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Culture

Aïnu, au service du patrimoine culturel

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Labellisée Entreprise du patrimoine vivant, Aïnu s’illustre dans un domaine peu connu du grand public : le soclage. Indispensables à la valorisation des collections patrimoniales, ses savoir-faire lui permettent une reconnaissance internationale et lui assurent une présence sur les plus grands chantiers muséographiques du monde. D’autant qu’Aïnu ne cesse de diversifier son offre de services.

Les mains s’affairent au-dessus du poste de travail aménagé sur une desserte à roulettes. Sur le plateau supérieur, on trouve une dizaine de tiges en métal aux formes toutes différentes, soigneusement étiquetées et plantées dans un bloc de polystyrène, une collection de vis et de forets, une perceuse, des pinces plates, des rouleaux de papier adhésif. Sur le plateau inférieur, une boîte débordant de gants. Non loin, des objets sont disposés sur un grand plateau. La jeune femme attend l’ultime validation de leur agencement avant de procéder à leur soclage, étape indispensable dans la présentation des objets au sein d’une exposition. Nous sommes au deuxième étage du musée Carnavalet, qui entame la dernière ligne droite de son ambitieux chantier de rénovation, débuté en 2018 et dont la fin est prévue au printemps 2021.

Ces pièces destinées à être présentées en vitrine datent de la Révolution. L’œil sait appréhender ces objets inestimables, les gestes sont à la fois assurés et délicats. Maîtriser son temps, optimiser ses actions, le rythme est rapidement trouvé. « L’installation est le moment que je préfère, confie la jeune femme. C’est là que tout se met en place et qu’on voit le résultat de notre travail. » Un travail qui, s’il est bien effectué, doit paradoxalement être invisible. Un à un, les objets s’insèrent parfaitement dans leur armature d’acier et tout fait sens. Le socle attire le regard sur l’objet ainsi mis en valeur et met cérémonieusement le visiteur à distance. Au sous-sol, un binôme s’occupe quant à lui du soclage de pièces beaucoup plus imposantes datant du Moyen Âge : une Vierge en calcaire d’une centaine de kilos et le panneau d’un sarcophage.

Si le changement de gabarit est flagrant, le système reste toujours le même. « Le soclage est une affaire de compromis entre la sécurité et l’esthétique, explique Audrey Bonnemort, chef de projet Aïnu pour le musée Carnavalet. Quand il est visible, on essaie toujours d’assurer une cohérence avec la scénographie. » Au total, l’entreprise a traité sur ce projet plus de 2 000 objets aux caractéristiques très variées. Il a fallu s’adapter à leur poids et à leur gabarit. Trouver de nouvelles techniques de soclage en fonction des matériaux de fixation. S’assurer de la conservation des pièces en utilisant les matériaux les plus neutres possible.

Lors de notre reportage, les équipes d’Aïnu travaillaient sur le chantier de rénovation du musée Carnavalet, achevé au printemps.
Lors de notre reportage, les équipes d’Aïnu travaillaient sur le chantier de rénovation du musée Carnavalet, achevé au printemps. Nicolas Krief

Un métier éminemment empirique

Le socle d’exposition est devenu l’un des outils indispensables à la muséographie. Il intervient en relation avec une architecture, une scénographie et une intention. Dès lors que le contexte devient également signifiant, il se développe avec la volonté de valoriser et de présenter des collections et permet une certaine appréhension par le public. Il participe directement à la mise en scène du discours muséographique. « Notre travail est de mettre en forme la façon dont l’œuvre d’art sera présentée en respectant le discours scientifique du conservateur, le parti pris esthétique de l’architecte et la meilleure visibilité pour le public », décrypte Stéphane Pennec, directeur d’Aïnu.

Cette activité est historiquement exercée par une variété de corps de métiers différents – tailleurs de pierre, menuisiers ou sculpteurs –, mais c’est l’utilisation du métal dans la création des supports qui permet de définir les contours concrets de la fonction de socleur. « Il n’y a pas de définition du métier, explique Stéphane Pennec. C’est un terme qui n’apparaît même pas dans le dictionnaire. Le métier existe seulement dans les faits. Si l’on devait chercher une parenté au socle, son ancêtre serait sans doute le vaisselier. »

Une profession éminemment empirique dans laquelle Aïnu a su développer une expertise en capitalisant son savoir-faire et ses compétences. « Il s’agit sans doute de l’un des métiers les plus humbles au monde, puisque moins ça se voit, mieux c’est, précise le directeur. Le rapport à l’œuvre d’art est intéressant. Le socleur est au plus près de l’objet et, en même temps, il doit être le plus discret, le plus absent. »

Après avoir fondé et géré un important atelier de restauration d’œuvres d’art pluridisciplinaire en Bourgogne, Stéphane Pennec décide de créer Aïnu en 2003. L’entreprise – dont le nom signifie « humain » en japonais et désigne également une population aborigène originaire d’Hokkaïdo – ne tarde pas à s’imposer comme une référence mondiale dans l’installation et la présentation d’œuvres d’art et de collections patrimoniales. « De 70 à 80 % de notre chiffre d’affaires résulte de nos services de soclage, détaille le fondateur. Mais notre cœur de métier est véritablement constitué par les collections patrimoniales. »

Lors de notre reportage, les équipes d’Aïnu travaillaient sur le chantier de rénovation du musée Carnavalet, achevé au printemps.
Lors de notre reportage, les équipes d’Aïnu travaillaient sur le chantier de rénovation du musée Carnavalet, achevé au printemps. Nicolas Krief

Huit chantiers à la fois

Aujourd’hui, ses clients sont à la fois publics et privés, nationaux et internationaux, comme le Centre Pompidou, le Louvre Abu Dhabi, le MoMA ou encore Van Cleef & Arpels et Bulgari. « Nous ne poursuivons pas vraiment de démarche commerciale, poursuit Stéphane Pennec. De manière générale, nous répondons à des appels d’offres publics émanant des musées et des institutions. Le reste se fait par le bouche-à-oreille. Comme nous privilégions les collections, nous ne travaillons pas pour une clientèle de particuliers. » Parallèlement à la muséographie, l’entreprise se démarque pour ses compétences dans les domaines de la minéralogie ou encore de la haute joaillerie. Elle a également entamé une diversification de ses activités pour compléter son offre de services. Mannequinage, restauration et stockage d’œuvres d’art, encadrement, photographie et numérisation des collections ou encore scénographie constituent aujourd’hui autant de cordes à son arc.

Cette approche inédite et sa taille permettent à Aïnu de se classer loin devant de potentiels concurrents sur ce marché de niche international. En 2019, son chiffre d’affaires s’élevait à 4,2 millions d’euros. En temps normal, l’entreprise gère tambour battant près de huit chantiers à la fois, quatre équipes en déplacement et une inauguration d’exposition par semaine. Malgré la crise du Covid et ses effets dévastateurs sur le secteur culturel en général, Aïnu a su résister à la tempête.

« À Paris, en ce moment, nous avons le chantier du musée Carnavalet qui se termine, celui de la BNF qui commence, et l’installation de l’exposition Divas : d’Oum Kalthoum à Dalida, à l’Institut du monde arabe », énumère le directeur. C’est sans doute en mettant les pieds dans l’immense atelier de 2 000 m2 situé à Gentilly, en région parisienne, qu’on prend la mesure du foisonnement de l’entreprise. Actuellement, Aïnu compte 39 salariés et presque autant de corps de métiers différents.

En temps normal, Aïnu gère une inauguration d’exposition par semaine. En 2015, elle s’est occupée de Korea Now, au MAD Paris.
En temps normal, Aïnu gère une inauguration d’exposition par semaine. En 2015, elle s’est occupée de Korea Now, au MAD Paris. AUGUSTIN DE VALENCE

Restaurateurs, architectes, ingénieurs, photographes, régisseurs, chefs de projets, techniciens de conservation et d’autres encore forment cette singulière pépinière. Ce jour-là, l’atelier est relativement calme. Les équipes de soclage réparties entre les différents chantiers travaillent généralement in situ. Une équipe s’affaire toutefois à la restauration d’American Picnic, impressionnante toile de Juliette Roche, peintre du XXe siècle, conservée par la fondation Albert Gleizes. Il faudra un mois d’un travail minutieux pour ressusciter cette œuvre.

Juste à côté, d’étonnants minéraux sont photographiés dans un sobre décor studio. Ils appartiennent au musée MIM, situé à Beyrouth, abritant l’une des collections privées de minéraux les plus importantes au monde et avec lequel Aïnu collabore depuis 2011. Du rez-de-chaussée aux mezzanines, les ateliers bois, métal, textile, les espaces de travail, de stockage et les bureaux se succèdent les uns aux autres dans une joyeuse profusion. Cet été, après dix-sept années passées à Gentilly, l’entreprise prévoit de déménager dans un ancien entrepôt industriel posé sur un terrain de 4 400 m2, à Aubervilliers. Un immense terrain d’expérimentation à la mesure des futures ambitions d’Aïnu.


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