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Michel Perry
Michel Perry
tglkahina

The Good Business

Ces designers qui nous enchantent

The Good Business

Œil acéré sur le patrimoine des marques, sens de l’à-propos, ils transforment l’air du temps en jeunesse éternelle.

Michel Perry la touche rock de J.M. Weston
The Good Life : Vous dites avoir « appris à aimer créer des chaussures ». Pourquoi ?
Michel Perry : En arrivant en 1969 chez Bata (j’avais 17 ans), je voyais ce métier comme un pis-aller alimentaire. En accédant à la création, ma passion pour la chaussure s’est révélée. Je suis toujours émerveillé lorsque je découvre le prototype qui concrétise ma pensée en 3D. Au premier regard, tout en y mettant un peu de moi, je sais si je suis en phase avec la culture de la marque. Il s’agit de mon interprétation de ce qu’est l’élégance française, de la liberté offerte par les chaussures J.M. Weston. En twistant les codes, j’essaie de faire évoluer la maison vers des univers inattendus.
TGL : Comment imaginez‑vous le client J.M. Weston ?
M. P. : Contemporain, voyageur. Mon envie est d’être en harmonie avec lui, sans jamais surfer sur les tendances. L’humain est au cœur de ma démarche. Je cherche à susciter une émotion sans ostentation, à travers la profondeur d’un cuir, d’une double piqûre main, d’un travail inédit de la couleur.
TGL : Votre modèle fétiche ?
M. P. : La Chelsea Boot montée sur forme Claridge, une merveille dandy et rock qui me ressemble beaucoup. Je la rêve en veau couleur brique !

Marc Hare
Marc Hare DR

Marc Hare : le choix smart

De ses origines jamaïcaines,
 Marc Hare a conservé ses dreadlocks. Ce Britannique est né en 1970, dans
South London, et a eu plusieurs vies, toutes intéressantes : d’abord sous le signe du surf – époque où il ouvre sa boutique Low Pressure –, puis sous celui du design, pour la marque Karrimor, avant de devenir consultant pour Nike, Sebago, New Balance et Dr. Martens. En fait, Marc Hare a eu l’idée de créer sa propre marque 
en Espagne, en voyant les chaussures patinées d’un vieil homme. En 2008, il déposait ses premières paires pour dandys chic au Dover Street Market, l’une des adresses les plus pointues de la capitale britannique, puis en France, chez Colette, et dans sa boutique installée à Mayfair, à Londres. Il choisit de faire fabriquer artisanalement à Empoli (Toscane) de petites séries de chaussures très allurées, coupées dans des cuirs fins qui semblent littéralement polies. Designer autodidacte, ce chausseur atypique et confidentiel explique que chacune de ses collections reflète simplement ce qu’il est et ce que lui-même aime porter. Il adore autant la Plymouth Barracuda que le rhum noir et le vin blanc, et, visiblement, aime traîner ses guêtres à la fameuse Frieze, célèbre foire d’art contemporain londonienne qui lui donne pas mal d’idées. Dernière production signée Marc Hare : Romance and Adventure. L’accent est mis sur le soulier du soir d’allure classieuse, rehaussé d’un vernis miroir qui ouvre les portes des vernissages et autres mondanités où un gentleman a un rang à tenir. Et des souliers d’exception à exhiber.

Pierre Hardy
Pierre Hardy DR - Pierre Even

Pierre Hardy : pure anatomie
En marge des blockbusters du luxe, Pierre Hardy, 60 ans, se fraie son chemin en solo. Fasciné par la danse, dont il a conservé la discipline de vie, agrégé d’arts plastiques, longtemps enseignant en scénographie à l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT), il n’a donc pas toujours été chausseur. Il commence à croquer des escarpins pour Dior, dans les années 80, puis pour Hermès, chez qui il développe des collections masculines. Mais à force de voir certaines de ses idées inapplicables dans le contexte d’une maison patrimoniale, Pierre Hardy finit par ouvrir sa boutique, en 1999, et réalise une première collection masculine trois ans plus tard. Son excellent coup de crayon, susceptible de révéler de merveilleuses surprises pour les femmes, s’adoucit pour la chaussure de ville masculine – même si on a vu passer cet hiver une desert boot cerise et une botte Brando harnachée de boucles. Les amateurs collectionnent surtout ses baskets montantes et colorées. Collectors, mais coûteuses (très) !

Paula Gerbase, directrice artistique, John Lobb
Paula Gerbase, directrice artistique, John Lobb DR

Paula Gerbase prend John Lobb à la racine

« C’était assez gonflé de choisir une femme comme directrice artistique de ce temple anglais du soulier masculin, qui en plus n’avait pas d’expertise particulière dans le domaine bottier », se félicite Renaud Paul‑Dauphin, patron de John Lobb. Paula Gerbase a fait l’unanimité du comité directeur de la maison – filiale du groupe Hermès depuis 1976 – par sa vision radicale courageuse. Elle a en effet carrément proposé de retracer le parcours initiatique du légendaire bottier et de se servir de ce socle fondateur pour forger l’image à venir. Un peu comme si on découvrait mille détails inédits sur une photo pourtant connue par cœur. Née au Brésil, mi‑allemande mi‑italienne, la jeune femme est élevée aux Etats‑Unis, puis en Suisse, où la famille suit le père, médecin à l’ONU. Formée à Londres à Central Saint Martins, Paula Gerbase avoue adorer autant le design que la technique. Une fois son diplôme de styliste en poche, elle décide d’ailleurs de se perfectionner chez Kilgour, tailleur de Savile Row de haut vol. Là, elle apprend à couper une manche de veste d’homme et… à sculpter la laine au fer. Le « stage », comme elle l’appelle, dure près de six ans ! Incapable de choisir entre modes féminine et masculine, la styliste, alors âgée de 33 ans, crée, en 2010, sa marque androgyne baptisée 1205 ! « J’ai beaucoup vendu au Japon, où mon esthétique mixte parlait aux gens. Puis, Sarah Mower, qui travaille pour le Vogue américain et qui défend Emerging Designer au British Council, m’a repérée lors d’un vernissage : elle adorait la veste que je portais et que j’avais conçue. C’est grâce à son soutien que je me suis tournée vers des gammes plus féminines et que j’ai aussi défilé lors de shows masculins à Londres. » Il y a un an et demi donc, John Lobb l’approche. « J’ai été surprise. Je n’avais jamais réalisé de souliers de ce niveau de qualité. La curiosité m’a poussée à explorer la manufacture de Northampton. Après avoir parlé avec les artisans, j’ai vite retrouvé l’atmosphère de Savile Row et je me suis sentie dans mon élément. Ensemble, nous avons exploré des idées. » Paula Gerbase ouvre aussi son œil neuf sur l’histoire du bottier. « Pour comprendre d’où il venait, j’ai demandé à un historien de m’aider
à remonter son passé jusqu’à ses débuts. J’ai voulu comprendre l’histoire de Mayfair, des clubs de gentlemen. Le patrimoine est en effet intact et nous avons remonté sa piste jusqu’à son village natal de Fowey, en Cornouailles. Sur place, j’ai retrouvé des cartes postales, ses bottes de ski, ses chaussures de randonnée et ses premières tennis. » Précisons que Paula Gerbase a parcouru une partie de ce chemin à pied et à rebours ! Elle voulait retrouver les sensations ressenties par ce fils de fermier qui, chaussé de bottes de sa confection, s’était mis en route pour conquérir la capitale anglaise à l’âge de 22 ans… Se servir des techniques de l’Actor’s Studio pour se mettre ainsi dans la peau du personnage est assez inédit pour un designer. Mais, en se rapprochant ainsi du maître, Paula Gerbase ramène l’humain au cœur de ce bel héritage un rien cristallisé dans son illustre passé. En effet, avant de chausser, en 1863, le prince de Galles (futur Edouard VII) et, à sa suite, la famille royale, John Lobb a aussi créé d’ingénieuses bottes à talons creux pour que les chercheurs d’or australiens y planquent leur fortune ! Notre Miss Marple peut ainsi recréer sans complexe les boîtes d’origine employées par le bottier dans ce ton russet proche de la couleur prune. Elle impose cet emballage pour ses propres créations et fait de la disparition de la couleur jaune la première étape du dépoussiérage et de la réinvention de la maison. Avec Paula Gerbase reviennent aussi les rondeurs tombées en désuétude. « Pour les connaisseurs, c’est un clin d’œil amusant. Je me suis inspirée de la chaussure de marche des lords qui était à trous, pour évacuer l’eau et la boue. La Ash  et la Wells en sont dérivées – cette dernière étant plus légère. Quant à la Morval, c’est une costaude tirée des années 40. » La directrice artistique livre aussi la botte Fowey  coupée dans un cuir d’aspect cuivré. Puis elle ressuscite aussi des archives les tennis Levah imaginées par John Lobb dans les années 20. Entre ses mains, le modèle devient une sneaker à la mode, montée en veau velours sur semelle en gomme, le premier poids plume du genre chez ce bottier. Les aficionados vont peut‑être en avaler leur cigare, mais miss Gerbase fait clairement set et match en réussissant un Lobb aussi bien dosé…

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