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Si son utilisation est vivement déconseillée le temps de la pandémie de Coronavirus, l’aspirine a traversé tout le XXe siècle sans que son succès médical autant que commercial ne soit remis en cause. Retour sur une prouesse d’une exceptionnelle longévité, malgré des effets secondaires largement connus.
Quand on pense aspirine, on pense immédiatement à Bayer, premier laboratoire à avoir commercialisé cette molécule sous le nom d’Aspirin. Nom dont l’origine reste incertaine : certains avancent un lien avec saint Aspirinus, un évêque napolitain qui avait la faculté d’apaiser les maux de tête, d’autres ont une explication plus prosaïque qui associe le « a » d’acétyle au radical de la Spiraea (nom latin des rosacées, telle la reine-des-prés) et accole la désinence en chimie industrielle « in ».
Quoi qu’il en soit, avant d’avoir été commercialisée sous forme de comprimé, en 1915, et même avant d’apparaître sous la forme de poudre cristalline en 1899, l’aspirine est en réalité connue depuis très longtemps, 4 000 ans environ. Bien sûr, il ne s’agissait pas de la forme chimique telle qu’on la connaît aujourd’hui, mais d’une décoction d’écorce de saule. Dès l’Antiquité, elle était utilisée pour soulager douleurs, fièvre, rhumatismes et inflammations.
Depuis 50 000 ans
Une étude publiée récemment dans la revue Nature affirme que l’histoire de l’aspirine pourrait même être bien plus ancienne. Les néandertaliens, il y a environ 50 000 ans, avaient compris, avant Hippocrate lui-même, l’intérêt de mâcher de l’écorce de peuplier en cas d’abcès dentaire. Ils avaient compris, sans le savoir, que, comme le saule blanc, le peuplier était riche en acide salicylique, le principe actif qui soulage ce type de douleurs.
On retrouve ces dérivés salicylés dans d’autres plantes, comme la gaulthérie et la reine-des-prés. C’est cette dernière, longtemps utilisée en tisanes pour venir à bout de la fièvre et de certaines douleurs, qui a conduit à la création de la première forme stable de l’aspirine.
Après divers essais et études au cours du XIXe siècle pour identifier et isoler la salicine pure, puis pour la transformer en acide salicylique, la première forme stable d’acide acétylsalicylique est créée en 1897 par Félix Hoffmann, chimiste allemand chez Bayer.
Une recherche publiée dans le British Medical Journal en 2000 suggère que c’est en réalité son supérieur hiérarchique, Arthur Eichengrün, qui a eu l’idée du procédé, reprenant les travaux du Strasbourgeois Charles Frédéric Gerhardt, qui avait réussi, dès 1853, à synthétiser l’acide acétylsalicylique à partir de l’acide salicylique présent dans la reine-des-prés. Bayer brevette le procédé de fabrication de ce produit pur, stable, moins toxique que l’acide salicylique, et dépose la marque Aspirin en 1899 en Allemagne, puis dans tous les pays industrialisés. L’aspirine est mise sur le marché allemand le 10 août 1903.
La face cachée de l’aspirine
Accessible sans ordonnance, l’aspirine connaît un succès aussi durable qu’immédiat, d’autant qu’elle n’engendre aucune dépendance. Pourtant, comme toute substance pharmacologique, l’aspirine n’est pas sans effets secondaires. Entre le médicament et le poison, la différence tient à très peu de chose : la dose.
Ainsi, il a été prouvé qu’excéder 500 mg trois ou quatre fois par jour pendant quelques jours peut provoquer des effets indésirables : de la simple brûlure d’estomac à l’ulcère, voire une perforation de l’estomac ou de l’intestin, une insuffisance rénale aiguë chez les individus dont la fonction rénale est déjà perturbée, et même des hémorragies, puisque l’aspirine limite la coagulation du sang.
Les études ont aussi montré que des intolérances et des allergies sont possibles, du simple urticaire à des réactions pouvant être mortelles. En 2000, un rapport publié dans le European Respiratory Journal évoque des cas d’asthme susceptibles d’être induits par l’aspirine et d’autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
L’aspirine contre Alzheimer ?
Contrairement aux idées reçues, l’aspirine n’est pas un médicament anodin. On comprend mieux que le paracétamol l’ait supplanté dans le traitement de certaines douleurs et de la fièvre. Mais l’aspirine a plusieurs cordes à son arc : elle a des propriétés anti-inflammatoires, peut réduire des risques cardio-vasculaires chez certains patients et soulager les individus ayant subi un accident cardiaque ou une attaque cérébrale (grâce à ses propriétés anti-agrégantes plaquettaires, c’est-à-dire sa capacité à fluidifier le sang).
Autrement dit, de faibles doses quotidiennes – entre 75 et 160 mg par jour afin de diminuer la toxicité gastro-intestinale – permettent de prévenir les événements thrombotiques, comme l’infarctus ou l’AVC, chez les sujets concernés. Depuis quelques années, même si les preuves scientifiques tardent à venir, on soupçonne l’aspirine d’une certaine efficacité pour lutter contre la maladie d’Alzheimer et même certains cancers, comme celui du côlon. Bayer peut être rassuré : le médicament toujours numéro un dans le monde a encore une page de son histoire à écrire.
Données clés
• Production mondiale : l’aspirine est le médicament le plus produit dans le monde, avec 2540 comprimés/seconde, 40000 tonnes/an, soit 80 Mds de comprimés. Depuis 2010, le groupe chimique lyonnais Novacap est le premier producteur mondial d’aspirine et d’acide salicylique.
• En France : 1 500 tonnes sont consommées chaque année, soit 321,2 M d’unités. Sur l’ensemble des médicaments dont la substance active principale est l’acide acétylsalicylique, les ventes représentaient 174 M € en 2018, dont 24,4 M € hors prescription. A côté de Pfizer, Sanofi ou Pharmastra, Bayer et UPSA se partagent l’essentiel du marché français sous divers noms et formes galéniques (sachets, comprimés…).
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