The Good Business
Écartelé après la décision stratégique de la direction de PSA d’extraire DS de son giron pour en faire une marque à part entière en 2014, Citroën a mis plusieurs années à réinventer son identité. Ambitieux et risqué, le nouveau positionnement semble enfin porter ses fruits !
On ne devient pas numéro un d’une entité comme PSA sans avoir construit sa carrière avec beaucoup de patience. Pour autant, il faut savoir appuyer sur l’accélérateur à l’occasion. Pour imposer son leadership. Pour montrer qui est aux commandes. C’est ce qu’a fait Carlos Tavares, début 2014, lorsqu’il s’est emparé de la tête de PSA, après une vie entière chez le frère ennemi, Renault, et l’évidence manifeste que l’autre Carlos – Ghosn – n’avait nullement l’intention de lui laisser sa place de calife. Lorsque Carlos Tavares prend la direction opérationnelle de la branche automobile de PSA, il dévoile « Back in the Race », un plan stratégique dont la ligne directrice est de diminuer drastiquement le nombre de voitures produites par les différentes marques du groupe. Mais un bouleversement, plus grand encore, se profile. Lors de son grand oral, Carlos Tavares annonce aux actionnaires et à la presse qu’il veut « accélérer le développement de DS en tant que marque premium à part entière ». Quelques semaines après, le patron joint les actes à la parole. Le groupe PSA est réorganisé. DS est dissociée de Citroën et devient une marque de luxe à part entière, positionnée face aux mastodontes allemands Mercedes, BMW et Audi.
Peugeot est renforcé dans son rôle de généraliste plus chargé de ferrailler avec Volkswagen. Quant à Citroën, le mot d’ordre de Carlos Tavares est limpide : « Répondre aux attentes des clients au meilleur coût possible. » Dépouillée de DS, le joyau de sa couronne, la marque est positionnée à l’échelon le plus bas de l’édifice. Des changements aussi radicaux ne vont pas sans incertitudes. La presse, notamment, s’interroge. Nabil Bourassi, journaliste à La Tribune, fin connaisseur du marché, résume plutôt bien l’état d’esprit qui règne alors : « A l’époque, on se disait : si on enlève DS de la gamme Citroën, il reste quoi ? La réponse était : plus rien ! De 2014 à 2016, jusqu’à l’arrivée de la C3, on ne savait plus trop ce qu’était Citroën. Il n’y avait que des modèles vieillissants, on avait l’impression que c’était un peu l’errance. »
Traversée du désert
Carlos Tavares, cela dit, ne vit pas que dans un monde d’idées et de stratégies. Pour les appliquer, il faut s’appuyer sur des hommes. Ou une femme, plus exactement. En remplacement de Frédéric Banzet, il nomme Linda Jackson en juin 2014. Cette Anglaise, qui a fait toute sa carrière chez Rover, puis Citroën, devient la première femme à diriger une marque automobile française. Elle doit reconstruire une maison qui donne l’impression de ne plus avoir de fondations et combler les manques cruels de produits générés par la séparation d’avec DS.
Linda Jackson se remémore ce moment difficile : « En 2014, on a dû reconstruire le produit. On s’est dit qu’on allait bâtir autour de deux facteurs distincts. Le premier : un design unique, à la hauteur de la créativité que Citroën a eue par le passé. Or c’est au cours de ces époques où l’on faisait tout pour être différent qu’on a eu le plus de succès. Le second facteur, c’est le confort. Nous étions notamment connus pour notre fameuse suspension hydraulique. Enfin, on n’a pas imaginé un plan produit qui soit seulement pour la France ou l’Europe, mais vraiment pour l’international. Et tout cela à la fois, inévitablement, ça prend du temps à se mettre en place. »
La marque procède donc à un repositionnement. Elle se veut plus « moderne » et plus « fraîche ». L’approche marketing est revue, avec l’arrivée du très dynamique Arnaud Belloni, transfert de chez Fiat. L’expérience client, repensée. Mais c’est sur le produit que la marque est attendue. Et il tarde à venir. La traversée du désert dure deux ans. Elle s’interrompt en novembre 2016, avec la sortie de la Citroën C3. Et ça marche, comme le reconnaît Nabil Bourassi : « Citroën se repositionne alors comme une marque populaire, mais branchée. C’est ce qu’ils résument par “Be different, feel good”. L’arrivée de la C3 en est la démonstration. La C3 est bien positionnée, plutôt bien équilibrée et elle trouve donc sa place sur le marché. On a enfin un produit concret et ça cartonne. » Dix-huit mois après son lancement, on apprenait, en mars 2018, que cette troisième génération de C3 avait franchi la barre des 300 000 ventes en Europe, devenant le best-seller de la marque et un symbole de renouveau.
Parmi les points forts de cette nouvelle voiture, il y a ce design qui détonne. Frédéric Duvernier, responsable de l’avance de phase et des concept-cars, a été l’un des grands artisans de la métamorphose physique, avec son patron Alexandre Malval. « La C3 joue sur les codes d’un design produit très pur, très graphique, facile à retenir, très coloré, plutôt en phase avec des valeurs de vraie vie humaine. Ce n’est pas une voiture hors-sol. Elle est plus résistante, plus fonctionnelle, plus pratique, au sens noble, comme l’était la 2 CV. » L’autre grande force, c’est la stratégie de personnalisation, dont Linda Jackson est très fière. « Vous pouvez choisir la couleur de votre toit, décider d’une couleur ponctuelle, d’opter ou non pour des Airbump, et de l’ambiance de votre intérieur. Tout est vraiment possible ! Vous pouvez jouer la sobriété ou bien l’inverse. La customisation nous permet de garder nos clients historiques, mais aussi d’en attirer de nouveaux, plus jeunes. La moyenne d’âge de nos clients C3 a chuté de 9 ans, car elle est plus punchy, plus “fresh”. »
Et alors que dans l’industrie automobile, les équipes marketing et design s’écharpent parfois sur les orientations, Frédéric Duvernier jure que, chez Citroën, tout le monde y trouve son compte : « Au design, nous voulons que nos voitures soient déclinées selon les humeurs, du plus “bad boy” au plus gentil, du plus extrême – au sens coloré – au plus sombre – au sens masculin. Personne n’est pareil, chacun a ses goûts. Offrir de la personnalisation au design, ça nous paraît naturel. »
De l’importance du SUV
Si la C3 ressemble à une bataille gagnée, il en va autrement de la guerre. Et ces jours-ci, comme le rappelle le journaliste Nabil Bourassi, c’est sur le terrain des SUV qu’elle se joue : « Aujourd’hui, on ne survit pas si on n’a pas une gamme SUV. Tous les autres segments sont soit extrêmement concurrentiels, donc avec très peu de marge, soit en baisse. SEAT et Skoda, par exemple, n’en avaient pas il y a encore deux ans. Aujourd’hui, ils explosent grâce à ça. Dans certains pays, c’est 40 % des ventes. Et surtout, sur des marchés avec des croissances de 2 ou 3 %, le segment SUV, lui, enregistre des taux de 15 à 20 %. Si on veut être dans une démarche dynamique, il faut avoir des SUV. »
Evidemment, on est au courant chez Citroën. La marque aux chevrons n’a donc pas tardé à se positionner doublement sur ce segment, avec le C3 Aircross, SUV compact d’un côté, lancé en Europe à l’automne 2017, et le C5 Aircross, SUV familial, sorti en Chine en 2017, qui sera commercialisé en France en fin d’année. Ce dernier concentre énormément d’attentes, mais devra se trouver une place sur un marché saturé, là où le C3 Aircross a tranquillement franchi la barre des 100 000 ventes après seulement dix mois en Europe (dont 40 000 en France).
Linda Jackson sait qu’elle sera jugée sur les performances du C5, mais l’Anglaise semble sereine. « Nous le savons, nous arrivons en retard. Notre approche est donc de faire la différence en proposant le SUV le plus confortable du marché. D’abord, parce qu’il dispose de systèmes d’assistance à la conduite, mais surtout grâce à une technologie exclusive de Citroën : les suspensions à butées hydrauliques progressives. Ça donne une impression d’adoucir la conduite et la route. Nous avons aussi les sièges Citroën Advanced Comfort, avec des mousses spéciales. Et autre point de différentiation : le C5 Aircross a trois sièges ajustables à l’arrière, alors que la majorité des SUV du marché n’ont qu’une banquette. De la sorte, on a le meilleur de deux mondes : un SUV de l’extérieur, avec une position haute des roues épaisses, mais avec la modularité d’un monospace à l’intérieur et de l’espace. »
Installer une dynamique de marque
Peut-on dire que Citroën est sur la bonne route ? Les voyants semblent au vert. Pour autant, Nabil Bourassi reste prudent. « En 2017, ils ont donc lancé le C3 Aircross en Europe et le C5 Aircross en Chine. Les débuts ont été bons dans les deux pays, mais je me méfie des démarrages. Il y a un effet de nouveauté qui fonctionne toujours. Renault a fait de bons démarrages avec la Talisman et le Kadjar, mais un an après, les ventes ont coulé, car ce n’étaient pas de bons produits. Là, je n’arrive pas à savoir si les C3 Aircross et C5 Aircross sont de bons produits qui vont marcher. Ils sont clivants, avec des codes stylistiques particuliers. Difficile de savoir si ça va survivre à l’effet de mode. »
Le risque n’est pas anodin. Si les volumes de ventes ne se maintenaient pas après un an et demi ou deux, PSA devra entretenir une marque qui n’a pas trouvé sa place dans le paysage, faute d’un positionnement fédérateur. « En automobile, le taux de marque est très important, poursuit Nabil Bourassi. Peugeot l’a très bien fait. La puissance de la marque est tellement forte que les gens continuent à acheter, y compris lorsque le modèle a 3 ans. C’est ce qui se passe avec le 3008, par exemple, et c’est ce qui ne se passe pas chez Renault, dont l’image et la dynamique de marque, elles, se sont beaucoup affaiblies. Tout l’enjeu pour Citroën est donc d’installer la dynamique de marques autour de ces valeurs et, pour ça, il faut que les gens adhèrent. »
Il va aussi falloir affronter une autre difficulté majeure, à savoir la reconquête de la Chine, second marché de la marque après la France. Ces deux dernières années, Citroën – à l’instar de tout le groupe PSA – y a vécu une descente aux enfers, avec une chute de 60 % de ses volumes de ventes en 2016, et près de 40 % en 2017. Mais là aussi, l’horizon semble se dégager, grâce aux bonnes performances du C5 Aircross : 50 % d’augmentation des ventes sur les six premiers mois de 2018.
De quoi rendre Linda Jackson résolument confiante et même d’y voir un tremplin pour atteindre les objectifs des années à venir à l’échelle mondiale. « 2017 n’a pas été très bonne, mais c’était une année de transition. Nous avons restructuré notre réseau de distribution pour être fin prêts pour le lancement du C5 Aircross, un véhicule parfaitement adapté à ce marché. Depuis, nos ventes n’ont cessé d’augmenter et, en septembre, nous avons lancé l’équivalent pour ce marché du C3 Aircross. C’est un marché énorme, on veut augmenter notre volume. A l’échelle mondiale, nous aspirons à passer de 1,2 million de véhicules vendus cette année à 1,6 million d’ici à 2020, avec l’objectif d’atteindre 45 % de ventes en dehors de l’Europe – contre 25 % aujourd’hui. » Le script est écrit, la stratégie posée. Ne reste finalement qu’une inconnue : les clients adhéreront- ils à cette nouvelle histoire que Carlos Tavares et Linda Jackson entendent leur raconter ? C’est la clé du succès !
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