The Good Business
Directrice de la création de l’agence de pub Marcel, Anne de Maupeou brille par une discrétion aussi étonnante que sa moisson de trophées : 61 Lions au Festival international de la publicité, à Cannes, 5 Pencils aux D&AD Awards, à Londres, dont un Black Pencil – Oscar mondial de la pub décerné pour la toute première fois à une campagne française. « Mon principal talent est de savoir m’entourer de gens très doués », se justifie-t-elle.
Elle est déjà là, avant l’heure dite, en jean et baskets blanches, marchant de long en large dans son bureau bulle, alors qu’elle se démène dans l’un de ces bras de fer téléphoniques dont on sent qu’elle voudrait pouvoir s’extraire. Puis elle émerge du problème, soudain disponible, mais méfiante, jetant sur l’« intervieweuse » un regard d’animal craintif pris dans les phares d’une voiture. « Vous aurez compris que je n’aime pas les interviews », s’excuse-t-elle en préambule, ses doigts lissant ses cheveux blonds, qu’elle ramène sur le visage, comme pour se créer un abri. Anne de Maupeou est une vraie créatrice. Ses phrases ne se terminent pas toujours, sa pensée aiguisée peine parfois à se traduire en son, mais cette talentueuse instinctive cartonne par son flair et par son audace. Maurice Lévy a visé juste quand il lui a proposé, en 2007, de prendre les rênes de la hotshot créative de Publicis, en tandem, au départ, avec Frédéric Temin (parti, depuis, rejoindre Saatchi & Saatchi). Le bilan de l’ex-« petite » agence Marcel affiche alors un profil en demi-teinte : certes, Marcel est devenue une marque internationale, mais les campagnes publicitaires – et les trophées qui vont avec – se sont, eux, évaporés. Trois ans plus tard, la nouvelle Marcel (200 collaborateurs aujourd’hui contre 25 il y a huit ans), qui vient alors de s’unir à Publicis Net (l’ex-agence 100 % numérique de Publicis) tout en conservant son nom et son profil d’agence généraliste, fait son come-back parmi les primés aux Lions, à Cannes. Et de capter de nouveaux clients – Axa, Canderel, Fnac, Granola, Total –, encore présents aujourd’hui, rejoints depuis par d’autres grands noms d’envergure internationale – Contrex, Oasis, Renault, Orange, Intermarché –, désireux de confier la gestion de leur image à Anne de Maupeou et à sa team, une petite poignée de fidèles qui la suit depuis 1999 chez CLM BBDO, l’agence où elle a passé les années phares de sa vie professionnelle. Dimitri Guerassimov, un créatif de sa garde rapprochée, et Fabien Teichner, « grand talent » fraîchement greffé à sa bande, l’ont récemment rejoint à la direction de la création.
De l’audace et un bon feeling
Artiste dans l’âme, au point de se consacrer entièrement à la peinture dans ses jeunes années post-bac, jusqu’à ce qu’elle consente, sur l’injonction de ses parents, à lâcher ses pinceaux pour s’en aller gagner sa vie, la publicitaire s’avoue souvent incapable d’expliquer les raisons concrètes qui induisent ses propres décisions : « Mon jugement repose sur le feeling, donc je doute de moi en permanence. Mais ce qui me conforte, c’est qu’au final ça fonctionne. » Cette année, elle est passée de l’autre côté du miroir, comme juré au Festival international de la publicité à Cannes. « Je m’aperçois alors que je fais les mêmes choix que mes cojurés, et cela me rassure quant à ma capacité à apprécier ce qui est bon ou mauvais. » Le succès de l’une de ses dernières campagnes, « Les fruits et légumes moches » pour Intermarché, est de ceux qu’un publicitaire ne rencontre qu’une ou deux fois dans sa vie. Sur l’air du Beau Danube bleu, le spot télé prône la valeur gustative de ces fruits et légumes difformes qu’on envoyait stupidement à la benne et qu’une voix off réhabilite « parce qu’il n’y a rien de mal à être moche ». L’audacieuse pub anti-gaspi a valu à Anne de Maupeou d’empocher ce Black Pencil qui la comble, même si elle s’empresse de distribuer ses trophées. « Les prix qui ont de la valeur sont ceux à venir. Pour moi, les autres ont déjà un goût de has been. Un jour, j’ai même donné une de ces statuettes à une “brocante-agence” ! »
Si la dame « jette » ses récompenses, elle conserve en revanche fermement ce qu’elle estime être sa forteresse : un mari, publicitaire lui aussi, croisé à ses débuts dans le métier, et leurs deux enfants, âgés de 17 et 23 ans, dont l’un est autiste. Une sphère privée souvent peu compatible avec son job dévorant, mais qui donne aux claques professionnelles une valeur toute relative. « Ma famille, c’est ma force. J’ai de la chance : mon travail est la partie la plus légère de ma vie ! »
Parcours
1984 : débuts chez TBWA comme directrice artistique.
1986 : directrice artistique chez DDB Needham.
1988-1991 : directrice artistique chez CLM BBDO.
1993-1996 : directrice de la création chez Opéra.
1999 : directrice de la création chez CLM BBDO.
2007 : coprésidente de l’agence Marcel.
2010 : directrice de la création de Marcel Worldwide.