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L’homme d’affaires Alexandre Mars place la solidarité au cœur du réacteur et fait de ses activités philanthropiques des réussites entrepreneuriales. Le patron et activiste social (c’est donc possible) nous livre sa vision de l’avenir, maintenant.
Sur son site, sa biographie s’achève ainsi : « Je crois fermement que nous vivons dans un monde de solutions et que nous avons la responsabilité collective d’essayer de faire mieux. Personne ne peut tout faire, mais tout le monde peut faire quelque chose. » Deux phrases pour clamer simplement le parcours d’une vie : Alexandre Mars est un ovni. Entrepreneur, citoyen engagé, auteur… Si le monde entier le définit comme « philanthrope », lui préfère le mot « solidaire ».
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À la tête du fonds d’investissement Blisce, de la fondation Epic et de dizaines d’initiatives supravertueuses, il signe également Pause, un podcast intimiste qui donne la parole à des femmes et des hommes inspirants, chefs d’entreprise, artistes, activistes, écrivains ou sportifs… qui s’y livrent, racontant leurs succès, leurs échecs et leurs espoirs.
C’est précisément ce que nous avons choisi de mettre en avant dans ce nouveau format d’entretien au long cours : la lumière. Les solutions. Le beau, le bien, le bon ; ce qui nous éclaire aujourd’hui et nous éclairera encore loin, très loin. Il est ici question de bonnes nouvelles, de soleil et de futur résilient : Alexandre Mars incarne tout cela à merveille.
Rencontre avec Alexandre Mars
The Good Life : Alexandre, est-ce qu’on est déjà demain ?
Alexandre Mars : Malheureusement, oui. Je dis malheureusement, parce que nous sommes dans une course en avant perpétuelle. Cette projection, souvent une injonction, de foncer – pour les études, pour le boulot, pour la croissance, pour la carrière – nous fait oublier le présent. Pause, mon podcast, propose justement une réponse à cette question-là : et si nous prenions plutôt le temps ? De réfléchir, de se raconter, d’explorer, de rire, de ressentir… C’est tellement important de ralentir, d’être dans le moment présent.
Ça veut dire que pour espérer, malgré le contexte global que l’on peut qualifier de vertigineux, le premier bon réflexe serait de garder les deux pieds dans “maintenant” ?
Je pense que c’est indispensable, car ce sont nos actions d’aujourd’hui qui dessinent le monde de demain. Je pense que nous entrons dans une nouvelle ère de grands bouleversements technologiques ; le mot « innovation » est sur toutes les lèvres, mais qu’en est-il du « progrès » ? Je pense qu’il est essentiel de nous ressaisir ou, du moins, de (re)conscientiser notre pouvoir d’action dans un monde qui semble nous échapper.

Vous évoquez très souvent la résilience et expliquez que c’est elle qui vous a mené à votre mission. D’abord : quelle est-elle exactement, cette mission, et pourquoi notre monde a-t-il besoin que chacune et chacun de nous trouve la sienne ?
Mes parents ont divorcé quand j’avais 3 ans. J’ai grandi avec ma mère qui m’a appris le don de soi. Elle passait son temps à s’occuper des autres… Donc je dirais que j’ai reproduit par simple mimétisme. En regardant faire mes parents, la solidarité et le partage me sont apparus évidents très tôt. J’ai rapidement compris que je voulais être au service des autres. Et c’est d’ailleurs ce que je fais aujourd’hui. Pas grand-chose n’a changé : c’est ma mission.
Je pense que nous sommes toutes et tous capables de trouver notre propre mission, c’est-à-dire notre raison d’être, à condition de la chercher un minimum, de l’entendre, de prendre un peu de temps pour qu’elle émerge. Je ne dis pas qu’il faut vouloir devenir président de la République, ou obtenir le prix Nobel ou le prix Goncourt, mais je pense que chacune, chacun, à son niveau, peut se dire qu’il y a une raison à sa présence ici. C’est important.
Peut-on le comprendre à 40 ou 50 ans ?
J’en suis persuadé, et beaucoup plus facilement qu’à 20 ans… même si certains, à 15 ans, sont déjà extrêmement lucides et éclairés, passionnés par un sujet qui de toute évidence est déjà leur mission.
Qu’est-ce qui éclaire aujourd’hui votre vision du monde ?
Encore une fois : la résilience. Tous les matins, je me lève en me souvenant très précisément de ma raison d’être : lutter contre l’injustice sociale, à mon niveau, avec mes équipes et mes petits bras. J’ai tendance à oublier un peu la veille, à quel point c’est dur de changer les habitudes des gens, de positionner le partage au centre du système. Mais ce n’est pas parce qu’hier j’ai reçu 75 « non » et 1 ou zéro « oui » qu’aujourd’hui ça ne va pas fonctionner !
Hier soir, par exemple, j’ai obtenu un « oui » qui m’a rendu très heureux : ce « oui » va servir à financer dix étudiants d’INFINITE, start-up que j’ai fondée en 2023 pour soutenir les jeunes les moins favorisés dans la poursuite d’études d’excellence. J’explique toujours à mes enfants : je préfère l’obligation de moyens à l’obligation de résultats.

Est-ce que c’est ça, votre définition de la philanthropie ?
En réalité, je ne suis pas à l’aise avec ce terme, parce qu’il traduit une vision très archaïque de la société. C’est un terme un peu vieux, très guindé. Je préfère « solidarité » : je crois que le partage ou le don doivent être la norme.
« Solidarité », donc, est un mot trésor d’après-demain ?
Évidemment. Cette notion-là est essentielle, a fortiori si l’on regarde plus loin que demain.
Pourquoi la solidarité rend-elle heureux… et riche ?
On pourrait faire deux pages là-dessus. Réponse toute physique : la dopamine. Quand nous faisons quelque chose que nous aimons, ou que nous faisons plaisir à quelqu’un, on génère cette substance. Cela explique que certains préfèrent donner que recevoir. Nous sommes heureux de rendre heureux !
Je me souviens l’une des raisons pour lesquelles je voulais, au départ, devenir travailleur social, c’était le sourire. Celui que l’on peut rendre à des personnes qui vivent des catastrophes. Ce sourire-là crée de la dopamine et permet de comprendre qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas d’autre porte de sortie que la solidarité. Notre monde hyperlibéral doit, de facto, devenir hypersolidaire ou hypersocial. Les deux notions fonctionnent ensemble.
Quant à la richesse, j’interroge souvent mes invités : qu’est-ce que ce mot désigne exactement ? Le définir implique de définir le succès. Or, nous avons grandi dans un monde qui raconte que le succès doit forcément être un nombre de zéros sur un compte en banque, une belle voiture ou un bureau en coin. C’est le monde de Milton Friedman, un monde qui, selon moi, existe encore, mais qui doit être dépassé.
La richesse ? Regardons plutôt du côté de Satish Kumar, cet activiste indien qui a 88 ans maintenant : orphelin de père à 4 ans, il est parti à 9 ans de chez lui et est devenu moine jaïn. Sa très célèbre marche de la paix de plus de 8000 kilomètres, entamée en 1962, l’a mené auprès des quatre grandes puissances nucléaires de l’époque : c’est ça la richesse. La vraie. La richesse de l’âme, l’alignement. D’un côté, nous avons donc Trump, de l’autre, nous avons Satish… À chacun de nous de déterminer quelle richesse compte vraiment à nos yeux.

Cela ressemble à un miracle : que vous, entrepreneur à succès, affirmiez cela. Quelle est votre formule magique ? Et comment pourrait-on la transmettre au plus grand nombre ?
Pour moi c’est normal. C’est notamment pour cela que j’ai créé, il y a dix ans, la fondation Epic, qui met en relation des organisations sociales à fort impact avec des personnes et des entreprises qui souhaitent donner plus – et mieux – pour autonomiser et protéger les jeunes et notre planète.
Le fil rouge est donc très clair : c’est le partage. C’est ce même message que portent Satish Kumar ou, en France, Lucie Basch [la fondatrice de Too Good To Go et Poppins, NDLR] ; je les considère comme des activistes et nous aurons besoin d’être toujours plus nombreux pour répondre aux défis qui se dressent devant nous.
Mais ne faisons pas non plus abstraction des hommes et des femmes politiques et de leurs responsabilités. J’espère que nous aurons des dirigeants capables de penser une société plus juste – c’est en eux que je place le plus d’espoir pour après-demain.
Impossible de clore cette conversation futuriste sans évoquer l’IA : selon vous, c’est un outil prodigieux, à condition que…
À condition de garder la main sur le sens. Parce que l’IA accélère tout, et que notre humanité a besoin de lenteur. Pour respirer, il faut retrouver du rythme, se connecter à ce qui compte.
Une idée que vous pensiez folle et qui devient réalité ?
INFINITE. Favoriser la réussite d’étudiants talentueux issus de milieux populaires, pour contribuer au développement d’une nouvelle génération de leaders, plus représentative de notre société : c’est une solution de financement jamais vue jusqu’ici, un prêt à taux zéro sans garant qui, une fois remboursé, financera de manière perpétuelle le bénéficiaire suivant.
Un dernier conseil pour la route : d’après vous, l’avenir appartient à celles et ceux qui…
Travaillent plus que les autres ! Mais surtout, qui travaillent pour les autres.
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