The Good Guide
Alors que l'institution parisienne fête ses 150 ans, elle fait peau neuve et s'offre un nouvel ambassadeur de choix : le chef Yannick Alléno. Ce que l'on sait moins, c'est que la maison se situe depuis presqu'un siècle à l'avant-garde du caviar français... Explications.
Se réinventer quand on a tout défriché est un exercice délicat. Pionnier de l’importation de caviar puis de sa production dans l’Hexagone, mais aussi instigateur du bar à huîtres, du champagne à la coupe et de la livraison à domicile à vélo à Paris, on doit au restaurant Prunier, à son fondateur Alfred Prunier et à son fils Emile un riche héritage.
Prunier, un pionnier
L’histoire commence en 1872 alors qu’Alfred Prunier ouvre sa boutique rue d’Antin. Avec son épouse Catherine, ils introduisent le bar à huître et l’adresse devient rapidement un incontournable où se presse le Tout-Paris. L’aristocratie russe fréquente également l’établissement et c’est pour satisfaire leurs exigeantes attentes que le couple a l’idée d’importer du caviar de Russie dès 1918.
Leur fils Emile impulse la production d’un caviar français trois ans plus tard, achetant aux pêcheurs de l’estuaire de la Gironde les œufs de leurs esturgeons afin de les transformer. Ce n’est qu’en 1993 que sera inaugurée la première ferme d’esturgeons Prunier en Aquitaine, l’une des premières au monde.
Prunier en quelques dates
1872 : premier restaurant Prunier rue d’Antin
1918 : Prunier importe du caviar en France, une première
1921 : Prunier lance sa production de caviar en Aquitaine
1993 : La maison créé l’une des premières fermes d’esturgeons au monde
2000 : Pierre Bergé rachète Prunier
2004 : Caviar House prend des parts et incite au développement à l’international
2022 : réouverture avec un nouveau décor et le chef Yannick Alléno
La question du caviar français
Désormais regroupées sous l’entité Manufacture Prunier, les fermes aquacoles de la marque parsèment le sud-ouest de la France, de Riscle, dans le Gers, à Montpon Ménestérol, dans le Périgord. Cette seule ferme, qui élève les poissons autant qu’elle en processe les œufs, a produit à elle seule 12 à 15 tonnes par an. « Un chiffre record quand on sait que l’Iran en fait 12 » souligne Laurent Sabeau, patron de la ferme, avant de rappeler que la France a eu un vrai rôle dans le développement de l’élevage d’esturgeons (pour contrer la surpêche, la pêche d’esturgeons sauvages est interdites depuis 2010, ndlr).
Mais alors, pourquoi le caviar français n’est-il pas encore plébiscité ? De son propre aveu, Yannick Alléno, devenu cet été chef et ambassadeur de l’adresse de l’Avenue Victor Hugo, admettait penser que l’or noir issu de nos terroirs n’était pas à la hauteur des russes ou des iraniens. Mais, depuis qu’il s’est penché de près sur les processus de production et les différents caviars de la maison Prunier, il ne tarit pas d’éloges à son sujet…
« Je crois que je peux dire et affirmer, mon expertise me permettant cette prétention, que Prunier a atteint le summum de la qualité en matière de caviar. » – Yannick Alléno
Prunier selon Yannick Alléno
Depuis sa prise de fonction en tant qu’ambassadeur de la marque, le chef, triplement étoilé pour sa table au Pavillon Ledoyen, s’est plongé dans la découverte -voire l’expertise- du caviar. Pour Prunier, il a non seulement remodelé la carte du restaurant mais aussi participé au nouveau décor du lieu.
Si le rez-de-chaussée n’a subi qu’un lifting minimal, l’étage s’est radicalement éclairci et le salon privé « Isba », cher à Pierre Bergé qui y tenait nombres de soirées privées et after shows, a vu abattre ses cloisons et s’ouvre désormais sur le bar à champagne. Un relooking signé Alexandra Saguet, en collaboration avec le Studios Gohar et l’Atelier du mur, deux références de la rénovation ayant attrait à l’Art déco. « Un coup de frais était nécessaire mais nous ne voulions en aucun cas trahir l’âme de Prunier » précise Yannick Alléno.
En cuisine, la métamorphose a été plus radicale. Le chef s’explique : « Nous avons repris la carte de A à Z. La nouvelle proposition culinaire est simple, pas ostentatoire. Nous nous sommes confrontés à tous les aspects de la carte en commençant par les taramas et leurs blinis. Tous les détails comptent, les blinis, la crème, participent à mettre en valeur notre saumon Balik. Parfois ce sont les choses simples qui sont les meilleures. Nous avons évidemment planché sur des mets plus élaborés, comme le merlan à la Prunier qui s’accompagne d’un tartare de thon surmonté d’un caviar très froid — le contraste de température pourrait faire penser à celui d’un dessert ! »
« J’aime jouer de la contrariété entre les températures, poursuit le chef. Un caviar bien froid posé sur une pomme de terre chaude, par exemple, c’est génial ! Dans une crème juste fouettée, il exprime tout ses polyphénols, il décuple ses aspects floraux — car oui, le caviar a un côté floral ! On peut tout faire avec, finalement. »
Caviar pour tous
Logiquement, l’or noir ponctue la majorité des plats au menu, du bar de ligne et son céleri à la langoustine à cru en passant une glace à l’artichaut accompagnée d’une quenelle de caviar. Le plus notable d’entre eux demeure l’œuf Christian Dior, un must entré rapidement à la carte depuis un dîner organisé chez Monsieur Dior où étaient conviés Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Friands de l’œuf en gelée, ces derniers eurent l’idée d’y déposer une quenelle de caviar… Rappelons que Pierre Bergé a fait l’acquisition de la maison Prunier en 2000. Yannick Alléno, quant à lui, n’a pas hésité à rajouter son grain de sel à l’œuf.
« Christian Dior disait, et ce sont ses mots, ‘j’aime tellement la bouffe qu’un jour, il y aura un jambon Dior‘. Vous saisissez la référence ! J’ai trouvé que cette phrase était une clé de compréhension intéressante quant à sa façon de voir la gastronomie. Alors, j’ai tout simplement ajouté du jambon blanc à cet œuf par un système d’extraction rendu possible par une cuisson par le froid. Je pense que Monsieur aurait été fier de ce que nous servons aujourd’hui. » – Yannick Alléno
Naguère fréquenté par Oscar Wilde, Marcel Proust, Ernest Hemingway ou encore Francis Scott Fitzgerald qui y aurait imaginé son Gatsby, Prunier de retrouver sa place d’institution de quartier où ses voisins aimeront prendre à la volée leur sandwiche du déjeuner ou leur portion d’huîtres pour l’apéritif. « On l’a rouvert pour les gens du coin » insiste-t-il. Que l’on se rassure, tous seront bien accueillis dans les murs du restaurant Prunier de l’Avenue Victor Hugo, que cela soit pour y découvrir le caviar pour la première fois, se régaler d’un menu en cinq temps ou trinquer au meilleur champagne en fin de soirée.
Trois questions à Yannick Alléno à l’occasion de la réouverture de Prunier :
The Good Life : Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre le projet du renouveau de Prunier ?
Yannick Alléno : Je cherchais à retrouver un sens dans mes achats. Je ne travaillais pas forcément avec Prunier, je l’admets, car le caviar français n’avait pas bonne presse, n’était pas ‘au niveau’. Ce qui s’avère ne pas être vrai du tout ! La France arrive à des niveaux de qualité dignes des plus grands producteurs mondiaux. Dans toute la prise de conscience de nos environnements, travailler avec un caviar français apparaît finalement comme évident à partir du moment où il est bon. Et celui-ci est excellent !
TGL : Quelle race d’esturgeon privilégiez-vous en cuisine ?
Y. A. : L’Osciètre, toujours. Sa palette d’utilisation est formidable. Je fais un consommé clarifié au caviar, une recette d’Alain Chapel, toute une histoire ! Néanmoins, à chaque race et chaque préparation correspond une utilisation particulière.
TGL : Votre référence Prunier favorite à déguster ?
Y. A. : Je préfère le caviar très frais, c’est-à-dire peu maturé, en l’occurence le caviar Prunier Paris, hérité d’une époque où l’or noir se dégustait seulement 48 heures après la pêche.
Restaurant Prunier
16 Av. Victor Hugo,
75116 Paris
Menu à partir de 68 euros au déjeuner, 125 euros le soir.
Boîte de caviar à partir de 68 euros.