Architecture
The Good City
Dans le nord-est de Paris, au sein du parc de la Villette conçu par Bernard Tschumi, Atelier du Pont s’est inspiré d’une tradition historique pour réaliser son Pavillon Jardins. Réunissant l’ensemble des équipes responsables de l’exploitation du site, ce nouveau bâtiment de bureaux offre un environnement de travail ouvert et flexible, immergé dans la nature foisonnante qui l’entoure. Visite guidée.
Le 12 octobre 1987, Bernard Tschumi inaugurait aux côtés de François Mitterrand, alors président de la République, une œuvre majeure de la capitale : le parc de la Villette. Pour transformer l’ancien site des abattoirs du nord de Paris, appelés à déménager à Rungis, l’architecte franco-suisse imagine un vaste parc urbain qui se développe à partir d’une trame géométrique rigoureuse. Dans ce même parc, Atelier du Pont a installé un bâtiment de bureaux en pleine nature. Découverte.
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Travailler en toute sérénité
Les 55 hectares, dont 33 d’espaces verts, sont ponctués de 26 folies strictement espacées de 120 mètres les unes des autres. Une manière de renouer avec une figure historique du XVIIIe siècle – celle du pavillon d’agrément posé dans un jardin –, ici réinterprétée dans une version contemporaine et géométrique.
Chacune d’entre elles accueille une fonction spécifique (billetterie, salle de concert, observatoire, atelier…) tout en offrant de puissants points de repère aux usagers. Audacieuse, la couleur rouge sang de ces folies a façonné l’identité de ce « parc du XXIe siècle », ainsi qualifié par Bernard Tschumi lui-même, qui vient tout juste d’être récompensé par le prestigieux Grand Prix d’architecture de l’Académie des beaux-arts.
Trente-sept ans plus tard, Atelier du Pont (Anne-Cécile Comar et Philippe Croisier) réinterprète à son tour la tradition du pavillon, cette fois-ci dans une version XXL et écoresponsable, baptisée Pavillon Jardins.
Venue de L’Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette, la commande portait sur la réalisation d’un nouveau bâtiment de bureaux de 3 000 m² destiné à réunir l’ensemble des équipes d’exploitation du parc.
Celles-ci étaient jusqu’à présent logées dans neuf bâtiments préfabriqués édifiés en 1982 sur un terrain de 9 000 m² : la Cité Jardin de la Villette. Vétustes, amiantés, ils offraient néanmoins une relation très forte à l’extérieur, que les architectes se sont attachés à préserver.
« Malgré l’état des bâtiments, l’environnement de travail des différentes équipes était véritablement exceptionnel, au milieu d’un jardin en plein Paris, avec un nombre de mètres carrés par personne relativement généreux. La végétation avait considérablement poussé au fil des années. Le challenge était de les rassembler dans un lieu unique tout en préservant ces qualités », précise Philippe Croisier.
Bâtiment flexible et ouvert
En 2019, un concours d’architecture est organisé en vue de désigner l’équipe d’architectes apte à composer avec cet environnement aussi mythique que celui du parc de la Villette. Il s’agit de reconstruire un bâtiment en lieu et place des préfabriqués afin d’offrir un outil de travail plus performant. Pour obtenir le permis de construire, un accord est acté avec la Ville de Paris pour rétrocéder 5 000 m² de ce terrain privé au parc et ouvrir plus largement le site au public.
Le programme du concours était très ouvert et peu directif, sous-tendu par la volonté de proposer un projet à développer ensuite avec les principaux intéressés. Le bâtiment imaginé par Atelier du Pont s’inscrit dans la trame du parc de la Villette et la géométrie des folies de Bernard Tschumi, lesquelles ont dicté la hauteur à ne pas dépasser : 8 mètres.
Il s’organise sur un plan carré de 50 mètres de côté, superposant deux niveaux autour d’un atrium central favorisant les interactions entre les utilisateurs. Car à la Villette, certains projets requièrent parfois les compétences de l’ensemble des équipes. Celles-ci sont également amenées à collaborer avec de nombreux prestataires.
La configuration des anciens bâtiments, fragmentés en neuf barrettes, ne leur offrait pas d’espace approprié. C’est à l’extérieur que se jouaient les rencontres, dans les allées du parc, de façon informelle. Dans ce nouveau bâtiment, les architectes ont imaginé un lieu capable de répondre à ce besoin.
Par ses qualités et ses dimensions généreuses, l’atrium se révèle propice au travail collectif, offrant une place centrale et intuitive pour se retrouver. Il est pourvu d’un escalier gradin et d’un grand mur blanc en tôle perforée, « le mur des projets », pour aimanter ou projeter des supports de présentation.
L’atrium est couvert d’une verrière photovoltaïque, laquelle crée dans cet espace une atmosphère de sous-bois. Parce que les 155 personnes qui forment les équipes de la Villette fonctionnent de façon nomade, l’environnement de travail se devait d’être le plus souple et le plus libre possible.
« Notre proposition est assez simple dans son expression et non figée dans sa programmation. En permanente évolution, c’est un bâtiment à géométrie variable qui s’aménage au gré des projets qu’il accueille. Ce sont les usages et la fabrique des événements qui créent l’identité du lieu », souligne Philippe Croisier.
À l’intérieur de ce vaste volume sont ainsi aménagés de grands bureaux partagés, articulés sur une trame générique. Les couloirs de circulation sont volontairement surdimensionnés et ouverts, offrant des espaces libres que les usagers peuvent s’approprier facilement.
Mobilier nomade
Atelier du Pont a remporté le concours d’architecture juste avant la crise du Covid-19, avec un objectif précis : être prêts pour les Jeux, puisque la Villette fait partie des sites officiels des célébrations.
« Les études se sont déroulées en visioconférence durant le confinement, avec toutes les équipes concernées. Il nous fallait comprendre les relations de proximité, répartir les différents services dans des bureaux partagés, puis définir les besoins de chacun pour chaque service. Ce fut épique, car nous étions très nombreux, mais la visioconférence force l’écoute. Nous nous sommes rencontrés au bout de deux mois. »
Depuis, la crise du Covid-19 a profondément bousculé le monde du travail. La pandémie a jeté une lumière crue sur les bureaux peu ou mal adaptés, tandis que la généralisation du télétravail a rendu de nombreux mètres carrés inutiles.
Imaginé avant la crise sanitaire, le projet d’Atelier du Pont anticipait sans le savoir les vertus d’un environnement de travail particulièrement adapté, au plus près des besoins identifiés et des événements inattendus. « Nous avons véritablement développé le projet avec les équipes. Il nous semblait très important de les associer. C’est intime, un lieu de travail. Nous ne voulions rien leur imposer, mais discuter ensemble », note Philippe Croisier.
Dans cet environnement très ouvert, des microarchitectures sur roulettes, réalisées sur mesure, ponctuent les espaces et servent tour à tour de salle de réunion, de local de reprographie, d’espace café. Les usagers les déplacent au gré des besoins, en se branchant simplement à l’électricité.
Ce mobilier nomade a été dessiné spécifiquement par Atelier du Pont pour le projet. Conçu avec des matériaux de réemploi, il a en partie été fabriqué et mis au point avec les équipes de la Villette dans l’atelier situé sous la Grande Halle de la Villette.
Célébrer le vivant
Le fil conducteur du projet fut de ne rien perdre des qualités de l’environnement de travail dont disposaient les équipes auparavant, notamment de préserver ce sentiment de baigner dans la nature. Les façades sont entièrement vitrées, favorisant cette immersion. Des châssis en triple vitrage assurent le confort thermique du bâtiment été comme hiver, confort accentué par la présence de la végétation foisonnante. Quant au toit de l’atrium, il s’ouvre pour rafraîchir cet espace central et laisser la brise traverser les lieux.
Du point de vue de sa conception, le bâtiment mise sur un choix raisonné. Deux structures s’imbriquent, chaque matériau ayant été choisi pour ses qualités propres : le béton pour sa résistance et son inertie ; le bois pour sa légèreté et son faible impact environnemental. Cette combinaison permet de franchir des portées de douze mètres pour libérer les espaces intérieurs. Le toit prend ainsi la forme d’une grande résille de bois qui déborde sur les façades, faisant ainsi ombrage lorsque la chaleur s’invite.
Le choix de l’implantation du bâtiment ne doit rien au hasard, il se trouve « là où il n’y avait quasiment pas d’arbres à couper », précise Philippe Croisier. Une attention particulière a été portée à la faune et à la flore présentes avant que le chantier ne démarre. Elles ont été observées et répertoriées avec l’Atelier d’écologie urbaine, afin de minimiser l’impact de la construction sur le site.
La participation d’un écologue était d’ailleurs demandée au concours, posant la prise en compte du vivant comme une composante essentielle du projet. Les 5 000 m² rétrocédés au parc sont encore en devenir, dans l’attente d’un futur aménagement. À terme, une nouvelle entrée du parc y prendra place, parachevant l’intégration de la Villette dans son environnement urbain.
Pour l’heure, la végétation va reprendre ses droits, dans cet esprit sauvage qu’il s’est agi de conserver plutôt que de tenter de domestiquer. Dominent ainsi des essences rustiques à rebours d’un jardin surdessiné. La toiture est entièrement végétalisée, renforçant cette idée de Pavillon Jardins immergé dans la nature.
Posant la question de la présence du vivant à Paris, à l’image de la très belle exposition Paris Animal. Histoire et récits d’une ville vivante, d’Henry Bony et Léa Mosconi, présentée au Pavillon de l’Arsenal en 2023, le bâtiment célèbre le « métier d’architecte, souvent contraire à la préservation du vivant. Ce changement de paradigme est très enthousiasmant », conclut Philippe Croisier.
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