Vins et spiritueux
En quelques années à peine, le prosecco, ce vin effervescent venu d’Italie, s’est imposé comme un incontournable de l’apéritif en France. Il faut dire qu’il ne manque pas d’atouts pour séduire les consommateurs.
Se rendre sur l’île de la Giudecca, à Venise, quand le soleil se couche est l’assurance de vivre un moment particulier. On peut contempler la place Saint- Marc, au loin, qui se vide peu à peu de ses hordes de touristes. Les vaporetti circulent avec une langueur toute personnelle. Les passagers s’apprêtent à chaque station à poser un pied assuré sur le quai qui oscille sous les vagues. Ce spectacle de la vie quotidienne des Vénitiens ne serait pas complet sans un verre de spritz posé sur la table de l’un des nombreux cafés bordant la lagune. Ce cocktail à la couleur orangée composé d’Aperol (ou de Campari, ou de Select), de prosecco et d’eau pétillante est une tradition ici.
Mais aujourd’hui, cette coutume s’est largement exportée à travers le monde, et notamment en France. Il est impossible de passer devant une terrasse de café ou de restaurant sans l’apercevoir sur une table. Il est devenu un incontournable et s’inscrit comme un symbole de convivialité. Cette réussite explique en partie le succès grandissant du prosecco en France, comme le détaille Emmanuelle Bossard, la directrice marketing vins France du groupe italien Campari : « Il est évident que le prosecco a été boosté par le succès incroyable de l’Aperol spritz. Nous en sommes conscients. Nous ne pouvions prévoir un tel engouement il y a seulement une dizaine d’années. En 2014, il s’écoulait en grande distribution 300 000 bouteilles de prosecco. En 2021, c’est environ 14 millions. »
Et ce vin effervescent italien n’a pas fini sa croissance. Selon ISWR, un institut anglais spécialisé dans l’analyse des tendances du monde de la boisson, sa progression devrait s’établir à 7,8 % entre 2020 et 2025. Il a donc encore un vrai potentiel de développement.
Mieux comprendre cette tendance avec Eataly
• Eataly, à Paris, est le plus grand magasin spécialisé dans les produits italiens. La cave propose plus de 1 400 références de vins italiens.
• Le prosecco représente 14 % du CA de la catégorie vins, alors qu’il n’y a que 36 références en magasin.
• En 2019, le prosecco représentait 67 % des ventes d’effervescents. En 2021, cette part est passée à 73,4 % (sachant que 2020 et 2021 ont été affectés par la pandémie).
• Le CA HT net du prosecco sur des mois comparables hors Covid (3 mois, de juillet à septembre) a augmenté de 18 % entre 2019 et 2021. En volume, cette croissance est de 17,6 % (+ 385 bouteilles).
• La meilleure période reste Noël (décembre 2020), avec 2 200 bouteilles vendues (le double par rapport aux autres mois). Soit 54 % de plus comparé à décembre 2019.
• Le Ronco Belvedere, le prosecco le moins cher, reste le plus vendu. Il est dans le top 5 des ventes chez Eataly.
Le prosecco, un séducteur italien
Le spritz a ainsi permis de découvrir un autre pétillant que le champagne. « Ce cocktail a ouvert la voie. Les consommateurs, âgés en moyenne de 25 à 45 ans, se sont mis ensuite à consommer le prosecco tout seul, à la maison, explique Emmanuelle Bossard. Nous l’avons constaté avec notre marque de prosecco leader sur le marché français, Riccadonna. Nous en écoulons 3,1 millions de litres par an. » Avec ses bulles relativement fines, ses arômes floraux et fruités, cet effervescent a plein d’atouts à faire valoir. Il a tout du séducteur italien.
Il est d’un accès plus facile en bouche, avec un dosage légèrement sucré – entre 13 et 15 g par litre, alors que les champagnes, par exemple, tournent autour de 6 g/l. Il se veut charmeur et joue son rôle en toute décontraction, bien encouragé par une culture italienne qui se développe chaque jour davantage à travers de nombreux restaurants.
« C’est un vin croquant comme un fruit. Il peut se consommer en toute décontraction à tout moment de la journée. Il n’est pas statutaire comme peut l’être le champagne », confirme Luca Labarbuta, le responsable de la cave à vins 100 % italiens d’Eataly, à Paris. Cette effervescence douce et appétente est obtenue grâce à la méthode Charmat, du nom de son inventeur français, Jean-Eugène Charmat, de l’université de Montpellier. En 1907, il utilise les mêmes principes que la méthode traditionnelle champenoise, mais la prise de mousse se réalise non pas en bouteille, mais dans de grandes cuves en Inox. C’est une invention révolutionnaire.
« Cette manière de travailler nous permet d’extraire plus de fruité de nos vins. Elle est également la plus adaptée à notre cépage, le gléra », affirme Elvira Bortolomiol, l’actuelle présidente de l’aire d’appellation DOCG (l’équivalent de nos AOP) de Conegliano Valdobbiadene. La France découvre ainsi chaque jour que ce vin possède des qualités organoleptiques différentes en fonction de son lieu de production en Italie. « Le Frioul et la Vénétie sont les deux grandes régions productrices de prosecco, avec environ 500 millions de bouteilles produites. Conegliano Valdobbiadene, le cœur même du prosecco, n’en produit que 90 millions, et Asolo, seulement 18 millions », détaille Elvira Bortolomiol.
C’est d’ailleurs dans cette belle région de Conegliano, sur les coteaux abrupts, que naissent les proseccos les plus chers et les plus qualitatifs. Certaines bouteilles peuvent dépasser les 30 euros contre 3,50 euros pour un prosecco basique.
Les 3 appellations du Prosecco
Il existe 3 dénominations DOC (ou DOCG, denominazione di origine controllata e garantita, l’équivalent de nos AOP) correspondant à des zones très différentes en termes de taille et de topographie : à la base, il y a le Prosecco DOC, produit dans une zone très vaste, qui comprend 9 provinces des régions de Vénétie et de Frioul‑Vénétie Julienne.
Les 2 autres dénominations sont plus limitées géographiquement, dans la région de Trévise : l’Asolo Prosecco Superiore DOCG et le Conegliano Valdobbiadene, considéré comme le nec plus ultra pour élaborer des grands effervescents.
En quête de valorisation
Ce vin effervescent, le plus produit au monde, entre aujourd’hui dans une nouvelle phase. Il tente d’asseoir sa notoriété naissante auprès des consommateurs français en devenant un vin à la qualité reconnue. La surface des vignobles n’étant pas extensible, le prosecco recherche une meilleure valorisation de ses flacons et cela passe par une consommation en dehors du domicile, comme l’indique Emmanuelle Bossard : « La consommation en bouteille du prosecco s’effectue encore principalement à la maison. La prochaine étape est donc d’être présent à la coupe dans les restaurants, à côté des bulles champenoises. »
Le pari est osé, mais l’ambition est bien là. À Conegliano, les viticulteurs travaillent dans ce sens et évoquent même la notion de cru, comme dans les vignobles les plus réputés. Ils mettent en avant une agriculture respectueuse de l’environnement et un paysage unique. « Il s’agit d’un territoire qui a non seulement été reconnu comme un site du patrimoine mondial de l’Unesco en raison de son interaction entre l’homme et la nature, mais qui est également la plus grande zone cultivée sans glyphosate en Europe. La qualité des produits et la protection du territoire sont des éléments pour lesquels nous sommes reconnus par un nombre croissant de consommateurs », affirme Innocente Nardi, ancien président de Conegliano Valdobbiadene.
Le prosecco souhaite séduire encore davantage les Français en jouant la carte de la qualité, de la décontraction et de la joie de vivre. Il est en passe de réussir !
5 Proseccos à tester
• Prosecco Bianca Vigna Conegliano Valdobbiadene Bio, 12,80 €.
• Prosecco Serafini e Vidotto Asolo, 13,90 €.
• Sorelle Bronca – Prosecco DOCG Valdobbiadene, 19 €.
• Bisol Prosecco Valdobbiadene superiore Cartizze, 26,80 €.
• Villa Sandi Cartizze, 37,90 €.
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