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Maire de Madrid depuis 2019, José-Luis Martínez-Almeida est une figure du Parti populaire qu’on disait effacée. Et pourtant, dans la tourmente de la pandémie, cet avocat d’État de 46 ans s’est révélé, bâtissant l’image d’un homme politique rassembleur et modéré. Pour cet entretien exclusif de The Good Life, l’édile madrilène nous a confié ses plans pour faire revenir le tourisme d’affaires et les investissements, repenser la mobilité et miser sur l’innovation technologique, à l’heure où les défis globaux se multiplient.
L’histoire avait commencé avec une certaine odeur de soufre. En juin 2019, José-Luis Martínez-Almeida, arrivé en seconde position, était investi à la tête de l’Ayuntamiento de Madrid grâce au soutien des conseillers de Vox, un parti d’extrême droite. Cette alliance, forcément, lui avait valu quelques noms d’oiseaux. Dans la foulée, l’édile suspendait les mesures mises en place par sa prédécesseure pour limiter le trafic automobile dans le centre de Madrid. Dans une ville où la qualité de l’air est un problème majeur, la symbolique (pas très écolo) faisait grincer bien des dents.
Bref, José-Luis Martínez-Almeida semblait empêtré dans les affres de la politique contemporaine, et son aura ne brillait pas spécialement. Mais c’était sans compter sur l’événement le moins envisageable qui soit : une pandémie mondiale. Là où beaucoup tergiversaient, dépassés par l’événement, cet orateur brillant, diplômé des plus grandes institutions espagnoles, se révélait. Il a immédiatement fédéré tous les groupes politiques municipaux autour de lui pour agir, en se posant en personnage rassembleur, très empathique avec ses administrés, cherchant un difficile équilibre entre le social et l’économique.
Très apprécié depuis, José-Luis Martínez-Almeida surfe sur cette tendance. Parfois blagueur, un peu mondain, il est devenu un politicien star en Espagne, et a été nommé porte-parole du Parti populaire. C’est donc en homme fort, qui tente de remettre Madrid sur les rails de la croissance économique, qu’il nous a ouvert les portes du somptueux Ayuntamiento, surplombant l’emblématique place de Cybèle (plaza de Cibeles) avec sa fontaine représentant la déesse éponyme. Un entretien sérieux, sous le signe des grandes questions qui secouent les principales métropoles européennes, mais dans une ambiance malgré tout détendue.
The Good Life : Madrid a été l’épicentre de la pandémie en Espagne, avec plus de 10 000 morts. Avec les confinements, un drame économique et social s’est ajouté au drame sanitaire. Comment éviter une crise pire que celle de 2008 ?
José-Luis Martínez-Almeida : Malheureusement, Madrid est la ville qui a le plus souffert en Espagne. Nous avons mis en place une politique qui cherchait un équilibre entre lutte contre la pandémie et maintien de l’activité économique. Madrid a été pratiquement la seule grande capitale européenne à conserver une activité ouverte, comme, par exemple, dans le domaine culturel. Le Teatro Real a été le premier d’Europe à rouvrir ses portes. Les théâtres, cinémas et salles de concerts sont restés ouverts. Les restaurants et les hôtels, également.
La crise de 2008 s’est traduite par une perte d’environ 5 % de notre PIB entre 2008 et 2013. Or, rien qu’en 2020, nous avons perdu de 10 à 12 % de PIB, soit trois fois plus. Les prévisions indiquent que nous allons récupérer 6 %, soit seulement la moitié. Notre recette pour récupérer l’autre moitié, au sein de la communauté de Madrid, consiste à nous appuyer sur la société. Nous considérons qu’elle doit être le moteur du développement économique, social, culturel et institutionnel. Notre rôle à nous est de générer de la confiance et de mettre à sa disposition les instruments pour qu’elle puisse le faire.
Cela passe, premièrement, par la mise en place d’un cadre juridique qui facilite la vie de tous ceux qui veulent venir et investir dans la ville de Madrid. Deuxièmement, il faut continuer avec une politique fiscale faible, en maintenant des impôts bas dans la ville et la région. Troisièmement, il faut générer des investissements publics. Rien qu’en 2020, c’est-à-dire au pire de la pandémie, nous avons généré, au sein de la mairie, plus de 500 millions d’euros d’investissements en travaux, infrastructures, services dont nous avions besoin dans la ville. Et enfin, quatrièmement, il est fondamental de se mettre au service de tous ceux qui ont subi les conséquences économiques de la crise sanitaire. Dans une ville qui compte 3 300 000 habitants, c’est un défi important.
« Nous restons la capitale administrative et institutionnelle, mais nous sommes devenus aussi le centre économique, social et culturel de l’Espagne. »
The Good Life : En tant que chef de file d’une équipe, comment fait-on face, humainement et professionnellement, à un événement aussi imprévisible qu’une pandémie ?
José-Luis Martínez-Almeida : En assumant, en premier lieu, que vous n’êtes pas préparé. C’est un message que nous avons transmis aux citoyens. Nous n’étions pas préparés à faire face à une pandémie qui n’a aucun équivalent dans l’histoire récente. Nous étions une jeune équipe municipale, en place depuis seulement six mois. Il a fallu avoir l’humilité de reconnaître qu’on devait s’appuyer aussi sur l’opposition politique au conseil municipal et sur l’ensemble des citoyens pour pouvoir avancer dans cette situation. Ensuite, en jouant la carte du leadership de proximité. Nous étions conscients que les citoyens faisaient instinctivement plus confiance aux municipalités qu’aux régions ou au gouvernement national, car la ville est l’autorité la plus proche. Enfin, il y a eu la transparence. Nous avons toujours dit aux Madrilènes ce qui se passait, et ce que nous pensions qu’il allait se passer, aussi difficile et dramatique cela soit-il. Ce leadership de proximité, qui s’appuyait sur cet effort collectif et sur la responsabilité de chacun, de l’opposition jusqu’aux citoyens, a été le moyen d’avancer dans cette situation.
The Good Life : Comme dans toutes les capitales européennes, la pandémie a durement touché le tourisme. Quel bilan faites-vous de la reprise à Madrid cet été ?
José-Luis Martínez-Almeida : Juste avant la pandémie, nous vivions le meilleur moment de l’histoire du tourisme à Madrid : nous avions dépassé les 10 millions de visiteurs pour la première fois. Nous avions aussi la dépense per capita la plus élevée d’Espagne, avec environ 270 euros. L’optimisme était de mise. Avec la survenue du Covid, nous avons subi un arrêt quasi total de l’activité touristique. Mais les chiffres au sortir de l’été sont meilleurs que prévu. Les taux d’occupation des hôtels sont bons. Et pendant la pandémie, un phénomène curieux mais très appréciable a eu lieu : l’émergence d’hôtels 5 étoiles de grand luxe.
Madrid, par exemple, n’avait pas de Four Seasons. C’est désormais le cas. Le Ritz, géré par la chaîne Mandarin, a aussi ouvert ses portes récemment. L’hôtel Villa Magna a, quant à lui, entamé des travaux de rénovation d’un montant de 50 millions d’euros. Et un hôtel W – marque d’établissements 5 étoiles grand luxe propriété du groupe Marriott – va bientôt ouvrir. Il y a donc eu un saut qualitatif très important. Par ailleurs, pendant la crise sanitaire, alors que Paris, Londres, Rome ou Berlin avaient des restrictions sévères, Madrid est restée plus ouverte. Cela a généré un écho international sur lequel nous devons surfer. Enfin, il y a environ un mois, l’ensemble de l’axe Prado-Retiro a été déclaré patrimoine mondial de l’Unesco. C’est une première pour Madrid, et cela nous fait entrer dans une liste très sélective de lieux. Tous ces éléments nous permettent donc d’envisager l’avenir avec optimisme.
Retrouvez la suite de l’interview de José-Luis Martínez-Almeida, dans le N°50 de The Good Life, disponible ici.
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