Horlogerie
Vous connaissez Pinocchio, mais connaissez-vous Pinocchia ? Cette créature plantureuse et généreuse, oeuvre d’un sculpteur solitaire et frustré, est la victime toute désignée des filous comme des mâles en rut. L’amour, paternel et romantique, finira heureusement par triompher… comme toujours.
C’est l’histoire d’un vieux menuisier nommé Galipetto. Pauvre et solitaire, il sculpte des personnages en bois dans sa masure perdue en pleine forêt. C’est curieux, ce brave homme nous rappelle quelqu’un… Geppetto, bien sûr ! Geppetto, le créateur d’une marionnette qu’il baptisa Pinocchio. Tous les deux furent imaginés par l’écrivain italien Carlo Collodi dans un roman publié en 1881. Galipetto, donc, accablé par le célibat et rongé par la frustration, préfère quant à lui sculpter une jeune femme, qu’il nomme Pinocchia, afin de meubler sa solitude.
Il ne fait que suivre le conseil de son reflet dans le miroir, qui exprime la part refoulée de sa personnalité et l’encourage à se débarrasser de ses tabous. « Plus gros, les nichons ! », lui ordonne ce double lubrique, tandis que Galipetto, penché sur son oeuvre en gestation, joue de la gouge et du polissoir. Une fois son travail achevé, il ne reste plus à celui-ci qu’à animer sa créature, au moyen d’une acrobatie que la décence nous interdit de décrire dans ces pages.
D’Emmanuelle à Pinocchia
Si Pinocchia doit la vie à Galipetto, elle est d’abord la fille du scénariste Francis Leroi et du dessinateur Jean-Pierre Gibrat, qui l’introduisent en 1995 dans les pages du magazine L’Echo des savanes, d’après une idée de Jean-Luc Fromental. Gibrat n’est pas encore l’auteur du Sursis, qui verra le jour deux ans plus tard, et sera suivi du Vol du corbeau, puis de Mattéo, autant d’albums qui feront entrer leur créateur dans la famille des auteurs populaires.
S’il peut s’enorgueillir d’un succès d’estime auprès des amateurs de bande dessinée grâce au personnage de Goudard, écrit par Jackie Berroyer, il reconnaît aujourd’hui, au cours d’un entretien avec Rebecca Manzoni, publié dans Gibrat – L’Hiver en été (éditions Daniel Maghen), qu’il s’agissait « plus d’une “petite estime” que d’un petit succès ! » En ce milieu des années 90, Jean-Pierre Gibrat est encore insatisfait de son travail comme de son parcours de dessinateur.
Il ne prendra sa pleine mesure qu’avec Le Sursis, première histoire dont il signe à la fois le dessin et le scénario. Ce qui ne l’empêche pas de conjuguer, dans Pinocchia, la finesse du trait et la maîtrise des couleurs. Quant à Francis Leroi, il est connu pour être l’un des noms les plus en vue de « l’âge d’or » du cinéma X français. Producteur et cinéaste, il est à l’origine de quelques classiques pornographiques, dont les titres sont aussi évocateurs que poétiques, comme Lèche-moi partout ou L’infirmière n’a pas de culotte.
Il est aussi le réalisateur du quatrième volet de la saga des Emmanuelle. L’homme n’est donc pas une oie blanche en matière de coquineries. Dans les années 80, il a même signé les scénarios de bandes dessinées érotiques, Dodo, 13 ans, en présence de sa tante seulement et Les Perles de l’amour, mis en images par le délicieux G. Lévis, adepte d’un trait d’une élégance suggestive. Lequel, pour la petite histoire, n’était autre que Jean Sidobre, illustrateur de récits pour la jeunesse comme Le Club des cinq, d’Enid Blyton…
Les vertus du mensonge… et de la fessée !
En 1978, un volume des Contes satyriques, publiés par Elvifrance, célèbre éditeur de bandes dessinées polissonnes, mettait en scène un bonhomme de bois au nez proéminent, comme Pinocchio. Pinocchia présente une caractéristique qui évoque, elle aussi, le personnage de Collodi. Quand elle ment, ce n’est pas son appendice nasal, mais ses seins qui se mettent à grossir. Ce qui la sauve de la noyade : il lui suffit de proférer de faux mensonges pour voir sa poitrine gonfler et lui permettre de flotter.
Guidée par la quête de son père et par l’amour qu’elle éprouve pour le beau Lorenzo, Pinocchia fait l’expérience de la vie. Elle tâte de la fessée (seule capable de faire revenir ses seins à leur taille naturelle) et goûte au lesbianisme. Hélas, tout au long du récit, la malheureuse est victime de sa naïveté, de son ignorance du monde et de la cupidité de deux sinistres personnages qui rappellent le Chat et le Renard du roman de Collodi.
Elle finira par retrouver son cher « papa » dans une baleine, comme Pinocchio, mais celle-ci est en réalité un sous-marin nucléaire transformé en lieu de plaisir pour milliardaires. Avant de découvrir qu’elle est enfin devenue « une vraie femme », et de donner naissance à un petit garçon dont le visage ne nous est pas inconnu… Et voilà !
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