The Good Business
Figure de l’activisme culinaire libanais, Kamal Mouzawak s’attelle à préserver les traditions gastronomiques et rurales du Liban depuis plus de quinze ans.
Déjà à la tête du marché de producteurs Souk el Tayeb et des tables d’hôtes Tawlet au Liban, Kamal Mouzawak vient d’inaugurer Tawlet Paris, un restaurant multifacette.
9 questions à Kamal Mouzawak
Quelle est la genèse du Souk el Tayeb, votre première adresse au Liban ? Après avoir étudié le graphisme, puis la macrobiotique, j’ai beaucoup collaboré avec l’association Slow Food. En 2004, j’ai rencontré les organisatrices d’un festival de jardinage qui m’ont demandé de m’occuper de la partie restauration, et j’ai fait appel à des producteurs du coin. Ça a été un succès, alors on a fondé le souk à Beyrouth, dont le nom signifie « le marché du bon ».
Quelle est la philosophie de ce lieu ? L’idée était de soutenir les producteurs, leur donner de la reconnaissance, car, dans toutes les langues, le terme « paysans » peut être péjoratif, alors qu’ils contribuent à notre survie. On voulait aussi mettre les producteurs en contact direct avec les consommateurs.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre slogan « Make food, not war » ? À la fin de la guerre [en 1990, NDLR], le pays était compartimenté. Je travaillais dans un centre culturel à côté de Jounieh qui organisait des activités où se mêlaient des gens qui étaient auparavant ennemis. Ça a été un grand enseignement. La nourriture est l’expression la plus sincère des traditions : quand je partage un taboulé avec quelqu’un, il va comprendre ma culture. Avoir un lieu où échanger avec l’autre permet de construire ensemble un être humain meilleur.
Comment votre projet a-t-il évolué ? On s’est mis à organiser des festivals régionaux proposant des déjeuners traditionnels préparés par des cuisinières. Ils ont tellement plu qu’on a voulu faire venir ces femmes à Beyrouth et ouvrir une adresse permanente. C’est ainsi que Tawlet – qui signifie « table » – est né, en 2009.
En quoi cette table d’hôtes était-elle novatrice ? Au Liban, les restaurants servent habituellement des mezze et, à moins d’être invité chez quelqu’un, on ne peut jamais goûter la cuisine ménagère qui varie selon les saisons et les produits locaux. Chez Tawlet, au contraire, les cuisinières préparent des plats typiques de leur région en une quinzaine de spécialités, comme si elles étaient chez elles.
Comment cette adresse a-t-elle été accueillie ? Très vite, les gens nous ont dit : « Je suis du Sud, je veux un Tawlet du Sud », alors on a créé des tables régionales, puis on a eu l’idée d’ouvrir des beit en 2015. Ce sont des maisons traditionnelles, décorées avec de l’artisanat local, où les invités peuvent goûter à la gastronomie régionale.
De la plaine de la Bekaa aux régions montagneuses de Baalbek, qu’est-ce qui caractérise ces cuisines variées ? Les climats – et donc les produits – varient beaucoup, et un même plat se conjugue différemment. Le kebbeh, par exemple, est préparé, dans le Nord, avec uniquement du poivre blanc et du sel, tandis que, dans le Sud, les cuisinières font une cueillette dans leur jardin pour le garnir d’herbes qu’elles pilent avec le boulgour, le rendant vert phosphorescent. Chacune de ces adaptations raconte à la perfection sa région, sa terre, son histoire…
Quelles influences les différentes catastrophes ont-elles eues sur vos projets au Liban ? L’explosion du port de Beyrouth a détruit le souk et Tawlet. On s’est remis sur pied en installant les deux adresses et nos bureaux dans une très belle halle le mois suivant. En cette période d’urgence, on s’est également mis à préparer chaque jour des repas pour les plus nécessiteux. Et on a eu l’idée d’exporter Tawlet.
Vous venez d’ouvrir Tawlet Paris. D’autres adresses verront- elles bientôt le jour ? J’ai un pied à Paris depuis longtemps et cette adresse est un premier pas. C’est un projet modèle dans lequel je mets beaucoup de cœur et qui donnera peut-être lieu à de nouvelles adresses ici, en France, ou à l’étranger…
Tawlet Paris
À la fois restaurant avec terrasse, traiteur et épicerie, cette nouvelle adresse célèbre la pluralité de la gastronomie libanaise tout en mettant en avant certains produits d’Ile‑de‑France. Du lundi au vendredi, les cuisinières d’origine libanaise proposent des spécialités régionales tandis que, le week-end, on vient goûter des plats traditionnels du dimanche. Une fois par mois, des chefs, venus du Liban et d’ailleurs, se succèdent en résidence. 2, rue de la Fontaine‑au‑Roi, Paris 11e. tawletparis.com
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