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À Marseille, l’entrepreneur et fondateur des restaurants Spok Christophe Juville habite une maison de ville en mouvement. Visite, 2025 - TGL
À Marseille, l’entrepreneur et fondateur des restaurants Spok Christophe Juville habite une maison de ville en mouvement. Visite, 2025 - TGL
Olivier Amsellem

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Christophe Juville : l’homme-orchestre de la scène food marseillaise

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À Marseille, l’entrepreneur touche-à-tout et fondateur des restaurants Spok Christophe Juville habite une maison de ville en mouvement. Déco, potes, énergies… Les flux s’y agrègent.

« Lui donner les rênes de ma trattoria m’a changé la vie », balance notre photographe avant de claquer la lourde porte de la maison de ville marseillaise de son ami Christophe Juville.


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Un ami qui vous veut du bien

Les deux hommes se connaissent depuis des années. Finalement, Christophe connaît tout Marseille, comme on dit. Le réseau est primordial quand on fait de la restauration. Pour Christophe Juville, cela va plus loin que ça. Beaucoup de ceux qu’il côtoie pour le travail sont devenus de vrais amis. Après plus de vingt ans dans le milieu, ça se comprend.

Si Jérémy Chaillou signe l’architecture d’intérieur des lieux, la décoration est toute personnelle à Christophe.
Si Jérémy Chaillou signe l’architecture d’intérieur des lieux, la décoration est toute personnelle à Christophe. Olivier Amsellem

La semaine dernière, il s’amusait devant la caméra de la photographe Victoire Terrade à rater un baba au rhum. « Je pensais que la recette était super simple. En fait, elle est super technique. J’ai assumé jusqu’au bout ma connerie. » Ses amis conviés pour le dessert, Gianmarco Gorni et « Lolo » Minel, n’y ont pas touché. Car Christophe Juville n’est pas un chef. On ne peut pas non plus le qualifier de simple restaurateur. Il est aussi directeur artistique, chef d’orchestre, communicant…

La naissance de Spok

« Je suis un autodidacte, commence-t-il. J’ai quitté l’école à 15 ans et j’ai tracé ma route. » À 23 ans, il ouvre son premier restaurant dans la cité phocéenne. Cinq ans plus tard, il a l’intuition que la restauration du midi pour les employés de bureau se cherche : c’est la naissance de Spok, un concept de cantine proposant des plats à emporter de qualité, désormais bien implanté en France avec presque une quarantaine d’adresses.

La cuisine est au centre de la maison, pensée dans les tons d’une Italie chère au cœur de son propriétaire.
La cuisine est au centre de la maison, pensée dans les tons d’une Italie chère au cœur de son propriétaire. Olivier Amsellem

Cette année, la marque s’est même déclinée pour la première fois en version coffee-shop dans quelques villes secondaires françaises, proposant cette fois une offre snack plus légère. Mais le palmarès food de Christophe Juville ne s’arrête pas là. Car celui qui fêtera bientôt ses 50 ans ne chôme pas : de Paris à Marseille, il jongle entre la direction de sa marque et de ses quatre restaurants d’auteur (Lolo cave à manger, Ippon, Figure et Jogging Trattoria).

Demain, il partira pour Milan grâce à un partenariat Trenitalia accompagné de sa fille, Lili Jane, avec qui il aime s’amuser à créer du contenu social. Le mois dernier, il était à Mexico pour observer la mutation de la ville, désormais métropole foisonnante de concepts Food & Beverage novateurs. Il en a même ramené une nouvelle accointance, Carlos Couturier, cofondateur de Grupo Habita, belle collection d’hôtels de goût qui parsème le pays. « Nous parlions depuis longtemps par téléphone, mais cette rencontre a tout changé. Il vient d’ailleurs passer quelques jours chez moi en juin. »

« L’anse de Malmousque est ultrafréquentée. J’y vais pour ma part très tôt le matin ou tard, le soir, avec Goldie », confie Christophe Juville.
« L’anse de Malmousque est ultrafréquentée. J’y vais pour ma part très tôt le matin ou tard, le soir, avec Goldie », confie Christophe Juville. Olivier Amsellem

Déformation professionnelle ou réelle vocation, Christophe Juville a l’hospitalité dans le sang. S’il regrette de n’avoir plus franchement le temps de cuisiner – « sauf pour les réseaux », confesse-t-il sans fard, honnête sur cette exposition digitale qu’il cultive pour être dans l’air du temps -, son pied-à-terre marseillais n’en finit pas de voir défiler ses amis.

Pour un verre sur le retour d’un bain à Malmousque ou pour quelques jours, quand les Parisiens cherchent le soleil, la porte de sa maison de ville sur trois niveaux avec vue directe sur la Méditerranée est toujours ouverte. « J’ai l’habitude d’organiser des repas le mercredi soir, quand je rentre du hot yoga, mais je n’ai pas vraiment de règle, hormis celle d’essayer de m’isoler un maximum le week-end, pour prendre du temps pour moi et lire. »

De Zweig au magazine Lui

La lecture est venue progressivement dans la vie de celui qui n’a jamais lu de classiques à l’école. Par les auteurs « faciles », d’abord – « facile ne veut pas dire nul ! », précise-t-il -, puis motivé par son amie et voisine Lisa Vignoli, autrice et journaliste. « Nous sommes souvent en contradiction, s’amuse-t-il. Mais si elle a aimé un roman auquel je n’ai pas adhéré, je me force à le relire pour comprendre son point de vue. »

Les livres s’entassent sur la table de la salle à manger, sous l’œil de Vincent Desailly.
Les livres s’entassent sur la table de la salle à manger, sous l’œil de Vincent Desailly. Olivier Amsellem

Les livres sont partout. Dans sa bibliothèque, on passe en revue Zweig, Camus, Houellebecq et même Keith Richards. Sur sa table, quelques exemplaires récemment reçus ou mis en stand-by, dont un NRF duquel tombe un Photomaton oublié pris avec une ex. À terre, des piles de vieux magazines Lui époque Beigbeder, dont une amie proche assurait la rédaction en chef.

Dans le salon, une autre compagne a laissé sa trace : trois clichés de Charlotte Lapalus – « pour moi, l’une des meilleures photographes de notre génération » – donnent de la vie à l’espace blanc baigné de lumière. Sur l’étagère scandinave qu’il a lui-même chinée aux puces marseillaises, des gris-gris et de la déco pêle-mêle. Chaque détail raconte une histoire.

Axel Chay, un autre Marseillais, habille les lieux de ses créations contemporaines. Ici, le fauteuil Parad.
Axel Chay, un autre Marseillais, habille les lieux de ses créations contemporaines. Ici, le fauteuil Parad. Olivier Amsellem

Il y a ces sculptures de son amie Emmanuelle Roule, des vases de Franca, un studio marseillais que l’on retrouve sur les murs de l’étage à travers des appliques, ou encore un cliché offert par Lolo Minel, le même qui refusa de goûter au baba au rhum. Cette image a résisté à trois déménagements : « Un fait rare, je change énormément de déco. Je fais tourner mes objets au gré de mes trouvailles. » Le vase qu’il a récemment acheté à Oaxaca, lors de son dernier voyage au Mexique, n’a, lui, toujours pas trouvé sa place.

Les souvenirs, ce Marseillais né dans les quartiers nord les a aussi dans la peau. La chemisette COS qu’il a enfilée pour ces quelques photos en bord de mer avec Goldie, son beagle de trois ans, laisse apparents des bras largement tatoués. « J’ai pas mal de trucs marrants », s’amuse-t-il en pointant les quelques lettres de « No no José », une réplique issue d’un sketch de Jonathan Cohen qu’il s’est fait tatouer avec ses amis Lolo – encore lui -, Paul et le chef Zac Granat, du restaurant Déviant, à Paris. La semaine prochaine, à Milan, il ajoutera à sa collection une hirondelle, un tatouage qu’il fera cette fois avec sa fille, déjà porteuse d’une belle collection. « Et mon fils Mateo est pareil ! » Pas de jaloux.

Portrait de Christophe Juville.
Portrait de Christophe Juville. Olivier Amsellem

À son poignet, une Rolex Oyster Perpetual de 1984 bicolore sur un bracelet Jubilee. « Je n’ai pas encore trouvé le modèle full gold que je veux », précise-t-il. Avec son look de tombeur italien (alors que ses ascendances vont à l’Algérie et… à la Lorraine), ses grandes lunettes d’aviateur et ses cheveux gominés, il lit la perplexité dans nos yeux. « Je pense que les accessoires d’un look ont une portée propre à celui qui les porte. Une montre en or au poignet d’un mec en costard cintré qui sort de la Défense, ça fait peut-être too much. Associée à une chemisette, un short et des mocassins-chaussettes, je pense que ça peut être très cool et pas bling. »

Le cachet marseillais

L’esthétique est forcément un mot qui caractérise l’entrepreneur, toujours assuré dans ses choix – « jamais de jeans, jamais de noir et vous ne me verrez qu’avec des chaussures de ville, à l’exception peut-être de mes New Balance 530 » – si osés soient-ils : il porte fièrement ses mocassins Tabi, un modèle Maison Margiela qui reprend les souliers traditionnels japonais fendus au niveau du gros orteil. Même topo pour son intérieur, coconçu avec Jérémy Chaillou, un architecte qui a aussi signé la mise en scène de quelques adresses Spok.

Dans le salon, il y a ces sculptures de son amie Emmanuelle Roule, des vases de Franca, un studio marseillais que l’on retrouve sur les murs de l’étage à travers des appliques, ou encore un cliché offert par Lolo Minel, le même qui refusa de goûter au baba au rhum.
Dans le salon, il y a ces sculptures de son amie Emmanuelle Roule, des vases de Franca, un studio marseillais que l’on retrouve sur les murs de l’étage à travers des appliques, ou encore un cliché offert par Lolo Minel, le même qui refusa de goûter au baba au rhum. Olivier Amsellem

Ouvertures sur la terrasse façon arches romaines, cuisine en carreaux de faïence couleur coucher de soleil aux arêtes arrondies, grand séjour-salle à manger pour dîner sans se priver de la vue… « Cette maison a une énergie folle. Je voulais donc conserver un maximum de ses atouts tout en maximisant sa relation avec l’extérieur. »

La douceur du contemporain contraste alors avec ces deux poteaux de béton qui évoquent une certaine architecture marseillaise. Bientôt, Christophe Juville ira plus loin en ouvrant entièrement la vue vers la mer et en allant chercher les poutres qui se cachent sous le plafond actuel pour réveiller un peu plus le cachet marseillais de la maisonnette.

Goldie, 3 ans, et une fâcheuse tendance à désobéir à son maître.
Goldie, 3 ans, et une fâcheuse tendance à désobéir à son maître. Olivier Amsellem

Christophe Juville ne renie rien ni personne. Ni sa parole, ni celles et ceux qui ont partagé sa vie. On comprend vite que l’homme s’est fait à la fois avec mais aussi pour les autres. Pourquoi sinon monter des restaurants ? L’entrepreneur vient d’ailleurs de lancer une agence de conseil en restauration spécialisée dans la restructuration de business. « Je sais qu’il y a des milliers d’agences de ce type, mais combien ont à leur tête quelqu’un qui a commis autant d’erreurs que moi et qui s’en est relevé ? »

Caliente, un nom évocateur pour cette personnalité flamboyante qui, à l’heure de la parution de ces lignes, présente son premier fait d’armes : la renaissance de Poissonnerie Kennedy, une cantine iodée inaugurée par le publicitaire Georges Mohammed-Chérif en 2023, agrandie et revampée, au concept repensé comme un bistrot de la mer. S’il ne cuisine plus, Christophe nous promet des pasta alle vongole pour notre prochain passage à Marseille. The Good Life aurait-il un nouvel ami ?


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