Horlogerie
Une nouvelle édition des aventures érotiques et oniriques de Valentina offre l’occasion de revenir sur cette figure mythique de la bande dessinée, créée en 1965 par le dessinateur de BD milanais Guido Crepax.
Elle s’appelle Valentina Rosselli. En apparence, elle est photographe de mode dans l’Italie des sixties. On la reconnaît à sa coupe de cheveux qui lui donne un petit air de Louise Brooks, célèbre actrice américaine du cinéma muet des années 1920. Mais la belle Valentina ne se contente pas de prendre des photos. Son terrain de jeux ne se limite pas à l’exercice de son métier. Elle s’échappe volontiers du réel, aussi glamour soit-il, pour enjamber la frontière, parfois ténue, qui la sépare du rêve. L’imagination est un atout majeur pour l’exercice de la photographie, mais aussi pour la mise en scène de fantasmes.
Au départ, Valentina se contente de jouer les seconds rôles au côté de Neutron, une sorte de superhéros justicier aux pouvoirs psychiques. Puis elle s’affirme comme une personnalité de premier plan et nous entraîne dans ses voyages intérieurs et oniriques, au cours desquels elle est plus souvent qu’à son tour ligotée et bâillonnée, tout au long de scènes sadomasochistes teintées d’un érotisme cérébral. Mais si elle se retrouve dans des positions que la décence nous interdit de décrire ici, soumise à la volonté de domination et aux caprices sexuels des membres de son entourage, Valentina ne sombre jamais dans la vulgarité. Chez elle, la grâce et l’élégance sont une seconde nature. Rien d’étonnant si elle s’est vite imposée comme une icône de la bande dessinée, qu’il n’est jamais trop tard pour redécouvrir.
De Barbarella à Valentina
La création de Valentina remonte à 1965, soit un an après la publication en album des aventures d’une autre héroïne au nom évocateur, la Barbarella de Jean-Claude Forest. Son « père » est un Milanais, Guido Crepax (1933-2003), qui a d’abord suivi des études d’architecture avant de s’orienter vers la bande dessinée.
Le personnage apparaît pour la première fois dans Linus, magazine italien de BD qui inspirera notre Charlie mensuel publié à partir de 1969 sous la houlette de Georges Wolinski. En France, elle effectue ses premiers pas dans Hara-Kiri, en juin 1968, période de remise en cause des tabous et des interdits. Valentina doit beaucoup aux pochettes de disques de jazz, aux illustrations de couvertures de livres et aux travaux de graphisme publicitaire réalisés par Crepax, qui a forgé son style original à travers ces nombreuses collaborations.
Valentina, une femme libre
Cette nouvelle édition publiée chez Dargaud, en douze tomes de plus de 200 pages chacun, offre l’occasion d’apprécier sous un jour nouveau l’œuvre majeure de Guido Crepax. L’éditeur a opté pour une présentation chronologique et en couleurs, alors que Valentina avait été publiée jusqu’alors en noir et blanc, ce qui contribue à faciliter la lecture de planches dont la construction et la narration sont parfois complexes et sophistiquées.
Chaque volume est accompagné d’un texte qui permet de situer l’œuvre dans son contexte historique et dans le parcours de l’auteur, tandis que la présentation de l’arrière-plan des histoires contribue à une meilleure compréhension du propos de Crepax, qui n’hésitait pas à remanier ses récits. Il n’hésitait pas non plus à faire vieillir son héroïne, ce qui était novateur pour l’époque.
Valentina, dont le visage évoque aussi celui de Luisa Mandelli, la femme de Crepax, a d’abord été critiquée par les militantes féministes, avant que celles-ci ne reconnaissent la singularité de ce personnage, libre dans ses mœurs comme dans la maîtrise de son destin. Quant à Guido Crepax, considéré par Hugo Pratt comme « le premier qui s’est adressé à un public d’adolescents et d’adultes », il ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Après avoir donné naissance à Valentina, cet amateur de littérature érotique adaptera en bande dessinée quelques-uns des classiques du genre : Histoire d’O, Emmanuelle ou Justine, de Sade.
Valentina, l’intégrale, tome 1 (1965‑1966), Guido Crepax, Dargaud, 224 p., 35 €.