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L'enseigne britannique Bowen, qui existe depuis 1980, travaille avec des ateliers de Northampton, le berceau du cousu Goodyear.
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The Good Business

Chaussure Un marché en mouvement

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De la tong au godillot de chantier, 25 milliards de paires de chaussures sont produites dans le monde par an. Ce secteur en plein boom est parcouru de secousses, au point de devenir l’enjeu d’une concurrence impitoyable à l’échelle mondiale !

Les chausseurs français n’ont plus le nez sur le bout de leurs pieds, mais bien sur le bout du monde. D’où cette maison de la chaussure française, baptisée Maison S. The House of French Excellence, ouverte le 3 décembre dernier à Shanghai, vitrine des collections nationales où deux représentants doivent vendre, vendre, vendre ! Ce projet promotionnel est entre les mains de Jean-Pierre Renaudin, président de la Fédération française de la chaussure (FFC) – dont le budget est alimenté par 100 adhérents ; 14 millions d’euros en 2016 – et également président du Congrès mondial de la chaussure en 2014. « Même les marchés de niche français ont une envergure mondiale. Un jeune créateur vendu à Paris chez Colette doit être représenté dans le même type de boutique à New York ou à Tokyo. Il faut être présent et actif partout, et cela coûte cher. Dans ce contexte, et pour aider nos adhérents, nous avons créé ce showroom représentatif du made in France à Shanghai. »

La marque centenaire Salvatore Ferragamo, qui doit une grande partie de son succès à sa présence à Hollywood.
La marque centenaire Salvatore Ferragamo, qui doit une grande partie de son succès à sa présence à Hollywood. DR

Symbiose autour du label national
Le maintien des savoir-faire est l’autre priorité de la FFC. Les groupes de luxe ont montré la voie, conscients que les ateliers rares, voire les marques patrimoniales en péril, sombreraient dans l’oubli si on ne leur apportait pas de l’aide – on pense au merveilleux bottier Massaro fondé en 1894 et sauvé par Chanel en 2002. Avec beaucoup de retard, au grand regret de Jean-Pierre Renaudin, la Fédération française de la chaussure soutient désormais activement le rachat d’ateliers français hyperspécialisés par des cadres bien formés – plutôt que par des non-initiés sans expérience. Les amateurs savent qu’une fabrication de chaussure passe par différents métiers, c’est‑à-dire par différents ateliers spécialisés. Si une relocalisation massive en France relève du fantasme, puisque des chaînons essentiels ont désormais disparu, les sous-traitants encore opérationnels travaillent en étroite symbiose avec le tissu industriel, qui est aujourd’hui composé d’environ 150 fabricants. Laissant aux pays émergents la production mass market, ces fabricants sont désormais recentrés sur la chaussure de luxe, la mode ou la pompe technique (chaussures de pilote, de l’armée, etc.). Parmi les locomotives de l’industrie française, citons Mephisto (qui exporte à plus de 80 %), Eram ou JB Martin.
Espagnols, Portugais et Italiens conservent aussi de fortes industries grâce à leur grande culture du cuir transmise de génération en génération. « L’Italie, notamment, possède des “clusters”, ces régions qui réunissent géographiquement d’innombrables ateliers, savoir-faire et sous-traitants spécialisés. Il arrive toutefois, bien sûr, que des chaussures italiennes fassent l’aller-retour dans la journée chez des sous-traitants étrangers, en Albanie par exemple », explique Jean-Pierre Renaudin. Quant aux Anglais, ils ont leur Northampton, toujours aussi vivace et adopté par Bowen, John Lobb ou De Fursac – qui lance sa première collection de richelieus et de derbys ! Malgré tout, les cartes sont globalement rebattues. La Chine, qui fabriquait hier encore 66 % des souliers de la planète, décélère à 60 %. Les principales causes sont le désengagement de l’Etat chinois, qui ne crée plus de dumping dans ces industries jugées non stratégiques, et la hausse du coût de la main-d’œuvre – pas le salaire de l’ouvrier, comme on pourrait le croire, mais celui de l’ingénieur qui s’est aligné sur celui de l’Occident. La fabrication de chaussures s’est donc déplacée vers le Maghreb, l’Europe de l’Est, le Viêtnam et l’Indonésie. Mais aussi en Ethiopie, puisque l’Afrique devient à son tour la nouvelle usine du monde, souvent drivée, d’ailleurs, par des Chinois, comme nous l’affirme le président de la FFC.

La Desert Boot, de Clarks, classique de la chaussure casual.
La Desert Boot, de Clarks, classique de la chaussure casual. DR

L’export ? Ça va bien, merci
A l’étranger, la French touch et le label « Fabriqué en France » font toujours fantasmer. La preuve ? De 2009 à 2014, 80% de notre production de chaussures a été exportée (soit 2,3 milliards d’euros en 2014, la Chine représentant un marché de 170 millions d’euros). La prévision de croissance totale des exportations pour 2015 est de + 20 %. Jean-Pierre Renaudin nous l’assure : on a pris des parts en Allemagne (+ 22 %), au Royaume-Uni (+ 34 %) et en Espagne (+ 24 %). Tous les acteurs de la filière interrogés soulignent la stabilité du secteur. En revanche, si l’Union européenne consomme sans frein, d’autres pays sont plus difficiles à capter. Les Etats-Unis, par exemple, où le yoyo euro-dollar peut déséquilibrer un réseau en cours d’implantation. De plus, le vivier de la sous-traitance américaine se situe au Mexique, où les grands distributeurs traitent essentiellement d’énormes volumes. Sur ce marché nord-américain, les seules marques françaises qui cartonnent sont celles dont la renommée est déjà bien établie, à l’instar de Paraboot, de Clergerie ou d’Arche (qui y a installé ses propres boutiques). Le suisse Bally et le français Weston visent aussi le continent américain à court et moyen termes et comptent justement sur leur réputation pour le conquérir. Le Brésil offre quant à lui des perspectives qui font rêver, mais il reste trop protectionniste pour le moment. L’Inde pose le même problème et n’offre pas encore de réseau de distribution structuré. Enfin, ce nouvel eldorado qu’est l’Iran, si proche de nous par son mode de consommation, est un marché encore trop récent. La prudence reste donc de mise.
Quant à la consommation du marché intérieur français, elle s’est tassée depuis les attentats du 13 novembre (entre – 0,5 % et – 1 % au dernier trimestre 2015, pour un chiffre d’affaires global de 9 milliards d’euros, dont 38 % proviennent de la chaussure pour homme). Peut-être est-ce l’occasion pour la nouvelle génération d’apporter une nouvelle dynamique créative… Ceux qui nous feront courir dans cinq ans mettront sans doute les pieds dans le plat ! Jeunes entrepreneurs diplômés, créatifs, touche-à-tout : ils fomentent déjà des concepts forts avec un style qui décoiffe. N’en doutez pas, cette nouvelle matière grise sera bientôt déposée à nos pieds…

En chiffres

25 Mds de paires de chaussures produites dans le monde.
Marché de la chaussure en 2015 : 57 Mds € en Chine (+ 20 %) ; 69 Mds € aux Etats‑Unis (+ 2,5 %) ; 68 Mds € en Europe (+ 1 %).
150 fabricants de chaussures environ subsistent en France.
2009-2014 : 80 % de la production française de chaussures a été exportée (ce qui représente 2,3 Mds € en 2014).
La Chine, qui est le 5e pays client de la France, représente 170 M €.
Allemagne (+ 22 %),
Royaume‑Uni (+ 34 %),
Espagne (+ 24 %).
Prévision de croissance totale des exportations françaises en 2015 : + 20 %.
La Chine fabrique environ 60 % des chaussures du monde.
Marché de la chaussure en France : 9 Mds €. 85 % des achats s’effectuent en magasin, et 15 % s’effectuent en ligne.

 

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