Culture
Entre glamour et frénésie d’achats, la première cuvée parisienne du salon Art Basel, Paris +, qui s’est déroulée au Grand Palais éphémère du 20 au 23 octobre, a récolté les superlatifs. Elle confirme la place de Paris comme capitale du marché de l’art contemporain.
Le vernissage fut bondé. « D’un bout à l’autre du stand je ne pouvais faire que des signes aux collectionneurs, tant la foule était dense », sourit, mi-figue mi-raisin, Antony Bigot, directeur de l’antenne parisienne de la galerie Massimo de Carlo (Milan, Hong Kong, Londres, Pékin). D’abord distribuées avec une excessive parcimonie, les invitations pour la journée du 19 octobre, réservée aux collectionneurs VIP et à quelques happy few, ont été finalement été généreusement diffusées par les organisateurs peu avant la foire.
Précaution inutile, tant la première édition parisienne du salon né en 1970 à Bâle, qui a essaimé depuis à Miami et Hong Kong, était attendue par les amateurs du monde entier. Elle avait été annoncée comme un coup de tonnerre fin janvier, sonnant de facto le glas de la Fiac, foire française lancée en 1973. La RMN-Grand Palais, suite à un appel d’offre, lui avait préféré la géante suisse pour occuper ses espaces pour les 7 ans à venir. Il s’agit pour l’instant ceux du Grand Palais éphémère, bâtiment sur le Champ de Mars érigé par l’architecte star Jean-Michel Wilmotte, pour accueillir les expositions pendant les travaux du Grand Palais, qui doit rouvrir en 2024.
Charme français et big business
Art Basel avait su ménager le chauvinisme français en ne baptisant pas le salon Art Basel Paris, mais Paris + par Art Basel : une marque à part entière, dont le cahier des charges comprend la mise en valeur de la capitale.
But officiel des organisateurs : « créer un événement (…) avec l’établissement de passerelles entre l’art contemporain et les industries culturelles françaises telles que la mode, la musique, le design et le cinéma. » Le jour du vernissage, on croisait donc dans les allées fourmillantes Scarlett Johansson, Brigitte Macron, Caroline Bourgeois, « curatrice » de la Fondation Pinault, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, le Président du Centre Pompidou Laurent Le Bon ou encore le directeur du Museum of Modern Art de New York, Glenn Lowry, et de grands collectionneurs internationaux comme les Américains Donald et Mera Rubell ou le français Bernard Arnault, PDG de LVMH.
Louis Vuitton était d’ailleurs partenaire associé du salon, avec son stand à l’entrée, où étaient exposés des sacs conçus en collaboration avec des artistes comme Yayoi Kusama (en vedette à la Tate Gallery de Londres jusqu’au mois d’août) ou Urs Fisher.
Du côté des stands des galeries, les ventes furent stratosphériques dès le premier jour. Dès 16 heures, David Zwirner (New York, Londres, Paris, Hong Kong) annonçait un chiffre d’affaires de 11 millions de dollars, avec entre autres la vente de Border (1989), tableau de Joan Mitchell, actuellement exposée à la Fondation Vuitton, pour 4,5 millions d’euros. Sur le stand de la Pace gallery (six antennes de New York à Séoul), Je t’aime N°2 (1955) de l’Américain Robert Motherwell, trouvait preneur pour 6,5 millions. Le parisien Kamel Mennour vendait deux petites sculptures en bronze d’Alberto Giacometti, icônes de l’histoire de l’art de 1927 et 1953, respectivement pour 2,7 et 1,5 millions d’euros. Une des œuvres les plus photographiées du salon, Christian Martyr tarcisius- Hadji Malick Gueye (2022) de Kehinde Wiley, peintre afro-américain auteur du portrait officiel de Barack Obama, se vendait 880 000 dollars sur le stand du parisien Daniel Templon. À la galerie viennoise Nächst Saint Stefan-Rosemarie Scwarzwälder, on cédait un Sans titre (2020), grande peinture abstraite de Katharina Grosse, pour 350 000 euros.
Même le jeudi et vendredi, jours réputés tranquilles, on voyait revenir en urgence les galeristes stars sur leurs stands, comme Kamel Mennour ou Lorenzo Fiaschi (Galleria Continua, huit adresses de Rome à Dubaï) venu jeudi en costume de soirée, pour pouvoir enchaîner ventes et fête organisée en marge de la foire. « C’était fou. Je n’avais même plus le temps de répondre au téléphone, j’ai vendu deux fois le stand », se réjouit Loïc Bénétière, de la galerie Ceysson et Bénétière, installée entre autres à Paris, New York et Genève, spécialisée dans le mouvement historique français Support/surfaces, incarné par les peintres Claude Viallat, Louis Cane ou Noël Dolla, dont il a notamment vendu une grande toile des années 1970, Tarlatane, pour 120 000 euros. « Tous les collectionneurs étrangers sont là. Les Américains comme les musées chinois, qu’on attend à Paris depuis des années. Art Basel est une machine de guerre. »
Même son de cloche chez les spécialistes des artistes émergents « Nous avons vendu à 80 % à des collectionneurs étrangers », raconte Marie Madec, directrice de la galerie parisienne Sans Titre, qui a cédé tout son stand consacré à l’artiste suisse d’origine malgache Jessy Razafimandimby, 27 ans à peine, pour des prix allant de 900 euros à 18 000 euros, et a dû trouver d’autres de ses œuvres pour satisfaire la demande. « Je suis très heureuse de l’organisation. La section émergente est placée au coeur du dispositif, en début de foire, passage obligé pour les collectionneurs. C’est une manière exemplaire de nous mettre en avant. »
A Paris, de l’art et du panache
Parmi les Off de la foire, deux installations très ambitieuses mettent en vedettes deux jeunes femmes artistes. Place Vendôme, une œuvre monumentale de l’artiste germano-polonaise Alicja Kwade, Au cours des Mondes, a constitué un immense défi technique pour le commissaire d’exposition et critique d’art Jérôme Sans, co-créateur du Palais de Tokyo, à l’initiative du projet. Escaliers sans fin et sphères énormes de marbre coloré et poli, signatures de l’artiste, font entrer la place dans une autre dimension. Visible jusqu’au 13 novembre l’œuvre, produite par le galeriste parisien Kamel Mennour, est destinée à la vente.
Ce n’était pas le cas de Double Trouble de l’artiste brésilienne Lucia Koch (photographie à la une, ndlr), créée grâce au mécénat de la galerie Nara Roesler et installée, avec le commissaire d’exposition Matthieu Poirier, au cœur de l’extraordinaire architecture de béton d’Auguste Perret au Palais d’Iena, siège du Conseil économique social et environnemental, jusqu’au 28 octobre. Les voiles colorés, mouvants et translucides déployés sur 1200 m2 vont désormais servir de matériaux à des architectes oeuvrant dans des favelas brésiliennes.
Paris superstar
Un sans-faute, donc, qui annonce une émulation encore plus grande dans deux ans, quand Paris + par Art Basel pourra dérouler sa partition sous les verrières 1900 du Grand Palais restauré de frais. Ce succès confirme la montée en puissance de Paris dans la hiérarchie du marché de l’art, et plus spécifiquement de celui de l’art contemporain.
La création de la Bourse de commerce-Pinault collection qui a suivi celle de la Fondation Louis Vuitton, comme l’installation de galeries internationales, par exemple la berlinoise Esther Schipper qui vient d’ouvrir place Vendôme, et bientôt les Brésiliens de Mendes Wood DM qui cherchent une adresse, jouent un rôle. Le tout sur fond de grands musées, palaces de rêve, grands restaurants et monuments historiques, propres à attirer les amateurs internationaux fortunés.
Sans oublier les maisons de luxe. « L’importance de la mode, c’est la grande tendance pour l’art contemporain. », décrypte Anna Frera, directrice de la très pointue galerie High Art (Paris, Arles), qui a fait frétiller Paris + avec les œuvres de Julien Creuzet, trentenaire français déjà exposé à Luma Arles, au Camden Arts Center de Londres et au Palais de Tokyo (entre 15 000 et 45 000 euros). « Toutes les maisons de mode se battent pour être sponsors des foires d’art contemporain, et produisent des œuvres avec les artistes. Et dans le domaine de la mode, Paris n’a pas perdu le pouvoir. Elle demeure la capitale la plus prestigieuse. »
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