Il y a des histoires qui commencent comme un conte de fées. Celle-ci démarre en 2008 par un coup de téléphone passé à un petit cabinet d’architecture à Bandol, dans le Var. Il émane du circuit automobile Paul-Ricard, à quelques kilomètres de là, au Castellet. On a besoin en urgence d’une tribune de 4 400 places dans la ligne droite de départ. C’est tout simple. Le cabinet Architecture 54, fondé par Pascale Bartoli et Thierry Lombardi, relève le défi.
Ce sera le début d’une longue collaboration, de la construction de la tribune à l’extension des stands et du pit building – le bâtiment principal abritant loges, bureaux, box, etc. –, en passant par le centre de presse. Architecture 54 est, aujourd’hui, devenu maître d’oeuvre exclusif du circuit Paul-Ricard, et seul studio spécialisé dans le créneau en France – ils sont seulement huit dans le monde.
Pour le béotien, un tracé de circuit automobile, ça ressemble à un dessin fait sous hypnose. Des droites, des courbes, des nœuds… Un de ces jeux où il faut relier les points. « Ce circuit avait été magnifiquement dessiné dès le départ, constate Thierry Lombardi. Pour preuve, le circuit d’Abou Dhabi en est une copie conforme. Lorsque, dans les années 60, ce grand visionnaire qu’était Paul Ricard a acheté cette lande occupée par les chèvres, il avait déjà en tête de créer un plateau complet, avec le circuit et un aéroport international d’affaires. »
Fou de sports mécaniques, il a fait les choses en grand, portant toute sa vie son projet à bout de bras. Le lieu lui a survécu, avec, aujourd’hui, un circuit de 800 hectares. « Après la tribune, notre collaboration s’est poursuivie régulièrement », racontent les deux complices. En 2010, ils sont sollicités pour la construction du pit building, dans le prolongement du bâtiment course. Il abrite désormais cinq nouveaux stands de 120 m² chacun et deux pits techniques. Grâce à cette extension, le circuit compte 34 garages et un paddock supplémentaire.
Puis il y a eu la modernisation des façades, une seconde piste dédiée aux écoles de pilotage avec son pavillon d’accueil, le Driving Center, implanté au bord de la pit lane, la voie des stands, à l’axe de la ligne de départ. Un bâtiment très graphique, posé en porte-à-faux sur un double emmarchement en béton.
Spectacle à tous les virages
Lorsqu’en 2016 est annoncé le retour du Grand Prix de France de formule 1 pour cinq ans au circuit Paul-Ricard, absent durant vingt-huit ans de la F1, les normes de la Fédération internationale de l’automobile imposent de nombreux aménagements du circuit et de ses infrastructures.
Plusieurs projets sont lancés : la construction d’un nouveau paddock de 16 000 m², l’installation de tribunes supplémentaires (51 200 places assises en plus) et, surtout, la modification de trois virages qui, depuis toujours, étaient inintéressants selon les pilotes.
Un vrai défi pour les architectes. « Je n’avais aucune idée de la façon dont on dessine un virage, avoue Thierry Lombardi. Mais ça n’est jamais que traduire des contraintes en dessin. » Il se plonge à 100 % dans le monde de la course, fait des milliers de photos, colle aux basques des pilotes et des directeurs de course.
Au Castellet, l’ancien pilote André Rey, devenu directeur de course, devient son mentor. « Un joint, par exemple, pour une voiture de tourisme, s’il fait quelques millimètres de haut, ce n’est pas bien grave. C’est absorbé par les pneumatiques et les suspensions. Avec une voiture de course, qui a une garde au sol de quelques millimètres, il faut que ces joints soient discrets ! J’en ai contrôlé chaque centimètre », raconte-t-il, amusé.
« Lorsqu’on vient du monde du bâtiment, tout est réglementé, expliquent les deux architectes. Dans celui du sport mécanique, il s’agit d’interpréter un ressenti, de concilier le confort sportif et les règles de sécurité. » Pour redessiner ces trois virages fondamentaux, le cabinet va s’appuyer sur les principes fondateurs de la course : sécurité, distance d’arrêt (à 300 km/h !) et plaisir de la conduite. Un casse-tête chinois.
Sur la piste resurfacée (90 000 m2 de bitume ont été coulés sur les 5,8 kilomètres), le virage de la Verrerie a été refermé, mais élargi en entrée pour faciliter le départ, puis créer un virage technique avec gros freinage ; et le virage de Bendor a été créé. Il s’agit d’un virage à gauche spécialement destiné aux motos (Bol d’Or), plus sécurisant, mais aussi plus rapide. L’un des grands changements est le nouveau virage du Camp, beaucoup plus spectaculaire. « On a voulu provoquer des dépassements. On a élargi l’entrée du virage pour que deux voitures puissent se dépasser sans s’accrocher. Mais au freinage de la chicane, l’autre peut redoubler », explique Stéphane Clair, directeur général du circuit Paul-Ricard.
« Cette nouvelle piste a été conçue pour qu’il y ait du combat, constate Yannick Dalmas, ancien pilote de formule 1. On peut rouler à 340 km/h à trois endroits différents. Piloter sur ce circuit, avec des voitures puissantes, est un vrai plaisir. »
Un circuit ressemblant un peu à celui de Barcelone, pas facile pour les pilotes, et qui a repris un fol intérêt avec ces dépassements possibles… Là où se gagnent et se perdent les courses. Hamilton, Verstappen et Raikkonen ont adoré. Pour quelques coups de crayon de plus…