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Dans sa garçonnière parisienne, l’architecte et designer Hugo Toro nous reçoit, terre à terre, dans son élément, 2025 - TGL
Les cordonniers ne sont pas toujours les plus mal chaussés : l’architecte a croqué son appartement en une journée, notamment cette banquette confortable dont il a dessiné chaque pli.
© Adel Slimane Fecih

The Good Culture // Architecture

L’artiste Hugo Toro nous reçoit chez lui, dans sa garçonnière

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Que dit un intérieur de celui qui l’a pensé pour l’habiter comme un courant d’air ? Dans sa garçonnière parisienne, l’architecte et designer à qui l’Orient Express a confié les intérieurs de son premier hôtel romain, qui ouvrira au printemps 2025, nous reçoit, terre à terre, dans son élément.

Son regard accroche. Mâchoire carrée, regard droit. L’eau dans laquelle il flotte n’est pas bleue, mais rouge. Son nom n’est pas dans le titre de l’œuvre, mais ceux qui le connaissent savent qui est « Le Nageur ». Hugo Toro nous accueille chez lui, dans un appartement parisien qu’il a repensé comme une suite d’hôtel fantasmée, un espace entre deux escales. Avant d’enchaîner sur des titres indie pop, une mélodie « qui aide les plantes à pousser » résonne.


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Bienvenue chez Hugo Toro

Portrait de l’architecte Hugo Toro dans son appartement parisien.
Portrait de l’architecte Hugo Toro dans son appartement parisien. © Adel Slimane Fecih

Les seuls végétaux qui sont pourtant présents chez Hugo Toro, à vol d’oiseau des Buttes-Chaumont, sont les deux compositions sauvages de l’artiste florale Eva Reisser, une amie avec qui il a l’habitude d’habiller ses événements et son intérieur. « Au printemps, on se croirait à la campagne », précise l’architecte, pointant les fenêtres de sa chambre au travers desquelles on voit s’élever un arbre encore nu qui promet de bientôt fleurir.

À l’opposé, le petit balcon tourné vers la butte Bergeyre est difficilement praticable : une jungle urbaine y a pris place, mais n’entrave pas les rayons du soleil, qui « s’étendent jusqu’au milieu de l’appartement en hiver ». La lumière nourrit Hugo Toro. Ses projets ne sont pas lumineux pour autant. Chez lui, comme sur les toiles XXL de son exposition de peintures « Aguas que murmuran » (les eaux qui murmurent), son baptême du feu, un clair-obscur domestiqué domine. Les ombres ne doivent rien au hasard.

Hors cadre

Hugo Toro est architecte, designer et se définit, depuis cette exposition justement, plus largement comme artiste. Le créatif déborde du cadre : diplômé en architecture d’intérieur à l’école Penninghen, à Paris (il sort major de promotion, mais « ça ne veut pas dire grandchose »), il enchaîne avec un cursus en architecture qu’il suit de l’université Die Angewandte, à Vienne, jusqu’à UCLA, en Californie.

Ce fauteuil en travertin fait partie d’Amanecer, la première collection de mobilier d’Hugo Toro, éditée par la galerie parisienne Kolkhoze et M Editions.
Ce fauteuil en travertin fait partie d’Amanecer, la première collection de mobilier d’Hugo Toro, éditée par la galerie parisienne Kolkhoze et M Editions. © Adel Slimane Fecih

Il monte à 30 ans son agence d’architecture et de design – il emploie désormais 23 personnes qu’il vient de déménager « sur un coup de tête » dans un espace industriel du côté de la rue Saint-Maur. Parmi ses réalisations les plus marquantes, on trouve les restaurants Gigi (Paris, Saint-Tropez, Dubaï), l’atelier d’Helen Hay Whitney à la Villa Albertine, à New York, et le premier hôtel Orient Express, à Rome, l’une des ouvertures les plus attendues de l’année, donnée pour avril.

« Je m’identifie plus dans la pratique de l’architecture des années 1930, une époque où l’on ne se contentait pas de décorer ou de redistribuer des volumes, mais bel et bien de penser un espace dans sa globalité », explique-t-il.

L’impalpable légèreté du bien-être

Qu’importe l’écrin, pourvu que l’expérience soit bonne. Ne vous êtes-vous jamais demandé quel effet la mise en scène d’un intérieur a sur votre façon de le vivre ? Un restaurant mal assis, une chambre d’hôtel étriquée… Si le néophyte y prête peu d’attention, l’architecture d’intérieur d’un lieu est pourtant clé dans sa perception inconsciente.

Les reliques habillent l’appartement, dont cette dent de dinosaure offerte par un ami.
Les reliques habillent l’appartement, dont cette dent de dinosaure offerte par un ami. © Adel Slimane Fecih

Et c’est bien ce tour de force qu’Hugo Toro orchestre dans ses projets : une alchimie subtile entre forme et ressenti. À commencer par celui de son appartement, un deux-pièces complètement revu et corrigé : « J’aime les bâtiments des années 1970 : ils sont solides, équipés de larges baies vitrées et leurs murs porteurs sont situés sur les côtés, ce qui permet de tout casser à l’intérieur. »

L’architecte a redessiné l’espace en une journée. Le designer en a conçu tous les meubles – à l’exception de sa table basse et des chaises  qui encadrent sa table laquée. L’artiste y amasse tous les petits objets qui rendent son quotidien mystique, et ils ne sont jamais anodins. Un plateau intégré à sa table basse recueille le bâton de sauge que sa mère a rechargé une nuit de pleine lune. L’aigle Peter, façon gargouille, imposant et silencieux, veille sur la cuisine. Une dent de dinosaure de 70 millions d’années – il jure qu’elle est d’époque – repose loin de ses tortues fétiches.

« J’ai rencontré Peter dans une galerie parisienne. Le coup de foudre fut immédiat. Je l’ai adopté illico… et n’ai jamais retrouvé l’adresse de la boutique ! »
« J’ai rencontré Peter dans une galerie parisienne. Le coup de foudre fut immédiat. Je l’ai adopté illico… et n’ai jamais retrouvé l’adresse de la boutique ! » © Adel Slimane Fecih

Il y a chez Hugo Toro quelque chose de l’alchimiste. S’il n’a jamais vécu au Mexique, le pays coule dans ses veines. Sa mère, Marycruz, y est née, et ses souvenirs d’enfance sont imprégnés de couleurs vives. « J’ai grandi dans une fausse maison Barragán », plaisante-t-il. Dans sa pratique, le Mexique se fait subliminal.

Il utilise peu, voire pas de couleurs froides (« dans le blanc aussi il y a de la chaleur »). Le crépuscule, le feu, la terre le nourrissent. « Pour moi, l’eau n’est pas bleue, réaffirme-t-il. J’aime l’idée de la rouille, de la stratification. » Quand il peint, l’élément prend donc des tons volcaniques, comme ce cénote dans lequel son alter ego se baigne dans Le Nageur. À  son domicile, et parce que l’eau a un rôle central pour l’ancien étudiant en sport-études natation, la baignoire s’invite dans la chambre.

Les mouvements d’Hugo Toro

Côté rituels, Hugo Toro marche par images, remplit des carnets. Il accumule. Des cristaux de Los Angeles, des bougies moulées sur des pieds de chaises trouvées sur un flea-market anglais. Son inspiration se construit dans ces frottements entre époques, entre hauteurs et aspérités. Il vit comme il crée : intensément, toujours en mouvement. Son appartement est une escale. Il y passe peu de temps, préfère sortir et voyager. Il reçoit rarement pour dîner. La preuve : « Je cuisine peu, je range mon passeport dans mon four », s’amuse-t-il.

Autour de la table, de rares pièces qu’Hugo n’a pas dessinées chez lui : une collection de chaises vintage.
Autour de la table, de rares pièces qu’Hugo n’a pas dessinées chez lui : une collection de chaises vintage. © Adel Slimane Fecih

Ses croquis prennent vie dans des carnets griffonnés à la hâte, des esquisses sur des nappes de restaurant, des aquarelles tracées dans l’urgence de l’idée. Il aime les formes qui émergent d’un processus organique, où le geste précède la théorie. Il ne fige pas les choses, il les accompagne, comme une lumière de bougie qui vacille (« j’ai toujours une bougie allumée chez moi »), comme un trait de pinceau qui se laisse guider par la couleur plutôt que par la ligne.

Sa fascination pour les symboles et les animaux totémiques traverse son œuvre. Il voit dans la tortue une forme de sagesse immémoriale, dans le taureau, une énergie brute et primale, dans le moustique figé par l’ambre, la beauté dans l’immortalité.


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