×
bed-in-shop une nouvelle façon d'habiter la ville

Urbanisme // Evasions

Bed-in-Shop : un concept hôtelier solidaire qui relance les villes moyennes

  • Evasions>
  • Urbanisme>

À Romans-sur-Isère, un entrepreneur transforme des boutiques abandonnées en chambres d’hôtes solidaires. Un projet local, social et durable qui redonne vie au centre-ville et implique les jeunes du coin.

C’est une histoire que l’on a aimée, celle de l’enfant du pays qui s’est bougé pour son territoire. François-Xavier Chambost est un amoureux viscéral de Romans-sur-Isère. Cette petite cité drômoise, célèbre pour ses chaussures, s’est peu à peu endormie après la crise industrielle, comme des dizaines de villes moyennes en France, désertées au profit des grandes métropoles. Dans le centre-ville, les vitrines vides et le silence des lieux à la gloire oubliée, bientôt sauvés par les « bed-in-shop« .


Lire aussi : Le Havre : de la cendre à l’UNESCO, récit d’une cité sacrifiée


Refaire vivre l’âme des boutiques oubliées

Un jour de 2017, en longeant ces devantures abandonnées, cet entrepreneur un peu foutraque mais à la vision précise se prend d’une idée folle — ou lumineuse. En voyant des ados désœuvrés traîner devant un tas de palettes, il imagine une forme de poésie sociale : et si on réaménageait ces boutiques vides en chambres d’hôtes ? Et si les jeunes fabriquaient eux-mêmes les meubles ? Et si ces lieux devenaient une vitrine du territoire ? Ainsi est né le concept des Bed-in-Shop, un ovni hôtelier prometteur.

« C’est spontané, tu as une intuition, tu ne sais pas expliquer comment elle te vient, mais tu y crois tout de suite », lâche-t-il de sa gouaille. Formé à l’incubation de projets à impact, il parvient à la concrétiser avec un peu de fonds publics et beaucoup de système D. Sept anciennes boutiques de Romans sont transformées en hébergements en cinq ans. « On travaille avec les propriétaires d’immeubles qui ont des locaux commerciaux en rez-de-chaussée et on les transforme totalement », reprend-il. Non pas comme des hôtels standardisés, mais comme des lieux inspirés de leur passé, dont les vitrines, très travaillées, reprennent un imaginaire ancien : ici un apothicaire ; là un ancien bouquiniste.

Son concept repose d’abord sur un pilier esthétique : chaque boutique abandonnée est pensée avec une décoratrice et meublée en bois de récupération pour en faire un lieu d’expérience sensible, une immersion dans la mémoire du commerce. Il faut pour cela trouver des locaux, 50 mètres carrés de surface pour multiplier les clientèles. « S’il y a du charme, c’est mieux : avoir une voûte apparente en intérieur, un cachet, c’est plus agréable », précise-t-il. Pas de problème pour ça, Romans-sur-Isère compte un patrimoine historique remarquable.

Derrière cette devanture de bouquiniste, un bed-in-shop.
Derrière cette devanture de bouquiniste, un bed-in-shop.

Montage financier habile

Le montage économique est ingénieux : François-Xavier Chambost ne rachète pas les locaux, mais convainc les propriétaires d’investir 50 000 euros pour les rénover. Les travaux sont gérés par l’entrepreneur et remboursés sur sept ans via un loyer mensuel. À terme, le propriétaire récupère un local remis à neuf, défiscalisé, valorisé — et habité.

L’effet d’entraînement profite à tout le quartier. C’est le deuxième pilier, social : les Bed-in-Shop appartiennent à l’économie sociale et solidaire. Chambost a embarqué avec lui des éducateurs de rue, organisé des chantiers d’insertion avec des ados pour fabriquer le mobilier. « Nos chantiers ont été assez épiques, se souvient-il. Le but pour les éducateurs, c’était d’occuper les gamins, moi de faire du mobilier, les gamins de faire un truc qu’ils ne savaient pas faire. Une fois que la première boutique a été achevée, nous avons été interviewés par un journaliste ; ils étaient 8 ou 9 ados, surexcités, c’était la première fois de leur vie qu’un média leur donnait de la considération. »

L’entrepreneur ne s’arrête pas en si bon chemin, puisqu’il décide également de créer des visites du centre-ville de Romans, guidées par ces jeunes formés par une compagnie de théâtre. Et même s’ils ne maîtrisent pas tout, ils expérimentent néanmoins quelque chose de nouveau. « Ce n’est pas parfait, mais c’est inoubliable », commente sobrement Chambost, non sans fierté.

Les intérieurs sont pensées par une décoratrice.
Les intérieurs sont pensées par une décoratrice.

Bed-in-shop : projet écolo

Tout repose sur le recyclage, la seconde main, l’art de valoriser l’existant. Emmaüs, brocantes, récup’ : rien de neuf ou presque n’entre dans les lieux. « C’est comme une économie bleue, locale et circulaire, dit-il. Des boutiques abandonnées, des jeunes sans projet, des palettes à recycler : on les met ensemble et ça crée de l’énergie. » Et de l’emploi. Et de la fierté. C’est là le troisième pilier du concept, écologique.

Mais c’est en fait surtout une question de soutenabilité du territoire dont il est ici question, une réponse concrète au déclin des centres-villes, duplicable ailleurs. Il fallait seulement y penser. « Dès le départ, mon idée consistait à valoriser le centre-ville de Romans-sur-Isère », nous explique-t-il. Résultat : 75 % de taux d’occupation à l’année, dans une ville qui n’est pas une destination touristique majeure. Les Bed-in-Shop accueillent ainsi une clientèle d’affaires comme de loisirs, intégrée dans le centre historique pour aider, par leur présence, à dynamiser les commerces existants. Les habitants, les commerçants, les politiques, tout le monde y trouve son compte.

Le projet est solidaire.
Le projet est solidaire.

Une solution pour les villes moyennes en déclin

Aujourd’hui, l’entrepreneur regarde plus loin. Montélimar, Tournon-sur-Rhône, l’Hermitage… Partout où il y a des boutiques vacantes et un soupçon de fréquentation touristique, le modèle peut s’implanter. « Il faut être très stratégique, choisir des villes en sortie d’autoroute, des lieux de vacances, du savoir-faire local », se projette-t-il. Valoriser les qualités de la ville, les Bed-in-Shop deviennent vitrines du territoire. Il confie déjà : « Moi, je ne veux pas faire du business pur. Je ne lâcherai jamais l’économie sociale et solidaire. Je veux garder ma mentalité. Étendre dans les zones touristiques, villages médiévaux où il y a du charme, on n’oublie pas l’esthétique. »

À rebours de l’uniformisation urbaine, ce concept atypique propose une autre manière de voyager : ralentie, ancrée, locale. Dormir dans l’âme d’une boutique, rencontrer les jeunes qui l’ont meublée, dépenser son argent dans le café d’en face. Et, mine de rien, réveiller une ville.


Lire aussi : Bretagne : vue mer et calme absolu au tout nouvel hôtel Les Bassans


 

Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture