The Good Business
Manufacture parmi les plus prestigieuses de la scène horlogère et appartenant au groupe Swatch, Breguet a écrit une belle histoire en deux siècles et demi d’existence. La marque a, notamment, construit un langage visuel d’une intensité rare. Ce style intemporel est considéré, par beaucoup, comme l’ancêtre du design moderne.
Il est communément admis que le design est une invention contemporaine, voire récente. La réalité est plus nuancée. On peut en estimer la naissance au fondement de l’école du Bauhaus, dans l’Allemagne du premier tiers du XXe siècle. Y officient les illustres architectes-dessinateurs Walter Gropius, Hannes Meyer ou encore Mies van der Rohe. Mais il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que le terme design soit utilisé plus couramment. Limpide ? Pas vraiment. D’autant que le petit monde horloger identifie communément Abraham-Louis Breguet comme l’inventeur du design moderne.
Né en 1747, ce génial horloger suisse a exercé son art bien avant les créateurs cités précédemment, et il est contemporain du règne de Louis XVI. Il lance son enseigne en 1775 et choisit de s’installer à Paris, où il est allé faire ses classes après avoir mené des études horlogères en Suisse. On est donc bien loin du courant né à Weimar, au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Place à l’épure
Même si l’on peut débattre de l’opportunité du terme pour désigner son oeuvre, il est évident que le travail d’Abraham-Louis Breguet véhicule un style très fort. Lorsque l’horloger ouvre sa maison quai de l’Horloge, dans l’île de la Cité, à Paris, la mode est à l’ornement. Les tocantes du XVIIIe siècle, notamment celles destinées aux femmes, arborent une décoration très chargée, composée de mille fioritures.
Abraham-Louis Breguet n’en a cure. Prenant les tendances de l’époque à contre-pied, il épure le style de ses montres. Peu à peu, il définit de nouveaux codes qui rompent avec ceux de son temps. Il choisit d’aller à l’essentiel en dépouillant de tout ornement superflu les cadrans et les boîtiers. L’objectif étant une plus grande élégance et une meilleure lisibilité.
En ce sens, il se rapproche de la définition du design moderne donnée par Louis Sullivan, architecte américain du XIXe siècle : « La forme suit la fonction. » Jusqu’à aujourd’hui, le langage visuel des montres Breguet est resté fidèle à celui de ses origines. La plupart des codes esthétiques maison sont préservés avec le plus grand respect. Ils ont simplement été adaptés aux différentes époques.
Dates clés
• 1747 : naissance d’Abraham-Louis Breguet dans le canton de Neuchâtel, en Suisse.
• 1762 : l’horloger s’installe à Paris.
• 1775 : il fonde la maison d’horlogerie Breguet, établie quai de l’Horloge, dans l’île de la Cité.
• 1780 : invention de la montre à remontage automatique, dite « perpétuelle ».
• 1784 : Breguet devient horloger de la cour du roi Louis XVI.
• 1801 : Breguet invente le tourbillon.
• 1810 : la maison réalise la première montre-bracelet de l’histoire pour Caroline Murat, reine de Naples.
• 1815 : Breguet est nommé horloger de la Marine nationale.
• 1823 : décès d’Abraham-Louis Breguet.
• 1954 : présentation du chronographe Type XX avec fonction « retour en vol », destinée à l’aéronavale française.
• 1970 : rachat de la marque par Chaumet.
• 1987 : Investcorp reprend l’enseigne.
• 1999 : la manufacture intègre Swatch Group.
• 2006 : utilisation du silicium sur certains modèles.
• 2018 : partenariat avec la fondation Race for Water dédiée à la préservation des océans.
Un style aisément identifiable
Avant la Révolution française, Breguet dispose déjà d’une identité solidement établie, qui s’est transmise, génération après génération, jusqu’à nous. Plusieurs détails distinguent les productions de la manufacture. Le guillochage, tout d’abord. Ce procédé de gravure en creux constitue une signature maison. Il consiste à ornementer les cadrans de montre, en or ou en argent, de traits parallèles rectilignes, courbes ou entrecroisés. Au fil des ans, cet élégant rendu graphique s’est mécanisé, voire automatisé… sauf chez Breguet.
Dans ses ateliers, les tours à guillocher, plus que centenaires, restent actionnés par la main d’un artisan. Ils permettent de travailler la feuille d’or au dixième de millimètre. Puis il y a les « aiguilles à pommes », de fines tiges percées, sur leur partie haute, par un rond excentré et évidé. Imaginées en 1783, elles sont emblématiques de l’esthétique Breguet.
Le monde horloger a d’ailleurs donné le nom « d’aiguilles Breguet » à ces lances graciles. Citons également les cannelures sur la carrure des boîtes. Ces stries répétitives décorent la tranche de la plupart des montres Breguet. Passons maintenant à la signature secrète : le nom de la manufacture est gravé sur chaque cadran de manière quasi invisible.
Seule une lumière rasante permet de détecter ce détail. Particulièrement difficile à imiter, cet ornement avait pour but de déjouer les très nombreuses contrefaçons. Sans oublier les chiffres emblématiques qui ornent bon nombre de cadrans maison. Imaginés par Abraham-Louis Breguet, ils sont à la fois fins et lisibles.
La manufacture utilise aussi couramment les chiffres romains. Enfin, le numéro de référence unique est instauré en 1795. Depuis cette date, chaque montre en possède un. Il permet de suivre, au plus près, la production de la marque. Breguet veille sur son style comme une louve sur ses petits. La manufacture est bien consciente que cette identité esthétique constitue un patrimoine précieux. Elle se compose de ces divers petits détails caractéristiques qui ornaient déjà les montres de poche du XVIIIe siècle et que l’on retrouve sur les garde-temps contemporains de la maison horlogère.
Breguet largue les amarres
Breguet entretient des liens étroits avec le monde maritime depuis le début du xixe siècle. Dès 1815, Abraham-Louis Breguet devient horloger officiel de la Marine nationale. Ses pendules de bord, aussi fiables que précises, sont choisies par Louis XVIII pour équiper ses navires. Quelques décennies plus tard, Jules Dumont d’Urville atteint l’Antarctique pour la première fois, en 1840. Son expédition se fie aux instruments horlogers Breguet, présents à bord de L’Astrolabe et de La Zélée. Pour rendre hommage à ce glorieux passé, la manufacture propose sa collection Marine. La maison horlogère s’est par ailleurs rapprochée, en 2018, de la fondation suisse Race for Water, dont l’objectif est la préservation de l’écosystème marin. Breguet est partenaire de son programme, l’Odyssée, qui court jusqu’en 2021. Le but est de montrer que les déchets plastiques abandonnés en mer peuvent être transformés en gaz ou en électricité. Ce projet s’appuie sur le vaisseau avant-gardiste Race for Water, qui sillonne les mers du globe. Il est propulsé par un cocktail de trois énergies propres : le solaire, l’hydrogène et l’éolien. A chaque escale, ce catamaran écolo‑futuriste accueille des visiteurs. L’occasion pour l’équipe de montrer que le plastique, une fois transformé, c’est fantastique !
Breguet l’innovateur
Concentrés d’élégance, les montres de la manufacture révolutionnent aussi la technique horlogère. Sur ce plan, on admet communément qu’Abraham-Louis Breguet a « tout inventé ». Ou presque. Revenons sur quatre innovations marquantes imaginées par cet horloger visionnaire.
En 1780, le créateur a l’idée d’implanter une masse oscillante au sein d’un mécanisme horloger, et met au point la première montre automatique. Celle-ci réagit aux mouvements du corps et aux secousses de la marche à pied. La force créée est utilisée pour remonter le calibre de la montre. Cette invention, également appelée « montre perpétuelle », supprime la corvée du remontage quotidien. Elle va asseoir la renommée et le succès de l’horloger.
Autre mécanisme horloger élégant développé par Breguet : le tourbillon, breveté dès 1801. Ce dispositif vise à contrer les effets néfastes de la gravité sur la régularité des montres anciennes.
Les archives de la manufacture attestent aussi, dès 1810, d’une commande de montre à accrocher au poignet. Une révolution à cette époque où les montres de gousset, communément appelées « oignons », ont couramment la taille d’un galet et se portent, pour cette raison, dans une poche. Destinée à Caroline Murat, sœur de Napoléon Ier et reine de Naples, cette montre ovale ferait de l’horloger le père de la montre-bracelet… Rien que cela ! C’est pour rendre hommage à cette cliente d’exception, et à son garde-temps historique, que Breguet lance, en 2002, une collection de montres ovoïdes pour femme dénommée Reine de Naples.
L’horloger est également à l’origine d’une complication – encore très prisée aujourd’hui – qu’il invente au début du XIXe siècle : le chronographe. Il ajoute au mécanisme classique de lecture des heures, minutes et secondes une aiguille dite « de compteur », qui permet de mesurer un temps court.
Un souffle nouveau sur la collection Marine
Cette famille de montres rend hommage aux prestigieuses pendules chronomètres Breguet embarquées sur les navires du XIXe siècle. Elles permettaient aux marins de calculer leur cap et leur route sur les océans.
Affichant un nouveau visage depuis 2017, la gamme Marine s’est enrichie de trois nouveaux modèles en 2018. La famille inclut désormais la Marine Chronographe 5527 et la Marine Alarme Musicale 5547 (avec alarme, fuseau horaire et date). La référence 5517 rejoint également le sillage de ces sportives.
Proposée en or blanc, en or rose ou en titane, cette dernière accueille la date dans un guichet à 3 heures. Une pièce qui se pare des codes esthétiques Breguet. Chiffres romains, aiguilles à pomme maison et cannelures de carrure : pas de doute, il s’agit bien d’une production de la prestigieuse manufacture de la vallée de Joux.
La version en titane ne craint pas le contact avec l’eau salée. Ce matériau, robuste et léger, résiste en effet à la corrosion. Les versions en or peuvent recevoir un cadran guilloché à motif « vagues » qui s’accorde bien au caractère de cette montre. Enfin, une édition spéciale Race for Water a été développée. Elle reçoit un guillochage de cadran dont le dessin s’inspire du catamaran écolo-futuriste de cette fondation. Editée en série très limitée, elle est destinée à l’équipage de cet étonnant bateau.
Dans le giron de Swatch
Aujourd’hui, la manufacture perpétue l’esprit pionnier de son fondateur. La marque cherche toujours à révolutionner certaines techniques horlogères. Ainsi, la prestigieuse maison de la vallée de Joux est l’une des premières à avoir misé sur le silicium.
Ce matériau issu du sable est abondamment utilisé dans l’industrie informatique. Amagnétique, léger et élastique, il se révèle parfaitement adapté à l’horlogerie. Dès 2006, Breguet l’utilise pour fabriquer ses spiraux, ses roues d’échappement et ses ancres, entre autres. Depuis 2011, il entre dans la composition de tous les nouveaux mouvements de la manufacture.
Amoureux de l’horlogerie, Nicolas Hayek, l’inventeur de la petite montre Swatch, a tout fait pour intégrer Breguet à son empire. Il vénère l’enseigne pour ses avancées en matière de design et de technique. La prestigieuse maison entre dans le giron du Swatch Group en 1999. Aujourd’hui, elle continue de développer d’admirables montres mécaniques de haute horlogerie qui unissent, comme par le passé, élégance et technologie.