The Good Business
Premier opérateur privé français à pénétrer le terrain de jeux ferroviaire international, Midnight Trains ambitionne de révolutionner le train de nuit. Les premiers départs de Paris visent les jeux Olympiques de 2024. Décryptage.
Des rails dessinant un M majuscule… le logo de Midnight Trains est aussi stylé que le projet, que ses fondateurs résument en quelques mots : réinventer le train de nuit. À la tête de la start-up, on trouve Romain Payet et Adrien Aumont, qui avait cocréé en 2009 KissKissBankBank, la plate-forme pionnière du financement participatif.
Une dizaine d’années plus tard, ce défricheur est en passe de ressusciter un business disparu depuis vingt ans pour cause de faible rentabilité. Il est vrai que le timing est propice. Le recours au train, notamment de nuit, peut aider à résoudre l’équation climatique en développant une alternative à la très polluante aviation, pour beaucoup synonyme de flygsam (honte de prendre l’avion, en suédois).
Le changement de mentalité ne se limite pas au voyage de loisirs : « Aujourd’hui, le développement durable est de tous les discours. Et il s’applique désormais autant, et peut-être davantage, au voyage d’affaires. Depuis le début de l’épidémie de Covid, il est devenu clair que nous devons repenser notre manière de voyager pour des raisons professionnelles », prédit Avi Meir, le CEO de TravelPerk, l’un des leaders du voyage d’affaires avec qui Midnight Trains est en partenariat.
Un secteur complexe
La voie est toute tracée depuis 2020 et la fin du monopole de la SNCF. Même alignement des planètes au sein de l’Union européenne, dont les membres se sont engagés à réduire d’au moins 55 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. En décembre 2021, l’acteur historique autrichien ÖBB était le premier à lancer sur les routes nocturnes son Nightjet. Il devrait être talonné d’ici à 2024 par les opérateurs historiques allemand (Deutsche Bahn), suisse (CFF) et français (SNCF). Une demi-douzaine de concurrents privés fourbissent aussi leurs armes, Midnight Trains en tête.
Pour prendre des parts de ce marché en ébullition, Adrien Aumont peaufine son concept. Son idée est de proposer une expérience inédite, aussi disruptive que l’Orient-Express l’avait été en son temps. De créer des hôtels roulants et ultraconnectés offrant une parenthèse conviviale et hédoniste. On y boira un verre au bar avant de dîner au wagon-restaurant de vrais plats concoctés par un chef renommé, puis on se glissera entre les draps de sa cabine privée avec salle de bains.
Wi-fi optimal, playlist et surprises jalonneront le voyage qui se terminera en douceur à Copenhague ou Madrid dès potron-minet : la solution idéale pour un meeting matinal ou un week-end en amoureux.
« Le train de nuit est le nouvel avion » : avec ce credo, Midnight Trains prévoit de concurrencer EasyJet ou Transavia.
Les trains relieront Paris à une dizaine de capitales européennes, sur des trajets de 800 à 1 500 km, avec une fréquence d’un aller-retour par jour, de manière à pouvoir concurrencer l’aérien. Pas de politique tarifaire annoncée pour l’instant, mais le package devrait s’aligner sur celui d’un vol low cost avec nuit d’hôtel et repas au restaurant.
Le business fait le pari de renouer avec la rentabilité en positionnant l’offre sur la qualité du service et l’innovation, autant de facteurs clés pour engranger des taux de remplissage élevés. Pour réussir sa révolution, Adrien Aumont s’est entouré de conseillers et investisseurs de choc, dirigeants éminents issus des secteurs ferroviaire et hôtelier, comme Franck Gervais (Thalys, Accor), Odile Fagot (SNCF, Eurostar), Cyril Aouizerate (Mama Shelter, MOB Hotels) et Thierry Roussel (Direct Energie, 9 Telecom, Club Internet).
Un premier salarié vient de rejoindre l’équipe : Nicolas Bargelès, directeur des opérations ferroviaires et ex-Thello, le train de nuit de Trenitalia, aujourd’hui défunt. Mais le making-of est une histoire longue et délicate. Après avoir validé le marché, il a fallu s’acculturer pour comprendre un secteur complexe et nouveau pour Adrien Aumont. La toute première grande étape a consisté à obtenir des trains, un exercice proche de la chasse au trésor, car ils ne sont pas les seuls à prospecter.
Vient le moment de choisir entre le matériel d’occasion (ensuite rénové) et le neuf.
La seconde solution aurait, a priori, été retenue, même si le sujet reste confidentiel. Pour acquérir ces locomotives et wagons ultracoûteux – le prix d’une rame de train va de 8 à 32 millions d’euros –, le montage financier s’appuie sur un partenariat tripartite : Rolling Stock Leasing Company (Rosco) achète l’actif au constructeur et le loue en leasing à Midnight Trains.
À ces coûts de matériels s’ajoutent ceux de l’infrastructure, qui comprend les rails, les routes empruntées, les arrêts en gare et les péages (30 % des coûts de fonctionnement). « On considère que notre valeur ajoutée est dans le produit et l’expérience à bord du train. Le métier ferroviaire est bien fait depuis très longtemps, on ne va pas le réinventer », souligne Adrien Aumont. Une démarche inverse de celle des opérateurs historiques qui externalisent la vie à bord à une entreprise tiers – avec le résultat mitigé que l’on connaît.
Midnight Trains garde la main sur le service à bord et le look des rames, explique Odile Fagot. « On ne choisit pas l’infrastructure, mais on choisit son matériel – jusqu’à la couleur intérieure et extérieure, avec des produits dûment homologués, bien sûr. » La déco a été confiée à l’agence de design industriel franco-belge Yellow Window, spécialisée dans le transport. Viendront ensuite, courant 2023, les recrutements des équipes à bord et en back office. Une première levée de fonds, en avril 2021, a permis de lancer les opérations – Xavier Niel figure parmi les investisseurs.
Un prochain tour de table est prévu ce printemps. Là encore, aucun chiffre n’est avancé, les fondateurs préférant communiquer en temps voulu sur leurs résultats. Rendez- vous en 2024 pour les premiers départs de Paris, qui devraient prendre la direction de l’Espagne et de l’Italie. On a hâte de voir ça ! www.midnight-trains.com
Le train en chiffres
• 11 000 trains de voyageurs circulent chaque jour en France, pays n°1 pour le transport de passagers.
• 100,2 Mds de voyageurs-kilomètres en 2017 en France, 2e en Europe derrière la Russie.
• 33 000 km de voies ferrées en France.
• 30 % des êtres humains ont peur de l’avion.
• 40 000 € en moyenne pour la location mensuelle d’une locomotive en leasing.
• Entre 8 et 32 M € pour l’achat d’une rame de train. Un TGV Duplex coûte environ 30 M €, contre un peu moins de 20 M € pour un train classique.
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