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Naples est prise en tenailles entre deux volcans en activité : le Vésuve et les champs Phlégréens, surveillés très attentivement afin de détecter une reprise d’activité et d’anticiper une éventuelle éruption. Dans un pareil cas, il faudrait évacuer près d’un million de personnes en quelques jours…
Peint par Turner, mais aussi par Andy Warhol, montagne sacrée pour les Grecs et les Romains, le Vésuve domine la baie de Naples comme un bon géant. A le voir là, au quotidien, les Napolitains s’y sont habitués. Ils commentent ses fumerolles, et les nuages qui s’y accrochent leur servent d’indicateur météo. Le cône du Vésuve fait désormais partie de leur imagerie comme de leurs superstitions. De nature fataliste et particulièrement résilients, les Napolitains ont oublié qu’un volcan inactif n’est pas éteint pour autant. Bien sûr, ils se souviennent de ses éruptions, dont la dernière ne date que de 1944. Mais l’attrait de ses terres volcaniques, riches et fertiles, reste plus grand que la crainte qu’il devrait inspirer.
Depuis quelques années, ce sont surtout les champs Phlégréens, voisins du Vésuve mais bien moins célèbres que lui, qui rappellent aux Napolitains qu’ils vivent sur une terre fragile dont les profondeurs peuvent, à tout moment, s’agiter à nouveau. Car il s’agit bien là d’un supervolcan, appellation qui désigne les volcans les plus gros et les plus menaçants, capables d’éruptions dévastatrices. Les champs Phlégréens sont situés au nord-ouest de Naples, à moins de 15 km à vol d’oiseau du Vésuve, au bord du golfe de Pouzzoles. Dépourvus de cônes, ils forment une immense caldeira, c’est-à-dire une très grande dépression formée par les éruptions passées, qui comporte plusieurs cratères. Des fumerolles sentant le soufre s’échappent toujours de cheminées éparses. Là aussi, le volcan fait désormais partie du quotidien et du paysage. Malgré leur allure relativement calme, le Vésuve et les champs Phlégréens constituent, ensemble et séparément, une véritable menace pour toute la baie de Naples et même au-delà. « Ce sont les volcans les plus dangereux du monde », affirme Francesca Bianco, directrice de l’Observatoire du Vésuve. Cet institut surveille les volcans de la région (Vésuve, champs Phlégréens, Ischia et Stromboli) et mène d’importants travaux de recherche en volcanologie. « Le Vésuve et les champs Phlégréens sont particulièrement dangereux pour deux raisons. D’une part, ils pourraient provoquer des éruptions explosives extrêmement dévastatrices. Ces éruptions génèrent des nuées ardentes, chargées de cendres, de gaz toxiques à très haute température et de fragments de roche, auxquelles il est impossible d’échapper. D’autre part, ils sont situés dans des zones à haute densité d’habitation », détaille-t-elle.
Des volcans sous haute surveillance
Certes, le Vésuve et les champs Phlégréens n’ont pas fait parler d’eux depuis un moment. Leurs dernières éruptions datent respectivement de 1944 et de 1538. Depuis, d’autres volcans leur ont volé la vedette. Le Kilauea, situé dans l’île d’Hawaï, est en éruption quasi continue depuis janvier 1983. En juin 1991, c’est le Pinatubo qui a fait parler de lui. Ce volcan philippin est entré en éruption après 500 ans de sommeil. Conséquence : la température moyenne de la planète a baissé de 0,6 °C pendant les deux années qui ont suivi. En avril 2010, l’éruption du volcan islandais au nom imprononçable d’Eyjafjallajökull a bloqué le trafic aérien, entraînant l’annulation de 100 000 vols en Europe. Mais, depuis 2012, le niveau d’alerte pour les champs Phlégréens est passé du vert, niveau de « base », au jaune, niveau « attention ». Il existe deux autres niveaux : orange « préalerte » et rouge « alerte », signal pour l’évacuation. Pour chacun des volcans, l’Observatoire du Vésuve mesure de nombreux paramètres : gravitation, dilatation, soulèvement du sol, intensité des nombreux tremblements de terre qui agitent leur sous-sol, températures, composition chimique, etc. Il publie les résultats de cette surveillance sur son site, dans des bulletins hebdomadaires et mensuels à grand renfort de schémas, d’histogrammes et de diagrammes qui se concluent sur la stabilisation ou l’évolution du niveau d’alerte. Si ce niveau reste vert et stable pour le Vésuve, le passage au jaune pour les champs Phlégréens suscite bien des inquiétudes. « L’association de l’observation, de la surveillance par des mesures permanentes et de la recherche scientifique nous raconte l’histoire dynamique de nos volcans. Cela nous permet de connaître leur état et de détecter les variations qui seraient signe de reprise d’activité. Ce sont des volcans actifs. Un jour ou l’autre, il y aura une éruption. Mais il est absolument impossible de la prévoir », insiste Francesca Bianco. Et encore plus de l’empêcher…
Naples, une situation explosive
Si le Vésuve et les champs Phlégréens sont tous les deux dangereux, d’autant plus qu’ils sont insérés dans un tissu urbain très dense, les risques diffèrent d’un volcan à l’autre. Pour le Vésuve, l’éruption et les coulées de lave se feraient en un seul point, le cône, et elles résulteraient de la remontée vers la surface du magma. Actuellement, celui-ci se situerait à une profondeur de 8 à 10 km. « S’il remonte, le phénomène sera mesuré, nous pourrons anticiper l’éruption et nous aurons le temps de lancer le plan d’évacuation », explique Francesca Bianco. En revanche, il est plus difficile de savoir par laquelle des nombreuses bouches des champs Phlégréens se fera la prochaine éruption. Et les mesures relevées depuis cinq ans montrent de légers signes d’activité. L’Observatoire a notamment mesuré une augmentation des teneurs en monoxyde et en dioxyde de carbone dans les fumerolles. Cette augmentation n’entraîne pas de nuisance immédiate, mais elle montre que la température à l’intérieur du volcan augmente progressivement, signe d’une possible reprise de l’activité. De plus, le phénomène de bradyséisme, caractéristique des champs Phlégréens, fait que le sol se soulève et se rabaisse très lentement. Le sol s’est ainsi élevé de 45 cm au cours des dix dernières années, « mais c’est beaucoup moins qu’entre les années 70 et 80, où il s’était élevé de 3,5 mètres et même plus en certains endroits », précise Francesca Bianco. L’Ufficio Emergenza – le bureau des urgences – de la protection civile italienne a défini des plans d’urgence et les périmètres des zones qui seront évacuées en priorité en cas d’alerte. « Ces zones rouges concernent 800 000 personnes pour le Vésuve, et plus de 300 000 pour les champs Phlégréens. A priori, les deux volcans ne seront pas actifs en même temps, car ils sont de nature différente, mais c’est tout de même un véritable défi d’évacuer autant de monde en quelques jours », détaille Titti Postiglione, directrice de l’Ufficio Emergenza. Et elle sait de quoi elle parle ! Rompue aux situations de crise, elle est la plus jeune responsable d’un centre d’urgence en Europe, et c’est elle qui dirige l’ensemble des opérations depuis les récents tremblements de terre qui ont eu lieu dans la région des Marches et dans le centre de l’Italie. « Le plan de fuite prévoit d’évacuer le plus rapidement possible la zone rouge, mais il prévoit aussi la mise en sécurité des infrastructures nécessaires à l’évacuation, des réseaux de transport et de communication, des hôpitaux, des biens culturels, etc. », précise-t-elle. La Protezione Civile a prévu des jumelages avec les autres régions d’Italie pour accueillir les populations évacuées « car leur déplacement risque de durer plusieurs mois », ajoute Titti Postiglione. Le risque volcanique est le premier risque en Italie, et « une éruption aurait un impact énorme, supérieur à celui des tremblements de terre même les plus violents que nous avons connus. » Et cet impact concernerait toute l’Europe. Alors, comme les Napolitains, croisons les doigts et espérons que le sommeil de ces volcans se prolonge le plus longtemps possible !
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