- Getaway>
- The Good Guide>
Vous aimez les longues marches sur la plage, les sports nautiques et le folklore aussi flippant qu'intriguant ? Offrez-vous un week-end à Jersey, une île que l'on croit connaître, mais dont les mystères méritent encore d'être percés.
La magie fait partie intégrante des légendes de Jersey. C’est ce que je découvre lorsque j’arrive sur le tarmac de l’aéroport de Saint-Pierre. Une heure et vingt minutes de vol ont suffi pour rejoindre l’île anglo-normande depuis Paris-Charles-de-Gaulle, et pourtant, le temps n’a bougé que de vingt minutes. La faute (ou plutôt la chance) au décalage horaire qui joue en ma faveur. La magie a d’ailleurs commencé à opérer depuis le hublot, lorsqu’en survolant cette île de la Manche, mon cœur s’est emballé en voyant ce camaïeu de verts et de bleus, comme si la mer jouait à cache-cache avec la terre au fil des marées. Ces dernières sont d’ailleurs les troisièmes au monde en termes d’amplitude : à marée basse, l’île double sa superficie, transformant radicalement le paysage en quelques heures.
Lire aussi : Guernesey : que voir, quoi faire, sur l’île de Victor Hugo ?
Premiers pas à Jersey
Sur la côte nord, à St Mary, on trouve le Devil’s Hole (le « Trou du Diable »), un gouffre naturel creusé par l’érosion marine dans la falaise. Lorsque la mer est agitée, les vagues s’y engouffrent, provoquant un grondement sourd, des vibrations et parfois des jets d’eau spectaculaires. Ce vacarme et cette violence naturelle ont longtemps intrigué les habitants, qui y ont vu une manifestation surnaturelle.
Les Jersiais ne sont pourtant pas du genre à se laisser impressionner. C’est ce que m’apprend Mel, une insulaire pure souche, pour qui les légendes de son île n’ont presque plus aucun secret. Elle m’indique que les vieilles maisons de l’île possèdent un witch seat, de petits bancs de pierre incrustés de chaque côté de la porte d’entrée principale. Leur fonction ? Repousser les sorcières, qui, paraît-il, étaient nombreuses. On sait qu’entre le XVe et le XVIIIe siècle, l’île a connu plusieurs procès pour sorcellerie, au moins une vingtaine étant documentés. Les femmes accusées étaient souvent marginalisées, guérisseuses ou simplement victimes de rumeurs. La croyance voulait qu’une sorcière ne puisse entrer dans une demeure sans s’asseoir pour se reposer d’abord. Les witch seats auraient donc été installés pour les attirer et les piéger à l’entrée, leur faisant perdre du temps ou les dissuadant d’entrer. Certaines auraient été enfermées dans les cachots humides du château de Mont Orgueil, perché au-dessus du village de Gorey, sur la côte est de l’île.
Construit vers 1204, juste après que Jersey est passée sous domination anglaise à la suite de la perte du duché de Normandie par le roi Jean d’Angleterre, le château a été érigé pour renforcer la défense de l’île face aux menaces françaises. Depuis, il a été agrandi et restauré au fil des siècles, devenant un symbole historique majeur de Jersey. J’y admire, au loin, les côtes françaises, laissant les esprits fantassins derrière moi pour me concentrer sur l’essentiel : savourer Jersey au présent, en commençant par une visite au restaurant.

Avoir la patate
Il suffit de deux kilomètres en longeant la mer pour arriver au Driftwood Café, un établissement cosy situé en bord de plage, comme il en existe des dizaines sur l’île. Les pêcheurs Gabby Mason et Leyton Hunnisett viennent apporter leurs trouvailles du jour en cuisine : homard, fruits de mer et poissons frais. Mais une autre star incontournable de l’île vient me titiller les papilles : la Jersey Royal, une petite pomme de terre cultivée exclusivement localement. J’apprends que son goût unique provient d’un ingrédient inattendu : les algues. Récoltées sur les plages de l’île, elles sont utilisées comme engrais naturel depuis des siècles. Riches en minéraux, elles nourrissent la terre, favorisent une culture plus durable et renforcent la saveur de ces pommes de terre que je déguste à la vapeur, avec un peu de beurre, une autre spécialité de Jersey : simple et efficace.
La Royal accompagne aussi divinement les haricots verts de saison, servis dans un autre restaurant, l’Upstairs at Anley Street, dans la ville de St Helier. Cet établissement intimiste est l’endroit parfait pour ceux qui veulent déguster une cuisine british classique, dont les pies tiennent du chef-d’œuvre.
Impossible d’ailleurs de séjourner sur l’île sans gober celle qui squatte les plages de Jersey en toute liberté (ou presque) : l’huître de Jersey. En passant près de la baie de Grouville, je remarque, à marée basse, des quadrillages d’un vert intense disposés sur la plage : des millions d’huîtres creuses y sont élevées sans qu’un dispositif de sécurité ne soit mis en place, les habitants préférant acheter loyalement ces petits trésors iodés plutôt que d’aller se servir sans rien demander — et c’est à cet instant précis que je me rends compte que mon cerveau de Français, toujours prêt à une filouterie, doit sérieusement être reprogrammé.
Trudie Hairon, une Allemande tombée amoureuse de l’île (et d’un habitant) il y a quelques années, m’embarque dans une randonnée sur la plage afin de m’éduquer sur ces mollusques. Avec son mari, elle dirige Jersey Walk Adventures, un organisme qui propose de partir à la rencontre de la faune, de l’histoire géologique et des secrets du littoral de l’île.
Clou du spectacle : Trudie me fait goûter les algues fraîches (étonnamment savoureuses) qui tapissent les filets de protection des huîtres et m’invite à presser entre mes doigts une autre espèce d’algue afin d’en extraire un liquide qui, paraît-il, me protégera du soleil. Une activité manuelle qui ne doit en aucun cas remplacer votre SPF 50, car, bien qu’étant au nord, les rayons du soleil savent taper aussi fort qu’un des alcools produits sur l’île : un gin à consommer avec modération, mais dont le goût, à lui seul, vaut le déplacement.
Une production locale dont vous êtes le héros, puisqu’Alex Curtis, propriétaire de La Côte Distillery, vous invite à fabriquer vous-même votre breuvage, et à repartir avec. Ayant commencé l’art de la distillation à 21 ans, il profite aujourd’hui de sa décennie d’expérience pour partager son savoir. Libre à vous de confectionner votre propre gin en choisissant parmi des dizaines d’ingrédients, de la lavande à la sauge, en passant par le bouton de rose ou le piment. En moins de deux heures, je repars avec ma bouteille sous le bras, un gin 100 % personnalisé que j’ai pu nommer à ma guise (et dont je tairai le nom, craignant un espionnage industriel de masse). Car si vos amis sont conquis par votre recette, il est possible de demander à Alex de mettre en bouteille autant d’exemplaires que vous le souhaitez, pour 45 £ l’unité.
Se penser à Jersey
On peut rester concentré sur la gastronomie, mais il faut préciser qu’un séjour à Jersey permet aussi de brûler quelques calories.
Et quoi de mieux, pour découvrir l’île, que d’enfourcher un vélo (on vous autorise l’option électrique) et de partir à l’assaut des quatre côtes de l’île ? Sa petite taille (14,5 km de long sur 8 km de large) permet, sur une ou plusieurs journées, de parcourir l’itinéraire côtier de 60 km. Localisé à St Helier, Lakeys Bike Hire fournit un matériel de qualité et vous laisse décider si vous souhaitez découvrir l’île en solo ou guidé.
Si vous être plutôt sorties marines, les amateurs de glisse trouveront à coup sûr leur bonheur. Sur la côte ouest, la baie de St Ouen s’impose comme le spot incontournable : 5 kilomètres de sable balayés par des vagues puissantes, idéales pour les surfeurs de tous niveaux. Pour s’équiper ou prendre un cours, direction les écoles locales comme la Jersey Surf School. Les débutants préfèreront les eaux plus calmes du Braye, tandis que les riders aguerris tenteront leur chance à Watersplash, réputé pour ses conditions plus sportives.
En résumé, Jersey se destine à tous les amoureux de l’évasion (et pas que fiscale).
Comment se rendre à Jersey ?
Blue Islands opère au départ de Paris CDG deux vols par semaine, les lundis et jeudis du 22 mai au 30 octobre, à partir de 107 €.