The Good Business
Alors que le trafic aérien explose – il double en moyenne tous les cinq ans –, et que les Etats se délestent de leurs aéroports pour en confier la gestion à des industriels, ADP, deuxième groupe aéroportuaire mondial, ne cesse de développer sa présence à l’international. Une montée en puissance qui vaut au géant français « privatisable » d’afficher l’une des plus belles rentabilités du marché.
Les grands groupes aéroportuaires se disputent la conquête et la gestion des aéroports, un vivier ultraprospère où les implantations étrangères prennent des allures de joyaux de la couronne. Ainsi en est-il de tous les leaders du secteur : le numéro un mondial, l’espagnol Aena ; le puissant Vinci, actionnaire d’ADP et candidat très clairement déclaré à son rachat – sa toute dernière prise, l’aéroport londonien de Gatwick, n’est pas passée inaperçue ; le gestionnaire allemand Fraport ; et, bien sûr, Groupe ADP, dont l’expérience et l’expertise ont un parfum de valeur sûre dans cet univers exponentiel, mais ultrasensible.
L’industrie aéroportuaire se complexifie de plus en plus, et les exigences en matière de sécurité et de sûreté n’ont cessé de se renforcer. Concevoir un aéroport aujourd’hui, ce n’est plus se contenter de construire des murs, une piste et une tour de contrôle. C’est l’envisager de bout en bout, depuis l’infrastructure en dur jusqu’aux services qui viendront s’y loger. Sa gestion requiert donc un savoir-faire de plus en plus onéreux que les Etats et les puissances publiques ne sont plus à même d’assumer.
D’où cette vague de privatisations qui sont autant d’occasions de se développer à l’international pour des groupes comme ADP, dont les performances hors de France sont désormais sa troisième source de revenus après les activités aéronautiques, de commerces et de services. Une vraie révolution culturelle pour ce gestionnaire des plates-formes Paris-Charles-de-Gaulle et Paris- Orly, qui s’est longtemps contenté d’une existence nationale.
L’une des dernières acquisitions d’ADP fait figure d’événement : la prise de contrôle d’Airport International Group (AIG), concessionnaire de l’aéroport Reine-Alia, en Jordanie. Il s’agit de la première participation majoritaire d’ADP, pour un investissement de 215 millions d’euros. « Nous étions actionnaires à hauteur de 9,5 %, et nous sommes montés à 51 % du capital, explique Fernando Echegaray, directeur général d’ADP International. Cet aéroport est considéré comme une pépite au Moyen-Orient. Il illustre parfaitement notre savoir-faire pour attirer davantage de trafic aérien, développer les commerces dans les aérogares ou encore créer des emplois locaux. »
Vers un pilotage unique
Les prémices d’ADP en matière de prospection à l’étranger remontent à l’aube des années 2000, mais ce n’est qu’en 2010 que l’entreprise se lance dans cette stratégie de conquête internationale volontariste, attachée à offrir à ses clients une proposition optimale, donc intégrée. Auparavant, deux filiales cohabitaient de manière quasiment indépendante : ADP Ingénierie et ADP Management. Aucune synergie ne reliait les deux entités, tant et si bien que l’une agissait parfois pour une mission sans en informer l’autre, qui aurait pu en tirer parti.
Un point faible relevé et corrigé par le patron Augustin de Romanet, qui, dans un entretien à The Good Life fin 2017, soulignait l’importance de créer une véritable direction internationale, apte à coordonner les opérations gérées par ADP à l’étranger. Filiale à 100 % du groupe, ADP International coiffe désormais trois métiers : les investissements, la gestion aéroportuaire et l’ingénierie. Ils font bloc, à présent, pour proposer au client une offre globale, dont son directeur souligne les effets vertueux : « Notre nouvelle organisation nous permet de développer une approche commerciale plus intégrée, et des expertises sectorielles renforcées autour de nos trois grands métiers. Leur regroupement sous un pilotage unique nous rend plus efficaces. »
Cette direction monolithe n’empêche pas ADP Ingénierie d’intervenir seule sur certaines missions ponctuelles, comme l’étude portant sur la sécurité dans les aéroports saoudiens, la mission « design » qui consiste à dessiner les plans de l’aéroport de Pékin, ou encore la construction du plus gros trieur mondial de bagages, à Dubaï. « Nombre de nos réalisations les plus emblématiques se situent au Moyen-Orient, précise Gratien Maire, directeur général d’ADP Ingénierie. Comme les terminaux 2 et 3 de l’aéroport de Dubaï et les tours de contrôle à Abou Dhabi et à Doha. Nos projets actuels les plus importants concernent les futurs aéroports internationaux de Chengdu et de Pékin (Chine), de Katmandou (Népal), de Manama (Bahreïn) ou de Panama City. »
Cette nouvelle organisation, consolidée par l’ouverture de bureaux régionaux à New York, à Hong Kong et à Istanbul – « un réseau qui stimule notre capacité à identifier les marchés les plus porteurs, les partenaires les plus attractifs », selon Fernando Echegaray – se révèle d’autant plus pertinente que la concurrence fait rage. A peine un appel d’offres est-il lancé que les opérateurs se mettent sur les rangs. Le plus souvent, ils agissent en consortium. A eux de trouver les bons partenaires.
Pour l’aéroport de Santiago du Chili, dont il fut l’heureux élu en 2015, ADP a fait équipe avec le groupe Vinci et le spécialiste du BTP italien, Astaldi : aux entreprises Vinci Construction et Astaldi, la construction de l’aéroport ; à ADP et Vinci Airports, la mission de le gérer. Une relation particulière unit ADP à son actionnaire. Ce que le dirigeant espagnol exprime avec une pointe d’humour : « Vinci et le groupe ADP sont dans un rapport sain dit de “coopétition”, à la fois concurrents sur certains appels d’offres et partenaire sur d’autres… » Ainsi, c’est avec Bouygues qu’ADP a fait équipe pour gagner la concession de l’aéroport de Zagreb, en 2012.
Les Etats ou les concédants choisissent entre plusieurs consortiums, avec chacun son propre projet industriel. Un métier de patience, une préparation qui prend des mois. L’Etat fait son choix sur dossier, ou par le biais d’enchères. Les bons projets ne se transforment pas toujours en ticket gagnant. Ainsi de cet appel d’offres lancé par ADP pour la modernisation de l’aéroport LaGuardia, à New York, où le français fut successivement heureux finaliste, puis malheureux perdant, l’autorité portuaire des Etats de New York et du New Jersey lui ayant préféré l’opérateur canadien Vantage Airport Group, associé au groupe de BTP suédois Skanska.
Une montée en altitude
L’année 2012 marque un tournant dans cette montée en altitude : avec sa présence à hauteur de 46,1 % du capital du turc TAV Airports, dont il devient l’actionnaire de référence, ADP change de dimension. Car l’intégration des résultats de cette quasi- filiale a considérablement boosté le bilan d’ADP à l’international (682 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017). « Plus que l’investissement financier, cette acquisition de TAV est une réussite industrielle en termes de partage de compétences et de synergies, précise Fernando Echegaray. Par exemple, nous gérons ensemble l’aéroport de Zagreb, en Croatie. La performance de TAV va bien au-delà de ce que nous avions anticipé en 2012. C’est un opérateur de premier plan qui administre 14 aéroports dans sept pays et dont les filiales (duty-free, restauration, assistance d’escale, sûreté…) vendent leurs prestations dans le monde entier. »
Impossible, pour autant, de passer sous silence la fermeture prochaine de l’aéroport Atatürk, le plus gros hub d’Istanbul avec plus de 60 millions de passagers, alors que Recep Tayyip Erdogan, le président turc, vient d’inaugurer un nouvel espace titanesque, dont la concession n’a pas été attribuée à TAV. ADP explique toutefois que le contrat de concession d’Atatürk arrivant à échéance en 2021, le groupe français n’aura à subir aucune dépréciation d’actifs, puisque l’Etat turc – avec lequel il négocie actuellement – s’engage à indemniser ADP du manque à gagner entre la fermeture d’Atatürk début 2019 et la fin de la concession, en 2021.
Et ADP continue de proclamer sa confiance dans la capacité de TAV à se développer. La belle santé d’ADP à l’international attise encore un peu plus l’appétit de Vinci, dont la récente filiale Vinci Airports fait montre d’une fièvre acheteuse aéroportuaire pour le moins spectaculaire.
Mais ADP privilégie les cibles à gros potentiel, « où nous sommes certains d’apporter une valeur ajoutée, explique Fernando Echegaray. L’Asie nous intéresse tout particulièrement, comme en témoigne notre candidature pour la concession de huit aéroports régionaux au Japon, dans l’île d’Hokkaido ». L’entreprise se targue d’opérer un développement international réfléchi, prompt à se positionner sur des projets réalistes, moyennant un coût d’acquisition raisonnable, pour le groupe coté en Bourse comme pour l’Etat vendeur. A cet égard, l’échec cuisant de la reprise de Toulouse-Blagnac par le chinois Casil, aujourd’hui embourbé dans la non- rentabilité de son investissement faramineux, agit comme un antidote à la tentation spéculative…
Prospective
La fusion d’ADP et Vinci Airports en ferait, de très loin, le premier groupe aéroportuaire mondial, devant l’actuel géant espagnol Aena (280 millions de passagers sur 46 aéroports en Espagne et celui de Londres-Luton, en 2017).
• ADP (2017)
– 24 aéroports.
– Trafic en hausse de 7,4 %.
– 228 millions de passagers.
– 3,6 Mds € de chiffre d’affaires.
– CA à l’international : 682 M €.
• VINCI AIRPORTS (2017)
– 46 aéroports.
– Trafic en hausse de 12,4 %.
– 180 millions de passagers.
– 1,4 Md € de chiffre d’affaires.
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