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Si un couple d’amis vous propose de l’accompagner en vacances là où vous n’avez jamais eu envie d’aller, restez fidèles à vos principes. Fuyez !
En vingt ans de vie commune, Claudia et moi n’étions jamais partis en vacances avec d’autres êtres que nos propres enfants. L’été, nos trois semaines étaient sacrées, un moment de retrouvailles à cinq, besoin de personne, un égoïsme familial en Italie, en Grèce, puisqu’il nous fallait trois éléments non négociables : du soleil, une mer à plus de 25 degrés, bien manger. Autant dire qu’en janvier, quand nous nous préoccupions de programmer juillet, c’est vers le sud que nous nous tournions, jamais vers l’ouest, en Bretagne. Et puis un « oui, pourquoi pas ? », un seul. Un accès de faiblesse, fatal.
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Tous les ans, Antoine et Cécile revenaient à la charge : « Allez, on se les fait ces vacances ensemble ? » Nous ne répondions pas, esquivant comme des épéistes. Étions-nous trop épuisés par le travail, assommés par le mauvais vin proposé par Antoine ? Depuis qu’il avait servi notre romanée-conti en apéritif le jour de ses 40 ans, souillé par les cacahouètes malgré nos hurlements horrifiés, nous n’apportions que le dessert, subissant son ignorance viticole crasse.

À 23 h 30, Cécile est revenue à la charge, a parlé d’une maison de campagne dont elle venait d’hériter, « on y sera trop bien, il y aura plein de chambres, le jardin, la mer au bout du chemin, on pourra déjeuner tous les jours dehors, ça a un charme fou, allez, dites oui ! » Claudia a cédé la première, j’ai lâchement suivi.
C’est le 14 juillet, nous sommes au fin fond du Finistère. Il tombe des cordes sous 17 degrés, le feu d’artifice a été annulé. Des trombes d’eau depuis des jours, du K-Way et des orteils congelés, quand, le matin, je m’accroche aux rayons de soleil, sors en Birkenstock et reviens trempé. Il fait 32 degrés dans les îles de la mer Égée, j’ai consulté la météo grecque tout à l’heure.

Moi qui rentre à Paris bronzé comme un pain d’épices, suis blanc comme un cul d’Anglais. Notre fille tousse et se mouche comme en janvier. Claudia me demande chaque matin, au réveil : « Dis-moi qu’il fait enfin beau dans ce pays à la con. » Et moi, contraint de lui répondre, en poussant d’atroces soupirs : « Je suis désolé ma chérie. »
Midi, c’est un peu tôt
Nos amis sont heureux, c’est ça le pire. « Ça fait du bien à votre peau, le soleil ça donne le cancer ! » ; « Sentez comme l’air est pur ! » ; « Venez, on met les coupe-vent et les bottes, on va marcher ! » Antoine est avocat et Cécile, directrice marketing. Leur passion, en dehors de leur boulot, « c’est l’actu », répètent-ils à longueur de journée sans jamais décrocher. France Info tourne en boucle dans la cuisine, toute la journée, annonce des incendies dans le Péloponnèse. « Vous avez entendu ? Vous êtes quand même mieux ici, hein ? »

Antoine et Cécile sont chez eux, font les courses, décident du menu, croient faire plaisir : « Regardez, on a acheté des moules ! » Leurs enfants dictent les heures des repas, « les petits ont faim, allez, à table ! » et nous, au bout de deux jours, n’avons plus la force de négocier, de faire savoir que midi, c’est un peu tôt, que l’été autorise des détours, de déjeuner à 15 heures si l’on veut, mais non, pas ici, alors, de guerre lasse, nous mettons le couvert, nous asseyons, puisque nous n’avons pas le droit de cuisiner (« vous êtes nos invités ! »), mangeons, mastiquons les moules trop cuites, débarrassons, suivons le rythme comme des enfants.
Cet après-midi, c’est visite d’un château, « tous ensemble, hein ? C’est trop chouette que vous soyez là ! », crêperie, marche sur la plage et sous la pluie. Demain, le marché, la plage sous la pluie, musée de la Pêche. Après-demain, la plage sous la pluie, déjeuner à midi, « qu’est-ce qu’il y a comme trucs à faire dans le coin, c’est dingue, non ? » Nous proposons de nous poser à la maison, de lire, « allez-y, profitez-en ! On vous rejoint après ! », mais non, « on ne se voit jamais à Paris, on est ici ensemble, on fait tout ensemble ! » Un jour de plus et les vacances vont finir en bain de sang.

Le septième jour, sans dire un mot, nous réveillons très tôt nos trois gamins : « Ramassez vos affaires, on se casse ! » Nos hôtes dorment encore. Claudia dépose un mot : « On n’en peut plus, de la flotte et des crêpes, du sable gelé trempé par la pluie, des cirés et des polaires, des repas à midi pile, de vos gamins rois, de France Info, de vos remarques à la con, des musées de la Pêche et des moules. De vous non plus, on n’en peut plus. On part prendre des coups de soleil. » Il nous faut trente minutes pour défaire les literies, plier les couvertures, charger le coffre de la voiture de fringues empestant l’humidité et filer à toute berzingue.
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