Culture
Créé en 2014, "A Swan Lake" a emballé, en mars dernier, le très exigeant public du Théâtre des Champs-Elysées. Play, la nouvelle pièce que le chorégraphe suédois a imaginée pour le ballet de l’Opéra de Paris, programmée du 6 au 31 décembre, surfe sur la même folie.
Ça glisse, ça patauge, il pleut des petits canards en plastique, une cantatrice vient faire ses vocalises avec un sèche-cheveux qu’elle jette ensuite dans la mare, électrisant tout le monde et provoquant un court-circuit général. Pour immerger son lac des cygnes dans la réalité, Alexander Ekman a fait verser 6 000 litres d’eau sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, la transformant en une piscine de 20 centimètres de profondeur. Car chez lui, la danse est tout sauf spectrale, et un cygne, ça vit sur un lac, un point c’est tout. « L’idée était de concevoir un ballet surprenant, inattendu, quelque chose qui nous fasse sortir de notre zone de confort… » dit-il, illustrant ainsi avec panache cet art du jeu, ce goût de la tendre provocation. L’eau est donc utilisée ici dans toute sa symbolique, liquide amniotique, évocation de la sexualité, élément salvateur, purificateur, terrain de jeux, éteignant les feux (de l’amour), ralentissant les mouvements, faisant flotter.
Rien donc, dans cette folie, du lac original, ni de la musique de Tchaïkovski, des pas de Petipa ou de la réinterprétation de Noureev en 1984, évocation freudienne de l’âme et de ses revers. La musique est signée Mikael Karlsson, les costumes ont été créés par le designer suédois Henrik Vibskov. Seul clin d’œil à la version originale : une évocation anecdotique d’Odile et d’Odette, cygnes blanc et noir, se donnant de grandes gifles et faisant leurs pointes dans l’eau, juste après une projection sur une grande toile montrant les temps forts du ballet d’origine, avec les gloires du passé, commentés avec des mots justes et simples.
Alexander Ekman, iconoclaste
Alexander Ekman, qui a également signé les décors, livre sa vision iconoclaste de l’œuvre sans pour autant dénaturer son lyrisme. Même si la danse est parfois difficile à trouver, excepté de magnifiques mouvements d’ensemble, c’est joyeux, virtuose, complètement barré. Cela dit, le titre est explicite, car il s’agit d’un lac des cygnes et non « du » Lac des cygnes. C’est donc une interprétation (par le Ballet national de Norvège, qui s’était déjà produit pour un autre programme, lors du cycle TranscenDanses, initié par le Théâtre des Champs-Elysées) du ballet emblématique que le chorégraphe a trituré à sa sauce.
Il y a quelque chose de ludique et de très personnel dans cet art de la réinterprétation, quelque chose d’enfantin également, à mi-chemin entre le ballet et le music-hall. C’est le thème de Play, sa prochaine pièce. « Jouer est quelque chose qui rend heureux, explique-t-il dans une vidéo enregistrée à l’Opéra de Paris. C’était si naturel lorsque nous étions enfants. Du coup, je me suis intéressé à ce que cela signifie lorsqu’on devient adulte. Pourquoi cessons-nous de jouer ? Il y a un mystère humain là-dedans. J’aimerais que cette pièce fonctionne comme un rappel du passé, et cela sans jamais oublier l’essence de mon travail : surprendre, faire oublier la vie… »
Agenda
• Du 6 au 31 décembre 2017, Play, Opéra national de Paris. www.operadeparis.fr
• Mars 2018, Tyll, avec le Houston Ballet ; Left Right Left Right, avec le Maribor Slovene National Theatre. www.alexekman.com
Le parcours d'Alexander Ekman
Naissance en 1984 à Stockholm, puis études de danse au Ballet royal suédois. Premiers rôles dans la compagnie du même nom. De 2002 à 2005, Alexander Ekman danse pour l’une des meilleures compagnies du monde, le Nederlands Dans Theater II, puis pour le Cullberg Ballet, en Suède, pour lequel il réalise ses deux premières chorégraphies. Suivent Workshop, pour le Nederlands Dans Theater (2004), Flockwork (2006) et LAB 1 (2007). En 2010, Cacti est nominée pour de nombreux prix et lui offre une consécration internationale. En 2011, il enseigne à la Juilliard School, à New York, et crée ensuite Left Right Left Right (2012), encore pour le Nederlands Dans Theater II, A Swan Lake (2014) et Le Songe d’une nuit d’été (2015) pour le Royal Ballet of Sweden. De 2015 à 2016, il travaille pour la compagnie néerlandaise Introdans, crée Cow en mars 2016 pour le Ballet de l’Opéra de Dresde. Il a travaillé pour plus de 45 compagnies (Compañía Nacional de Danza, ballet de l’Opéra national du Rhin, ballet de l’Opéra de Vienne…), et est également auteur d’installations muséales (notamment au Musée d’art moderne de Stockholm avec le Ballet Culberg). Il a collaboré avec le festival Europa Danse et le Festival international de danse d’Athènes et a réalisé de nombreux films sur la danse.
Lire aussi
Sharon Eyal et Gai Behar : l’âme de fond de la danse