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Face aux alternatives végétales le cuir a la peau dure - the good life
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Face aux alternatives végétales, le cuir a la peau dure…

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Répondant aux attentes des nouvelles générations qui aspirent à des modes de consommation plus responsables, les alternatives au cuir se multiplient et se sophistiquent. Elles restent toutefois encore marginales et ne mettent pas en péril l’industrie animale de la maroquinerie, qui se reconvertit à son tour.

Pour les maroquiniers, c’est un blasphème. Le cuir végétal n’existe pas, pas plus que sa version végane. Cette matière ne peut être qu’animale. Son appellation est contrôlée, protégée par un décret de 2010. « Quand on évoque les fibres issues de l’ananas, du raisin ou du cactus, on doit parler d’alternatives au cuir, de faux cuir, voire de similicuir », commente Carine Montarras, chef de produit cuir Première Vision.

Cette sémantique est attrayante, car elle correspond à une aspiration des nouvelles générations en quête d’une planète plus propre. L’association PETA a été la première à pointer du doigt l’utilisation du cuir. « Le cuir est le dérivé le plus rentable de l’industrie de la viande. Acheter du cuir contribue directement à l’élevage intensif et à toute la cruauté que cela génère », dénonce son antenne française. Selon l’Ademe, l’empreinte carbone d’une paire de chaussures en cuir est estimée à au moins 15 kg de CO2. D’où l’idée de lui substituer d’autres matières…

Le sac BabyAbag d’Amélie Pichard est fabriqué dans une feuille beLeaf.
Le sac BabyAbag d’Amélie Pichard est fabriqué dans une feuille beLeaf. DR

Végétarienne, militante de la cause animale depuis toujours, Stella McCartney a été la première à supprimer la fourrure de ses collections et à chercher des alternatives au cuir pour ses accessoires. Dès 2010, elle a innové avec son sac en éco-Nylon Falabella, qui est devenu l’un de ses it-bags. Depuis, ce matériau de fils recyclés dit Alter Nappa est utilisé dans la fabrication de ses sneakers. Désormais conseillère personnelle de Bernard Arnault pour le développement durable, la styliste sait que le chantier est colossal et reconnaît que « remplacer le cuir est un challenge compliqué. Il est très difficile de créer des accessoires haut de gamme qui aient les qualités du cuir et qui répondent à nos critères de durabilité, car nous ne voulons pas avoir recours au PVC ».

Le tannage végétal, c’est quoi ?

Le tannage, c’est l’opération qui permet de transformer une peau en cuir. Elle a longtemps été faite au chrome, aussi néfaste pour la nature que pour les hommes. Au Bangladesh, l’espérance de vie des tanneurs ne dépasse pas 50 ans. En Europe, les normes strictes sont encadrées par le règlement REACH. D’où, notamment en France, le développement du tannage végétal à base de poudres de mimosa, acacia et châtaignier, ceux que la marque Bleu de Chauffe, symbole de la probité écologique, utilise pour ses cabas et ses chaussures. Tout comme J.M. Weston, qui possède sa propre tannerie.

Les matières alternatives au cuir

Le plastique est le talon d’Achille de la reconversion maroquinière. « Il existe une grande diversité de matières alternatives, mais, à ce jour, très peu d’entre elles arrivent à se passer de la pétrochimie, explique Carine Montarras. Elles ont une empreinte écologique inférieure à celle du Skaï, mais celle-ci n’est pas encore neutre. »

Quelques exemples : le Frumat est une matière composée de 50 % de résidus de pommes et de 50 % de polyuréthane sur un textile en coton et polyester. La toile enduite de la marque italienne Vegea utilise 50 % de raisin et 50 % de polyuréthane. Cela étant, la dernière version de Piñatex, structure non tissée enduite de fibres d’ananas agglomérées, ne contient plus que 5 % de matières synthétiques non biosourcées.

3 questions à Sébastien Kopp

Cofondateur de Veja.

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Veja a été précurseur, quelle est la genèse de la marque ? La basket est un produit symbolique de notre génération qui est celle des start-up et du virtuel. À l’heure de la prise de conscience écologique, cela nous a interpellés. Nous avons voulu créer une marque qui n’a pas les travers du marché et, pour cela, nous avons remonté la chaîne de production jusque dans les champs de coton bio. Nous avons rencontré au Brésil des coopératives et des producteurs qui n’avaient rien vendu depuis trois ans et avons choisi de collaborer avec eux sur des bases de commerce équitable.

Vous travaillez le coton bio, le caoutchouc et… le cuir, pourquoi ? Là-dessus, tout le monde a tort et tout le monde a raison. Il n’existe pas de matière idéale. Les cuirs dits végans sont mauvais pour l’environnement à cause de l’emploi de produits issus de la pétrochimie. L’important, c’est la traçabilité. Nos cuirs sont certifiés par le Leather Working Group et répondent aux normes REACH depuis les abattoirs jusqu’aux magasins.

À quels enjeux êtes‑vous confrontés ? La maîtrise et la diminution de nos émissions de carbone. Nous les publions en faisant en sorte qu’elles soient accessibles à tous. Utiliser moins d’eau et d’énergie, c’est aussi développer des alternatives encore plus écologiques comme les fibres respectueuses telles que le B-mesh, un tissu en polyester recyclé, ou l’Hexamesh, qui est une maille 30 % bouteilles plastiques recyclées et 70 % coton biologique.

Un autre problème donne des migraines aux activistes du nouveau monde. Pour avoir des qualités de souplesse, de toucher et de solidité du cuir, ces matériaux doivent être traités avec des solvants, des plastifiants et autres substances chimiques aussi toxiques que ceux utilisés pour le tannage au Maroc ou au Bangladesh. Pour le moment, le pouvoir d’influence de ces matières est bien plus médiatique que réellement industriel.

Sac à dos Bleu de Chauffe en cuir végétal.
Sac à dos Bleu de Chauffe en cuir végétal. DR

Les biotechnologies

À l’échelle mondiale, ces similis ne représentent que 1 % des produits finis. Les biotechnologies pourraient être des solutions créatives et responsables à cette pollution indirecte et subie. Elles sont le champ d’expérimentation le plus glamour aussi, grâce à des start-up qui travaillent avec les designers et les artistes de la mode.

Si Hermès a signé un contrat exclusif avec MycoWorks, c’est avec Bolt Threads que collaborent Stella McCartney, Adidas, Lululemon et le groupe Kering, pour le Mylo. Il s’agit d’un biomatériau issu de racines de champignons. Sa texture est similaire à celle du cuir et est reproductible. Pour l’exposition Fashioned from Nature, au Victoria and Albert Museum en 2018- 2019, Stella McCartney avait présenté un sac prototype dans cette matière. Au défilé du printemps 2021, on découvrait un bustier-pantalon copie conforme d’une tenue en agneau, mais en Mylo. Ses « vraies » commercialisations sont prévues pour cette année.

Hermès voit vert

Après le crocodile, les champignons. Ça a fait du bruit, et quel bruit ! Pouvait-on imaginer que la maison emblématique du savoir-faire peaussier, dont les artisans sont des artistes de la matière et les sacs, les plus durables qui soient, entame un coming-out générationnel ? C’est pourtant chose faite. Hermès a sorti cet hiver son premier sac Victoria, dans une matière végétale innovante, le Sylvania Fine Mycelium. Issu de trois ans de travail entre les ateliers de la griffe de luxe et les équipes de la start-up californienne MycoWorks, ce matériau utilise la capacité des champignons à se lier entre eux sur une base de déchets de maïs et de chanvre, et à construire une structure durable, qu’ils ont brevetée. Le Sylvania peut être travaillé en différentes matières, textures et couleurs. Dans son modèle Victoria cousu main, il est associé à une doublure en toile H Plume et à des anses en veau Evercalf.

Outre les mycéliums, la sylviculture intéresse aussi les grands groupes textiles. Cela fait deux ans que, dans le plus grand secret, Gucci développe sa propre matière durable, Demetra, du nom de la déesse grecque de l’agriculture et des moissons. 77 % de ses composants proviennent de forêts gérées durablement. Elle ne pose pas de problèmes de production à grande échelle. Les rebus de sa fabrication seront recyclés et utilisés par la maison.

Sneakers Fenics en cuir de pomme.
Sneakers Fenics en cuir de pomme. DR

Demetra reprend les procédés de tannage du cuir et offrirait une souplesse et une résistance équivalentes. Sa technologie sera mise à la disposition de l’industrie de la mode par le groupe Kering, mais Demetra n’est pas voué à remplacer le cuir. Il s’agit d’une offre parallèle de maroquinerie.

Les griffes en conversion

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• Nike sort la ligne Pineapple, soit 7 modèles iconiques, dont la Air Max 9, la Air Force One et la Free Run Trail Premium. Tous sont élaborés dans la dernière génération de Piñatex, une alternative végétale au cuir, faite à partir de fibres cellulaires extraites de feuilles d’ananas.
Fenics, nouveau label français de sneakers vintage, fabrique en Espagne et produit en précommande ses collections en fibres de pomme, coton bio et polyuréthane recyclé.
Amélie Pichard découpe son Baby Abag dans une feuille de beLeaf (Alocasia macrorrhiza) vernie telle quelle, et contrecollée sur un tissu mélangé de lin et polyester pour une plus grande résistance.
Repetto habille sa ballerine Lili d’une semelle en caoutchouc et remplace son cuir par du Piñatex, qui est monté retourné, selon le savoir-faire de la maison.
Rihanna a lancé, en 2021, Fenty, une collection capsule synthétique (50% polyuréthane et 50% polyester) récompensée du prix de la compassion dans la mode par l’association PETA.
Louis Vuitton présente Pillow, des sacs molletonnés façon oreillers, en éco-Nylon, un matériau 100 % recyclé et recyclable. Pour éviter le gaspillage, tous les éléments ont été conçus dès le patronage, et l’écusson en cuir noir est issu des stocks existants.
Karl Lagerfeld s’est associé à la mannequin activiste Amber Valletta et la société mexicaine Desserto pour développer des composants en fibres de cactus pour le sac K/Kushion.
Adidas emboîte le pas à Stella McCartney avec une paire de Stan Smith en Mylo. Une étape de plus franchie par la marque qui ambitionne d’arriver à mettre fin à ses déchets plastiques.
Gucci met en vente sa première création en matière durable et éthique, des baskets montantes, pop et flashy. Le Demetra entre à plus de 70 % dans la composition de ce modèle « animal free ».

D’autant que, de son côté, le cuir a entamé sa conversion écologique. « On le connaît mal, on ne sait pas assez qu’en France il est issu du circuit agricole local, qu’il s’inscrit dans une logique de circularité, de recyclage. Son industrie est à haute valeur ajoutée, ancrée dans les territoires avec des savoir- faire, des métiers d’art à préserver, poursuit Carine Montarras. Opposer les uns aux autres est un discours dépassé à l’heure de la relocalisation. » Acté. Pour la France au moins…

L’industrie du cuir en chiffres

• 460 Mds $ dans le monde.
• 6 000 tanneries, dont 1 000 en Europe (50 en France).
• 25 Mds € : CA français du cuir, soit 12 800 entreprises et 132 600 emplois.
• 170 000 t de déchets animaux recyclés chaque année par la filière française.


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