’un des rares à être aussi présent et aussi connu à l’international dans cet univers, monte en gamme depuis dix ans, multipliant les villages 4 et 5 Tridents. Impulsée par son CEO, Henri Giscard d’Estaing, toujours aux commandes, cette évolution vers le luxe a connu des hauts et des bas. Aujourd’hui, remis en mouvement grâce au rachat, en 2015, par le chinois Fosun, le Club Med met les bouchées doubles.
Sylvain Rabuel a le sourire. L’année 2014 présente, enfin, une activité soutenue, et 2015 semble prometteuse grâce à ces nouveaux clients des pays à croissance rapide : en cinq ans, ils ont augmenté de 50 %, et de 20 % par an pour les Chinois. « En Russie, au Brésil, en Chine ou en Afrique du Sud, on constate une même dynamique : la création d’une classe moyenne, souligne notre interlocuteur. Elle aspire aux loisirs individuels et familiaux. Et nous bénéficions d’un atout majeur : il n’existe pas d’offres en premium all inclusive comme la nôtre. Ces régions découvrent cette simplification de leurs vacances et de leur budget. » Rappelons que les années 90 à 2000 ont mis à mal ce tout-inclus, critiqué à cause de sa banalisation. Une fois les activités sportives révisées, le niveau des restaurants relevé, les procédures d’accueil allégées, l’offre Club Med est si bien réveillée aujourd’hui qu’elle est souvent, et de nouveau, copiée par la concurrence.
Joyview, l’autre Club Med
En Chine, une nouvelle marque vient de naître cette année : Joyview by Club Med, afin d’offrir une échappée verte le week‑end à deux heures des mégapoles polluées. Le premier club, Changli Golden Beach, ouvrira près de Pékin en 2016 : un resort de luxe d’environ 300 chambres avec Mini Club, GO, activités sportives, bonne table, spa… en formule premium all inclusive !
Le monde est un village
A ce propos, le Club Med est-il en position d’être concurrencé ? « Oui et non, répond Sylvain Rabuel. Il n’y a pas de réelle concurrence à l’échelle mondiale, et c’est l’une des particularités du Club Med. Notre grand atout est que nous nous sommes développés là où il n’y avait personne et nous continuons de le faire actuellement en Chine, devenue le premier marché touristique mondial. Notre présence est internationale, en termes tant de clientèle que de pays. La concurrence est donc plutôt locale. C’est le cas avec l’américain Sandals, qui opère aux Caraïbes, ou avec l’allemand TUI, qui possède une vingtaine de resorts sur le pourtour méditerranéen. Mais ces marques restent centrées sur la clientèle de leur propre pays. » L’enjeu actuel est donc clairement d’attirer la clientèle étrangère : 60 % aujourd’hui, contre 40 % de Français ; c’était l’inverse il y a seulement dix ans. Par exemple, la Russie représente à elle seule 15 000 clients par an qui ne rêvent que de soleil !
Côté européen, des passerelles ont été créées entre Club Med et Thomas Cook – agent de voyages, dont Fosun a pris 5 % des parts. « Thomas Cook est notre premier distributeur en France. Ensemble, nous allons développer les clientèles scandinave et belge, russe ou polonaise, mais aussi allemande et britannique, qui considèrent la notoriété de Thomas Cook comme un gage d’excellence. » Ce petit monde débarque ainsi de tous les coins de la planète, chacun avec ses codes culturels et ses besoins, ses envies et ses habitudes. Dans un village, l’équipe, constituée d’au moins 15 nationalités, décode désirs, affinités entre nations, logiques universelles et crée cette délicate alchimie qui composera le bonheur tant promis. Un des leviers : le très riche catalogue des activités orienté en fonction des sites et soumis aux nouvelles modes. Au Club Med de proposer également de l’inédit, comme cette initiation au trapèze volant avec des Circassiens formés durant dix ans sous de vrais chapiteaux. Poussant le concept encore plus loin, un partenariat a été conclu cette année avec le Cirque du soleil au Club Med de Punta Cana (République dominicaine), il va s’étendre à de nombreux villages.
Les adresses de Sylvain Rabuel
- A Paris. « Outil de travail important pour moi : le maillot de bain, que je shoppe chez Cuisse de grenouille » (71, place du Docteur‑Félix-Lobligeois, Paris 17e).
- En Italie. « A Capri, au sommet du mont Tiberio, les vestiges de la villa Jovis, avec son panorama sur la baie de Naples et le golfe de Salerne. Notez aussi le Piémont. J’adore skier à Pragelato Vialattea (mon village Club Med préféré), avec son hameau de chalets skis aux pieds – direct en TGV depuis Paris. Good ski, good life… radical pour lâcher prise ! »
- A Hong Kong. « Coup de cœur pour le Nanhai no 1 (63 Nathan Road, quartier de Tsim Sha Tsui). Son canard laqué et la vue sur la baie sont inoubliables… et, au large, le nouveau Village Club Med de Dong’ao Island. »
La montagne gagne
Bien que le groupe possède déjà 66 villages dans 26 pays, la partie de Monopoly n’est jamais finie. L’œil aux aguets sur les sites « imprenables », le groupe est en quête de nouveaux paysages de rêve où tailler un minimum de 20 hectares pour l’édification d’un village de vacances. Ainsi, en Chine, le site encore en chantier de Beidahu – prévu pour les amateurs de neige – vient s’ajouter aux trois villages existants, dont Dong’ao, sur une île face à Macao. Toutefois, surprise, ce ne sont pas tant l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique qui font rêver que… les Alpes ! Le massif du Mont-Blanc devient la cible des convoitises, comme en témoigne l’annonce du concurrent allemand TUI concernant de futurs Club Robinson sur ses pentes. Forcément, le Club Med avance aussi ses pions : « Vu de l’étranger, les vacances à la neige représentent la quintessence de l’art de vivre à la française », assure Sylvain Rabuel, qui évoque des fans de raclette et de fondue savoyarde sud-africains, qui sont 5 000 à skier sur nos pistes chaque année. « L’économie en Afrique du Sud est bonne et, depuis quinze ans, la classe moyenne aspire à la consommation, a soif d’exotisme, représentée pour elle par… la neige, qu’elle découvre. Or, nos clubs se situent dans les plus grandes stations de France, de Suisse et d’Italie, aux meilleurs emplacements skis aux pieds – en montagne, l’emplacement est primordial. Par exemple, notre village Val Thorens Sensations a ouvert en 2014 dans la plus haute station d’Europe, élue meilleure station du monde la même année, où la carte du restaurant est signée du chef Edouard Loubet, 2 étoiles Michelin. C’est alléchant pour ces étrangers de skier en Europe sans avoir à payer en plus pour les forfaits, la location du matériel ou les cours. » Comment résister, en effet !
S’ajoutent des projets avancés à Samoëns-Morillon (ouverture en 2018), tandis que des pourparlers sont en cours aux Arcs (Arc 1600) et à Avoriaz. En attendant, il existe 21 clubs de montagne, dont 6 demeurent ouverts à l’année ! « C’est essentiel pour l’équilibre économique, à condition de pouvoir créer des activités estivales, bien sûr. » La montée en gamme doit aussi s’accompagner, bien entendu, d’un gain de rentabilité. Les Chinois de Fosun ne sont pas des philanthropes : le Club Med est une pépite, à condition de travailler dur pour la faire briller…
Club Med : dates et chiffres clés
- 1950 : création du Club Med par Gérard Blitz et Gilbert Trigano. Ouverture du premier village à Alcudia, aux Baléares. Les GM (gentils membres) sont logés
sous des tentes Trigano. - 2002 : Henri Giscard d’Estaing devient président du directoire.
- 2010 : premier village de ski en Chine, à Yabuli, et lancement des Villas d’Albion (Maurice), l’offre la plus haut de gamme du club.
- 2015 : Fosun devient propriétaire du Club Med.
- Chiffre d’affaires : 1,4 Md €.
- Villages : 66 dans 26 pays.
Les 4 et 5 Tridents représentent 72 % de la capacité totale. - Employés : 13 000 de 105 nationalités différentes.
- 2015 : ouverture des Villas de Finolhu (Maldives), Dong’ao Island 4 Tridents avec un espace 5 Tridents, au large de Macao et de Hong Kong.
- Agences Club Med : 79 en France (40 en propre, 19 corners et 20 franchises).
- Internet : 100 % des clients utilisent le site pour s’informer, 20 % achètent un séjour par ce moyen.