The Good Business
Trois ans après le passage de l’ouragan Sandy et l’inondation d’un sixième de la ville de New York, les travaux d’aménagement des rives sont sur le point de démarrer. A la clé, l’espoir de protéger la plus grande agglomération américaine des prochaines catastrophes météorologiques et de la montée du niveau des océans.
A certains endroits, sur les façades d’immeubles situés le long du fleuve Hudson, les marques de la montée des eaux sont encore visibles. Dans le sud de Manhattan, dans le quartier de Battery Park, la crue avait atteint une hauteur de plus de quatre mètres. Mais si les traces tendent à s’effacer avec le temps, les New-Yorkais, eux, n’ont rien oublié de cette nuit du 29 au 30 octobre 2012, au cours de laquelle l’ouragan Sandy a soufflé sur leur ville. Ils ont encore en mémoire les images des maisons et des commerces dévastés, des rues envahies par les eaux, des sous-sols, des tunnels routiers et des stations de métro inondés, de la moitié sud de Manhattan plongée dans le noir et des pénuries de carburant dans les stations-service. Sans compter les victimes : 44, rien qu’à New York. « Plus jamais ça », avaient promis les autorités américaines.
Une vaste zone menacée
Avec 2,5 millions de personnes vivant dans des zones inondables à New York et dans l’État voisin du New Jersey, une solution unique de lutte contre l’infiltration des eaux s’est vite révélée impossible. « Le plus efficace, dans l’absolu, serait de construire un mur continu au large des côtes, relève l’architecte Shohei Shigematsu. Un projet irréaliste qui coûterait l’équivalent d’un sixième de l’activité économique des Etats-Unis. » Son agence d’architecture, la néerlandaise OMA, dirige l’un des six projets sélectionnés l’an dernier lors d’un vaste concours d’urbanisme, Rebuild by Design, organisé par le gouvernement américain pour rendre les zones côtières moins vulnérables aux aléas climatiques. OMA s’est vu attribuer 230 millions de dollars, somme gérée par l’Etat du New Jersey pour protéger Hoboken, la quatrième ville la plus dense de l’État avec plus de 50 000 habitants. La construction de terrasses, de cloisons étanches et de murs rétractables devrait limiter l’entrée des eaux dans le centre urbain, de même que l’installation d’immenses pompes à eau et la rénovation des égouts devraient améliorer le drainage d’un sol imperméable qui favorise la stagnation des eaux en surface. « Certaines zones ne peuvent pas être protégées », regrette Shohei Shigematsu. Comme celles où les maisons sont construites sur le sable, au bord de l’eau. une situation qui a d’ailleurs incité certains habitants à quitter leur logement. A Staten Island et à Long Island, les pouvoirs publics ont mis en place un programme de rachat de maisons destinées à être détruites, pour rendre les terrains inconstructibles. Une telle politique est impensable à Manhattan, où les promoteurs immobiliers s’arrachent chaque mètre carré. L’agence danoise BIG, qui a conçu la prochaine et dernière tour du World Trade Center, a été choisie pour son projet Big U. Rebaptisé, depuis, « The Dry Line », ce plan prévoit l’aménagement de 16 kilomètres de rives, de la 57e Rue, à l’ouest, sur les bords de l’Hudson, à la 42e Rue, à l’est, le long de l’East River, en passant par Battery Park, au sud. La protection des 500 000 habitants en zone à risque y est conçue tel un parc de bord de mer, où les moyens de défense contre les inondations se fondent dans l’environnement urbain. Le projet s’inscrit dans la même veine que la High Line – allée verte piétonnière aménagée sur d’anciennes voies ferrées aériennes – et que la Low Line – projet de parc sous-terrain –, tous deux à Manhattan. Le premier coup de pioche des travaux n’étant prévu qu’en 2017, l’heure est encore à l’état des lieux : étude des terrains, inspection des infrastructures côtières existantes, dont les passerelles enjambant les voies rapides qui ceinturent Manhattan, et inventaire des arbres. Des réunions sont régulièrement organisées avec les différents services municipaux concernés – parcs, eaux, transports –, où chacun défend son propre point de vue, souligne Jeremy Alain Siegel, responsable du projet chez BIG (lire encadré). Des six plans d’aménagement retenus, The Dry Line est sans aucun doute le plus ambitieux. Et le plus coûteux : seul un quart du projet est actuellement financé, à hauteur de 335 millions de dollars.
Protéger les sites stratégiques
Si les trois aéroports de la ville – JFK, LaGuardia et Newark – ne font pas encore l’objet d’un plan de protection spécifique, les centrales électriques constituent une priorité pour les autorités new-yorkaises. Trois réacteurs nucléaires avaient été arrêtés et le transformateur de la 14e Rue, près de l’East River, avait explosé suite au passage de Sandy, privant d’électricité des centaines de milliers de foyers durant plusieurs jours. Autre centre sensible : Hunts Point, dans le Bronx, au nord-est de Manhattan. Sur cette péninsule industrielle de 2,8 km2 se situe l’un des plus grands systèmes d’approvisionnement alimentaire du pays. Viandes, poissons, fruits et légumes y transitent pour desservir 22 millions d’Américains, représentant une économie de 5 milliards de dollars annuels et 20 000 emplois directs. Les travaux commenceront en 2018, mais ne pourront être poursuivis, là encore, qu’avec un budget augmenté : 45 millions de dollars ont été attribués, il en faudrait dix fois plus pour achever le projet. Hunts Point n’a pas été inondé en 2012, car la marée était basse dans le Bronx à l’heure du passage de l’ouragan. « Mais Sandy a fait prendre à tous conscience de la vulnérabilité du site économique, explique l’architecte paysagère Ellen Neises, qui a codirigé le projet Hunts Point Lifelines sélectionné. S’il est détruit, les emplois le seront aussi, et les habitants partiront. Les enjeux sont multiples, et nous voulons faire de Hunts Point un modèle économique et social de résilience », précise encore l’enseignante de l’université de Pennsylvanie. D’ici à 2050, le niveau des mers et des océans devrait augmenter de 70 centimètres selon les scientifiques, plaçant à risque quelque 800 000 résidents de l’agglomération. La mairie de New York estime qu’un nouvel ouragan coûterait alors 90 milliards de dollars de dégâts, près de cinq fois plus qu’en octobre 2012. Or, les climatologues l’assurent : d’autres Sandy sont à venir. Il y a vraiment urgence à penser vite, et à faire bien.
Près de 1 milliard de dollars pour 6 projets d’aménagement
- 335 M $ pour l’aménagement de 3,5 km de rives à Manhattan (sur les 16 km prévus à terme), le long de l’East River, de la 23e Rue à Montgomery Street.
Agence : BIG. - 230 M $ pour la protection de la ville de Hoboken, le long de l’Hudson, dans le New Jersey.
Agence : OMA. - 150 M $ pour l’aménagement des marécages de Meadowlands, dans le nord-est du New Jersey. Agences : ZUS + Urbanisten en collaboration avec le Center for Advanced Urbanism du MIT.
- 125 M $ pour la protection de la rive méridionale du comté de Nassau, à Long Island : construction de fondrières, d’écluses et d’espaces verts.
Agence : Interboro partners. - 60 M $ pour la construction de récifs artificiels à Staten Island. oiseaux marins, phoques, poissons et crustacés y trouveront refuge.
Agence : scape/Landscape Architecture. - 20 M $ (+ 25 millions donnés par la ville de New York) pour la protection du centre d’approvisionnement alimentaire de Hunts Point, dans le Bronx.
Agence : OLIN en collaboration avec l’école d’architecture de l’université de Pennsylvanie.
3 questions à Jeremy Alain Siegel
Architecte, responsable du projet The Dryline au sein de l’agence danoise BIG.
The Good Life : Comment avez-vous conçu votre projet d’aménagement du sud de Manhattan ?
Jeremy Alain Siegel : L’équipe, formée d’une douzaine d’architectes de BIG, de paysagistes et d’ingénieurs, a dû réfléchir non seulement en termes d’architecture, mais aussi en termes d’organisation des communautés et des transports et de politique de logement. Nous voulions apporter des solutions variées en fonction des quartiers concernés. La barrière de protection contre la montée des eaux se concrétisera de différentes façons : par des bancs et des gradins à certains endroits, par des parois fixes et des panneaux rétractables, à d’autres, ou encore par des parcs et des aires de loisirs.
TGL : Aujourd’hui, seule une section du projet initial est financée…
J. A. S. : A l’est, en effet : 3,5 km entre la 23e Rue et Montgomery Street, là où se situe historiquement le plus grand nombre de foyers à bas revenus et de logements sociaux construits depuis le déclin de l’industrialisation du port de Manhattan au XXe siècle. Avec la municipalité, nous avons ciblé en priorité
ces quartiers, car leurs habitants n’ont pas les moyens de partir vivre ailleurs lors des inondations. Les travaux débuteront en juin 2017. Nous sommes par ailleurs en phase de recherche de fonds pour la suite. Mais c’est un projet à très long terme.
TGL : Quel est le plus gros défi à venir ?
J. A. S. : Celui de réussir à concrétiser notre projet et à protéger suffisamment les New-Yorkais.