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Avec le turbocompresseur, Renault a révolutionné la compétition, en F1 comme en endurance. Il était logique d’en appliquer la technique aux modèles de route, de la très chic 5 Alpine Turbo à la très radicale Renault 5 Turbo.
Si vous pensez Renault et turbo, une image vous vient à l’esprit. Pas celle d’une Renault 18, première Renault de série dotée d’un turbo, ni celle de René Arnoux contre Gilles Villeneuve sur le circuit de Dijon. Mais celle d’une Renault 5 bodybuildée, rouge grenade ou bleu Olympe, avec jantes larges et grosses prises d’air. Le fait d’y penser plus spontanément qu’à l’un des affrontements les plus mémorables de la F1 traduit le statut exceptionnel de la Renault 5 Turbo.
Elle transcende les générations et les enfants en rêvaient encore dans les années 90, bien après ses heures de gloire. Sa mère spirituelle est la Renault 5 Alpine atmosphérique (dénommée Gordini en Angleterre, car le nom Alpine appartenait à Chrysler). Lancée en 1976, quelques mois après la Golf GTI, elle est équipée d’une version 1,4 litre du moteur Sierra, dit « Cléon-fonte », qui développe 93 ch : belle progression par rapport aux 42 ch du moteur 1,2 litre de la version de base.
Même si elle n’égale pas la Golf en accélération, elle est à la hauteur des BMW 525, Rolls- Royce Silver Shadow ou Rover 2600, comme le soulignent certains articles d’époque. Et, rapidement, elle s’octroie quelques succès sportifs : en 1978, Jean Ragnotti signe une remarquable deuxième place au Rallye Monte- Carlo, devant son coéquipier Guy Fréquelin et devancé seulement par la Porsche 911 de Jean-Pierre Nicolas. Walter Röhrl n’arrive que quatrième. « La R5 Alpine était spectaculaire, rappelle Jean Ragnotti en souriant, mais elle avait un moteur ancien. Elle était vraiment agile, virant tout en glisse, surtout l’arrière, car les pneus étaient étroits. C’était une fabuleuse école de pilotage et elle m’a énormément appris. »
« Les Anglais ne croyaient pas au turbo »
Sur la route, elle est plus ferme que toutes les Renault 5 qui l’ont précédée, avec des barres antiroulis à l’avant et à l’arrière et des barres de torsion 5 % plus grosses. Extérieurement, elle est plus agressive que la version standard, qui accuse déjà presque 10 ans. Un spoiler avant lui donne une allure plus sportive, impression accentuée par les deux projecteurs Cibié. A 34 600 francs en 1977, elle n’est pas bon marché, mais ce n’est rien par rapport à ce qui se prépare. Car en 1979, Renault révolutionne la compétition. Son moteur V6 de 1,5 litre turbocompressé signe enfin en formule 1 sa première victoire contre le Cosworth traditionnel, après deux ans de cauchemars dus à une fiabilité difficile à maîtriser.
Avec 13 abandons en 16 courses au cours des saisons 1977 et 1978, une quatrième place à Watkins Glen est l’un des rares résultats encourageants de ce projet risqué. Mais les choses progressent en endurance, comme en témoigne Le Mans. A cause du moteur fragile, Porsche remporte l’édition 1977, mais Jean-Pierre Jaussaud et Didier Pironi prennent leur revanche l’année suivante avec le V6 turbo 2 litres.
Une fois l’affaire conclue, la concentration se reporte sur la F1 pour, enfin, réussir à faire les gros titres. « Les Anglais ne croyaient pas au turbo, indique René Arnoux. Tout le monde disait que ça ne marcherait pas. Mais chez Renault on m’affirmait “René, tu verras : bientôt ils voudront tous ce moteur !” Je n’ai jamais pensé que ça ne marcherait pas. »
Renault, le temps des victoires
Enfin, après une seule arrivée en six départs, advient la victoire 100 % française de Jabouille au Grand Prix de France : équipe, pilote, voiture, moteur, pneus et huile Elf, tout est français. Le couronnement des efforts. La RS10 et ses turbos KKK ont succédé à la RS01 et elle révolutionne la F1, comme Cooper l’a fait vingt ans plus tôt avec son moteur arrière. Mais, contrairement à Cooper, la Régie peut exploiter ce résultat mondial sur ses voitures commercialisées.
Renault a déjà dans ses cartons son fer de lance à moteur turbo. Le constructeur choisit de radicaliser la 5 plutôt que la 20, pour apporter à la gamme compacte le panache qui lui manque. De plus, le Projet 822 peut permettre à Renault de s’attaquer sérieusement au Championnat du monde des rallyes. Jean Terramorsi, directeur produit chargé des petites séries, est le visionnaire qui a, dès 1976, l’idée de ce programme, avant qu’une crise cardiaque ne l’empêche de voir le projet arriver à son terme ; c’est Gérard Larousse, directeur de Renault Sport, qui en assure la responsabilité.
Un mois après le décès de Terramorsi, survenu en août 1976, un prototype Renault 5 Turbo est prêt, sous forme de maquettes de style réalisées par Bertone sous la direction de Renault. Le carrossier de Turin, et en particulier Marc Deschamps, donne à l’arrière sa forme spectaculaire, et le premier dessin est terminé en mai ; Marcello Gandini finalise la maquette en plâtre quelques mois plus tard. Présenté au siège de Renault, le projet impressionne et reçoit le feu vert. Heuliez est alors chargé de le transformer en voiture fonctionnelle.
Une Renault 5 Turbo sur les podiums
Larrousse est le premier à prendre le volant d’un prototype, en 1978, avant qu’Alain Serpaggi, champion d’Europe des voitures de sport 1974 (Alpine A441), soit chargé des essais du premier prototype à Dieppe, chez Renault Sport. Un prototype rouge non roulant est exposée au Salon de Paris, et le public n’y voit qu’un concept-car, mais la presse a droit à un aperçu du « prototype noir » de Serpaggi à la fin de la saison, lors d’un événement Renault spécial sur le circuit Paul Ricard. « Une Renault 5 Turbo à moteur 1,4 litre central ! s’exclame Motor Sport. Cette voiture n’a rien d’une plaisanterie. L’idée est qu’une version de série voie le jour et que Renault s’attaque au titre mondial en rallyes, mais en fonction des succès ou non en formule 1. »
Le moteur placé derrière le pilote est le même vieux 1 397 cm3 culbuté que celui de la 5 Alpine, dissimulé sous un cache habillé de moquette rouge ou bleue. Mais au lieu de 93 ch, le turbo Garrett T3 permet d’obtenir 160 ch avec un taux de compression abaissé à 7:1. Le moteur est relié à la boîte Type 369 de l’Alpine A310 V6. En spécification compétition, la puissance augmente encore de 100 ch. Certains panneaux de carrosserie (capot, portes et toit) sont en aluminium pour gagner environ 20 kg, les vitrages sont plus fins de 1 mm, et l’emploi de plastique et de garnitures plus légères permet d’économiser encore 30 kg.
Finalement, la voiture totalise moins d’une tonne. La tenue de route s’annonce superbe, avec la suspension de la R5 Alpine à l’avant et de l’A310 à l’arrière. Pourtant, avec sa répartition des poids 40/60 AV/AR, elle a encore l’allure d’une Renault 5, surtout à côté d’une 5 Alpine, comme on le constate sur le circuit de La Ferté-Gaucher où nous avons réunis les deux modèles. La forme est bien la même et on retrouve les feux arrière dans le prolongement des montants. Mais les ailes arrière protubérantes élargissent la voiture de 25 cm de chaque côté et transforment sa personnalité.
Après le Salon de Bruxelles de 1980, le carnet de commandes s’ouvre en juillet, et Renault doit produire 400 exemplaires pour que la 5 Turbo soit homologuée en Groupe 4 pour le Championnat du monde des rallyes. Sa carrière en compétition démarre sur les chapeaux de roues, Jean Ragnotti signant 9 victoires sur les 13 spéciales du Tour de Corse, avant d’abandonner sur ennui d’alternateur. En janvier 1981, Ragnotti remporte une très belle victoire au Rallye Monte-Carlo, mais il faut attendre le Tour de Corse de l’année suivante pour que le pilote et la 5 Turbo retrouvent le chemin du podium dans une épreuve du championnat du monde.
Une 5 Alpine Turbo de série
Cette même année, le catalogue de la marque s’enrichit d’un modèle qui peut donner aux utilisateurs un petit goût de R5 Turbo : une 5 Alpine dotée d’un turbo Garrett T3. Cinq ans et un turbo ont évidemment grevé le prix de la voiture, qui s’affiche en 1982 à 56 800 francs, mais les acheteurs bénéficient de 110 ch et d’un couple augmenté d’un tiers. Le plus important, c’est qu’elle peut enfin tenir tête à la Golf GTI.
La 5 Alpine Turbo est une jolie petite voiture, plus sobre, plus chic et plus fine que sa grande sœur Turbo 2. Ses sièges épais offrent un bon maintien, mais le tableau de bord est celui de la version de base, avec des interrupteurs en plastique gris clair et des instruments à lettrage orange fluo typiques de l’époque. Le joli volant à trois branches est étonnamment horizontal, ce qui réclame un peu d’accoutumance, mais la direction est agréablement ferme et vous renvoie ce que vous y mettez.
Une prise d’air de capot, asymétrique, se trouve juste devant vous. Une fois que le moteur a accepté de se mettre en route dans un bruyant concert de claquements métalliques, l’Alpine Turbo est vive, comme on peut s’y attendre, quand le turbo se réveille. La voiture prend un peu de roulis en appui, mais pas à la façon comique d’une R5 de base. La commande de vitesse est un peu molle (« De la mayonnaise », rigole le responsable de Renault, assis à côté de moi) et nécessite de s’y habituer.
Il était possible, au début, d’opter pour une boîte à rapports rapprochés, ainsi que pour une assistance de direction. L’Alpine ne présente pas la personnalité tonitruante de sa grande sœur, mais elle pourrait être utilisée quotidiennement. Après tout, elle comporte un coffre, au lieu de la plage arrière de la 5 Turbo qui fera cuire tout ce que vous y poserez. Mais en fait, la 5 Alpine n’est qu’un avant-goût de celle qui nous attend sur la ligne droite des stands.
Dès que la R5 Turbo arrive dans les concessions, la demande du public est telle que les 400 exemplaires prévus sont largement dépassés, avec un total de 1 800 unités. Au Salon de Paris 1982, Renault présente la Turbo 2, pour continuer à exploiter le filon musclé. Elle est un peu moins radicale : les panneaux en aluminium sont abandonnés au profit de l’acier, moins cher, et l’intérieur extravagant laisse place à l’aménagement plus conventionnel de la 5 Alpine.
Des circuits aux rallyes
Imaginez la brume de chaleur. Une grille remplie de Renault 5 Turbo s’alignant au Mans pour une manche de la Coupe d’Europe, en lever de rideau de la célèbre course, a dû ressembler à un mirage. Car il ne faut pas longtemps pour que la chaleur s’élève dans l’habitacle à un niveau insupportable, même en simple passager sur le circuit de La Ferté Gaucher. La voiture de la Coupe d’Europe n’est pas très différente de la version 160 ch de série, jusqu’aux garnitures de portes.
Elle est bien loin des Clio Cup modernes et radicales. L’arrière veut prendre le dessus, poussant la voiture autour des virages sur les pneus chauds. Jusqu’à ce qu’une roue avant plonge trop loin à la corde et nous emmène hors du bitume, ce qui nous conduit à la version Groupe B Tour de Corse 285 ch (pilotée par Alain Serpaggi lui-même).
Ici, tout est amplifié. Le pilote maintient un régime élevé pour limiter les relances du turbo, et la voiture ne cesse d’accélérer. La chaleur est insupportable et devient en quelques virages une véritable fournaise, ce qui laisse pensif quant aux épreuves qui se déroulaient dans la chaleur africaine. Elle est plus bruyante, le turbo vous crache un sifflement qui vous reste dans les oreilles, même une fois la voiture arrêtée, et les dérapages sont plus longs.
Pourtant, la voiture est plus précise que ce que montrent les vidéos de R5 Turbo en dérive que vous avez peut-être aperçues sur Internet. Serpaggi la fait danser du bout des doigts, sourire aux lèvres, profitant de se retrouver en terrain de connaissance. Alors essayez d’imaginer ce que doit être la Maxi…
Une Turbo 2 jubilatoire
Nous voilà au volant. La marche arrière est décalée, contrairement à la 5 Alpine où elle correspond à un éventuel sixième rapport, et l’imprécision est de mise. La commande vous emmènera de troisième en quatrième au lieu d’attraper la seconde, vous faisant perdre tout votre élan et étouffant toute tentative de relancer le turbo en accélérant en sortie de virage. Evitez de « surcorriger », car vous vous retrouverez tout de suite en marche arrière.
A bas régime, le manque de puissance est flagrant. Mais si vous maintenez le moteur dans les tours, la gratification est immédiate avec une accélération qui se déclenche de façon extrêmement énergique, un peu à la façon d’une moto. Confortablement installée dans ses limites, la Turbo 2 donne une impression sûre, avec d’abondantes réserves de motricité et du caractère à revendre. Elle s’excite sur chaque rétrogradage, le sifflement du turbo provoquant une vague de frissons qui vous courent sur l’échine.
Vous oubliez rapidement le volant horizontal (avec ici le logo Renault sur le moyeu, au lieu du badge Alpine de la Turbo) qui provoque une position de conduite trop verticale, ou la course courte de l’embrayage. Elle vous absorbe complètement, elle est incroyablement grisante, jubilatoire et correspond à tout ce que vous espériez. Entre les mains adéquates, c’est une survireuse qui glisse de l’arrière et, sur le mouillé, c’est ce qu’elle fait probablement entre toutes les mains.
Alors que la Turbo 2 est très légèrement assagie pour une plus large clientèle, la version compétition affiche les spécifications Groupe B 285 ch avec le kit Tour de Corse, avant que le 1,5 litre inspiré de la F1 avec le système DPV pour supprimer le temps de réponse n’équipe l’ultime R5 : la Maxi 350 ch. Elle va permettre à Jean Ragnotti de renouer avec le succès au Tour de Corse en 1985. Mais la dernière victoire de la R5 Turbo au championnat du monde, par le Portugais Joaquim Moutinho, a un goût amer, car elle a lieu lors du tragique Rallye du Portugal qui coûte la vie à trois spectateurs, provoquant le retrait des équipes usine, ce qui contribue à pousser le Groupe B vers la sortie.
Le total de quatre victoires au plus haut niveau offre à la R5 Turbo un statut d’héroïne culte plutôt que d’arme absolue en Groupe B. Mais, sur la route, elle assure les deux statuts et, même si vous essayez de vous raisonner en défendant la facilité d’utilisation et le moindre coût de l’Alpine Turbo, c’est la 5 Turbo qui se révèle la version ultime, absolue, sans concession. Celle que vous rêvez de rapporter chez vous !
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