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À Buenos Aires la librairie de Miguel Ávila est plus vieille Argentine - the good life
jchassagne

The Good Guide

À Buenos Aires, la librairie de Miguel Ávila est plus vieille que… l’Argentine !

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Elle est considérée comme la ville qui regroupe le plus de librairies par nombre d’habitants au monde. Buenos Aires, lectrice compulsive, a besoin de libraires passionnés pour la guider dans sa quête identitaire. Miguel Ávila est l’un d’entre eux. Il vend The Good Life dans sa librairie, reconnue comme étant la plus ancienne du pays, qu’il tient depuis trois décennies.

En face de la plus vieille église de Buenos Aires, à deux pas de la plaza de Mayo, le cœur politique du pays. Difficile d’être plus ancré dans l’histoire nationale argentine. La situation privilégiée dont jouit la librairie Ávila s’explique par sa longévité inégalable. Patrimoine historique national, elle fut fondée en 1785, trois décennies avant l’indépendance du pays.

À peine franchie la porte d’entrée, on aperçoit notre homme, au fond de la grande salle du rez-de-chaussée. Il semble barricadé, entre son vieux bureau en bois et une étagère envahie de livres. Un peu partout, les écriteaux qui classifient les références sont inscrits dans les règles du fileteado porteño, calligraphie emblématique de Buenos Aires, qui inspirent des airs de milonga même au profane.

À Buenos Aires la librairie de Miguel Ávila est plus vieille Argentine - the good life

Quand il s’agit de livres, la pulsion accumulatrice frôle la pathologie et, en bon Argentin bercé par la psychologie, c’est cette fenêtre de réflexion que Miguel Ávila, né en 1945, décide d’ouvrir. « J’ai connu des personnes qui se sont laissé complètement emporter par les livres, proclame avec grandiloquence cet homme de théâtre. Certains lecteurs se retrouvent littéralement possédés. Par leurs contenus et aussi par l’objet, qui envahit leur espace de vie. »

Aux antipodes du syndrome de Diogène, le lecteur passionné est en quête perpétuelle de références et d’éditions rares. Quand l’accumulateur passif entasse tout et n’importe quoi, le maître d’une belle bibliothèque opère, lui, à une matérialisation géométrique de ses connaissances. De quoi adoucir les désagréments de l’accumulation. Glorifier le livre, sous toutes ses formes, voilà le métier du libraire.

Librairie Ávila, aux origines de la révolution en Argentine

Créé sous le nom de La Botica, le commerce vendait à l’origine des livres en provenance d’Europe. Il ravitaillait par ailleurs les gauchos en liqueurs, vivres, vêtements. Quelques années plus tard, les instigateurs de la révolution de mai 1810, qui mena à l’indépendance de l’Argentine, formeraient, dans cette même librairie, leur pensée politique à la lecture des écrits de Robespierre, Montesquieu et Voltaire, tout fraîchement débarqués d’Europe.

À partir de 1830, elle devient la Librería del Colegio, en référence au Colegio nacional de Buenos Aires, cet établissement d’enseignement secondaire distant d’une cuadra (bloc d’immeubles), où se forme l’élite de la nation. Du sol au plafond se mêlent aujourd’hui les ouvrages antiguos et modernos, tel qu’annoncé sur la façade de la rue Alsina.

À Buenos Aires la librairie de Miguel Ávila est plus vieille Argentine - the good life

On y trouve de la littérature universelle, de l’histoire argentine, de l’anthropologie latino-américaine… Quelques pièces vieilles de plusieurs siècles (XVIe siècle), de grands ouvrages datant de l’époque coloniale et des premières années d’indépendance, des éditions uniques des grands auteurs contemporains argentins : Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares, Roberto Arlt, Julio Cortázar.

Au total, ce ne sont pas moins de 150 000 références qui occupent l’espace, réparti entre le rez-de-chaussée et le sous-sol. Plus ancienne librairie d’Argentine, Ávila est considérée par certains comme la plus vieille du monde en fonctionnement dans son lieu d’origine. Absente de la vitrine, cette désignation se cache dans l’ouvrage Librerías, englouti par l’armoire située derrière Miguel.

Dans cette enquête, l’écrivain espagnol Jorge Carrión la place devant Bertrand, la librairie la plus célèbre de Lisbonne, qui dut fermer à cause du tremblement de terre de 1755 et changea de siège à plusieurs reprises. Le Livre Guinness des records n’est pas de cet avis et Miguel préfère se concentrer sur les faits : « Dans le fond, ça m’est égal. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit de la plus vieille d’Argentine. Je suis fier qu’elle existe. »

Miguel Ávila, à la tête de la plus ancienne librairie d’Argentine.
Miguel Ávila, à la tête de la plus ancienne librairie d’Argentine. Erica Canepa

Sauvée in extremis

Une satisfaction fondée sur les derniers aléas de la Librería del Colegio, avant l’ère Ávila, quand l’odeur du vieux papier a bien failli être chassée par celle des hamburgers. Abandonné depuis 1989, l’immeuble était sur le point de devenir un restaurant McDonald’s. Pris d’une « attaque de patriotisme », Miguel décide d’empêcher ça.

Une négociation s’ouvre avec le propriétaire : l’archevêché de Buenos Aires, alors dirigé par Mgr Bergoglio… l’actuel pape François ! Après deux ans de paperasses et de travaux, la librairie rouvre finalement ses portes, en 1993. À chaque lecteur conquis, Miguel célèbre une grande victoire. Lui-même considère que « la lecture [lui] a sauvé la vie ».

Une passion qui le foudroya durant la préadolescence, quand la belle Marcela, son ange gardien, de dix-huit ans son aînée, commença à lui lire inlassablement Les Misérables, de Victor Hugo. Jusque-là, la vie du petit Miguel, débarqué à 9 ans de son petit village de province, ressemblait à celle des gamins des Quatre Cents Coups, de Truffaut.

À Buenos Aires la librairie de Miguel Ávila est plus vieille Argentine - the good life

Les livres l’ont éloigné des bagarres de rue. Les librairies, où il a travaillé toute sa vie, l’ont mis au contact d’hommes politiques, d’intellectuels et d’écrivains. Son amitié avec Adolfo Bioy Casares (1914-1999) lui a laissé d’impérissables souvenirs, comme ce jour où celui-ci lui présenta Jorge Luis Borges. À peine salué, le plus grand écrivain argentin s’envole, pour se perdre dans la fourmilière des rues de Buenos Aires. La rencontre est fugace, pleine de magie. L’apparition semble irréelle, comme tirée d’un conte de libraire, ce personnage venu d’un monde parallèle, qui s’évertue à s’échapper des réalités.

La Librería de Ávila. Adolfo Alsina 500. Tél. +54 11 5357-0909. @libreriadeavila


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