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Créé au sein de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers en 1963, le département mode est aujourd’hui l’un des plus réputés dans le monde. Sa formation, exigeante et intense, a produit parmi les plus grands stylistes contemporains, dont le groupe des Six d’Anvers, Martin Margiela ou encore Haider Ackermann.
Situé au 28 de la Nationalestraat, dans le centre-ville d’Anvers, le bâtiment du Mode Natie (la nation de la mode) est en train de faire peau neuve pour contenter ses trois occupants. Depuis 2002, l’édifice abrite le département mode de l’Académie royale des beaux-arts, le musée de la Mode (MoMu) et l’Institut de la mode des Flandres. Une association qui symbolise la fulgurante percée de la ville dans l’univers international de la mode et la consécration de ce secteur faisant désormais partie de l’identité de la cité. Si, de l’extérieur, la façade datant du xixe siècle se fond avec le reste de l’architecture du quartier, le contraste est sans doute plus saisissant avec son intérieur sobre et élégant tout en bois.
Lancés par le MoMu au printemps 2018, les chantiers de rénovation et d’extension arrivent à leur fin et le musée s’apprête à rouvrir ses portes en grande pompe début septembre avec, notamment, l’exposition E/MOTION. Fashion in Transition, prévue jusqu’aux premiers jours de janvier. « Les financements et le management des trois entités sont différents, mais le fait de partager le même bâtiment offre des possibilités de rencontres et d’interactions avec les étudiants, explique Kaat Debo, directrice du MoMu. De manière symbolique, il est également particulièrement intéressant d’avoir les plus jeunes générations dont les travaux finiront peut-être un jour par être étudiés ou exposés au musée. Vous avez là les deux bouts du spectre de la mode. Bien sûr, nous analysons et mettons en perspective le passé et l’histoire, mais il est essentiel de garder un œil sur le présent et la proximité avec les nouvelles générations de stylistes qui nourrissent aussi notre travail. »
Un vivier de talents
Ce jour-là, les salles de classe du dernier étage ont été désertées, voire dépouillées de leur matériel, et les étudiants se sont volatilisés depuis longtemps. Comme partout, le contexte de la crise sanitaire a conduit l’établissement à s’adapter en privilégiant les cours en ligne. Les élèves, eux, se sont improvisé des ateliers de couture là où ils pouvaient. Il faut se rendre un peu plus loin, dans une rue commerçante aux enseignes internationales, pour les débusquer.
Ils sont vingt, s’apprêtent à obtenir leur diplôme et présentent leur ultime collection auprès d’un jury. Pour l’occasion, ils ont pu investir un bâtiment de deux étages qui abritait jusque tout récemment l’enseigne espagnole de fast fashion Zara. « Je suis très heureux qu’un nouveau groupe de jeunes stylistes puissent présenter leur travail in situ avant de se lancer dans le monde professionnel, confie Walter Van Beirendonck, directeur du département mode de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers. Leurs collections reflètent des personnalités très différentes, comme en témoignent leurs installations, mais ils ont tous en commun des identités très fortes et des histoires passionnantes à raconter. »
Plus qu’une présentation de collections classiques composées de dix silhouettes, les installations de chaque étudiant sont de véritables mises en scène qui permettent de s’immerger dans des univers marqués, uniques et extrêmement denses. L’exploration des hallucinations sensorielles et des excès donne lieu à des explosions de couleurs et de matières. Des interrogations sur la responsabilité filiale et la complexité des relations entre parents et enfants se traduisent par un vestiaire qui décline le concept de déconstruction. Des réflexions sur des costumes historiques datant du XVIe siècle conduisent à d’hypnotiques silhouettes, à la fois référencées et résolument modernes.
« Notre philosophie d’enseignement est de réussir à faire atteindre à nos étudiants un niveau de liberté totale concernant leur créativité, explique Walter Van Beirendonck. Pour cela, nous travaillons de manière individuelle avec chaque étudiant durant toute sa scolarité. Il s’agit d’une formation sur mesure, intense et exigeante, afin que se dégagent des identités fortes et uniques. » C’est sans doute en cela que réside la spécificité du cursus proposé par le département depuis son ouverture, en 1963, au sein de l’Académie.
Anvers: ville de mode
Quant à l’émergence et la reconnaissance internationale des « Six d’Anvers », un groupe de jeunes stylistes belges aujourd’hui mondialement connus, elles contribuent à sa réputation. En 1985, sous la conduite de Linda Loppa, le département s’étoffe. L’accent est maintenu sur le développement d’une expression individuelle, qui s’enrichit d’une orientation internationale et d’une réflexion poussée sur le concept de la créativité.
Les Six d'Anvers
Lors du British Design Show de 1988, un groupe de six jeunes anonymes fait sensation à Londres avec la présentation de leurs collections respectives. Ils ont en commun de sortir de la même promotion de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, de partager une vision de la mode cérébrale et conceptuelle, pointue et audacieuse, et d’avoir une identité bien assumée. Leurs styles, fort différents et propres à chacun, rompent complètement avec les tendances de l’époque.
Le groupe est alors constitué d’Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Walter Van Beirendonck, Dirk Van Saene, Dirk Bikkembergs et Marina Yee. La presse anglaise, avec son sens de la formule, ne tarde pas à les surnommer « Antwerp Six ». La mode belge est alors estampillée « avant‑gardiste » et fait une apparition tonitruante sur la scène internationale de la mode.
Rapidement, les stylistes gagnent en notoriété, rencontrent le succès et évoluent chacun de leur côté avec leurs marques homonymes. La brèche est ainsi ouverte, et la mode belge, propulsée sous le feu des projecteurs internationaux, ne tarde pas à s’enrichir d’ambassadeurs talentueux et de génie au fil des générations, dont Martin Margiela, contemporain des Six d’Anvers, mais aussi Raf Simons, Kris Van Assche, Demna Gvasalia ou encore Haider Ackermann.
Actuellement, la formation propose un cursus de quatre années, composé de trois années de bachelor et d’une de master. Au total, le département compte près de 150 étudiants, dont plus d’une trentaine sont de nationalités différentes, pour plusieurs centaines de candidatures présentées chaque année. « La pandémie a donné une grande visibilité aux défis sous-jacents de l’industrie de la mode, analyse Kaat Debo. Les jeunes générations en ont connaissance, et elles doivent repenser le concept de créativité en adoptant un nouvel état d’esprit et en changeant de paradigme. La Belgique est aujourd’hui réputée pour ses créateurs indépendants, la culture est différente de celle qui domine en France, notamment avec ses grands groupes de luxe. Il ne faut pas oublier que les notions mêmes de marketing et de label qui prédominent de nos jours sont en réalité des évolutions récentes du secteur. »
Depuis ses débuts, le département mode assume son choix délibéré de ne pas intégrer une orientation business à sa formation. Ici, le travail de chaque étudiant est mené dans une perspective qui s’extraie complètement des visées commerciales ou des tendances du marché de la mode. « Il est impossible de tout apprendre en quatre ans, explique Walter Van Beirendonck. Chaque école de mode possède sa propre philosophie d’enseignement. C’est ensuite aux étudiants d’opter pour ce qui semble leur correspondre le mieux. Nous souhaitons donner la conviction à nos étudiants qu’ils ont une voix forte et personnelle, et des univers qu’ils pourront continuer d’explorer et d’enrichir une fois qu’ils auront quitté l’académie. » Une assurance dans leurs capacités créatives est sans doute la meilleure arme pour affronter les aléas d’une industrie en perpétuelle transformation et emplie de défis à relever
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