Gastronomie : zoom sur 6 chefs français expatriés de Paul Pairet à Claude Bosi

Par Hélène Rocco, le 8 juin 2021

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The Good Business

Partis de France pour se libérer des codes de la gastronomie traditionnelle, ces cuisiniers, ou pâtissiers, font rêver leur pays d’adoption. Alors que certains cultivent le fantasme français ainsi qu’un accent prononcé, d’autres s’adaptent au terroir d’adoption pour séduire. Rencontre avec Paul Pairet et portrait de ces chefs qui se sont expatriés avec succès.

Paul Pairet. Chef propriétaire des restaurants Ultraviolet (3 étoiles Michelin), Mr & Mrs Bund et Polux, à Shanghai, et juré de l’émission « Top Chef ».

The Good Life : Qu’est-ce qui vous a poussé à tenter votre chance hors de France ?
Paul Pairet : J’ai un bac scientifique et j’ai commencé la cuisine assez tard ; je n’ai jamais fait partie du sérail. Même si je n’avais pas l’âme d’un voyageur, j’ai été attiré par la liberté qu’offre l’étranger. J’ai d’abord travaillé à Hong Kong, puis à Istanbul. À Paris, j’ai failli ouvrir Ultraviolet, le projet de ma vie, mais ça ne s’est pas fait. Je suis alors parti à Shanghai où mon concept – un restaurant de 10 couverts proposant une expérience multisensorielle – a pu aboutir en 2012. Si j’étais resté en France, j’aurais encore attendu longtemps avant de réaliser ce rêve !

TGL : Vous vous affranchissez des codes de la haute gastronomie. Vos restaurants sont-ils pour autant identifiés comme français ?
Paul Pairet : J’ai deux restaurants franco-français aux influences larges : la brasserie Mr & Mrs Bund et le bistrot Polux. Quant à Ultraviolet, il n’est pas perçu comme un restaurant français et attire une clientèle internationale. Ma cuisine est personnelle, c’est l’aboutissement d’un long travail et je la nourris de mes expériences. Dans toutes les régions du monde, il y a des choses intéressantes à emprunter, et particulièrement en Chine. J’imagine qu’être un chef français est un gage de qualité, mais aujourd’hui on va au‑delà du positionnement ethnique d’une cuisine. Ce qui compte, ce sont les produits, les créations.

TGL : Souhaitez-vous continuer à développer vos affaires, à Shanghai ou ailleurs ?
Paul Pairet : J’aimerais ouvrir d’autres restaurants à l’étranger. Ce qui m’intéresse c’est de faire de l’ordinaire de façon extraordinaire. Je réfléchis à un bar-resto du coin, façon PMU, qui proposerait des plats simples et bien exécutés, comme un poulet mayonnaise ou une très bonne soupe à l’oignon. Et si j’ai accepté d’être juré de « Top Chef », c’est notamment pour me faire connaître des Français, car je devrais bientôt ouvrir un restaurant à Paris. Comme une passerelle entre Shanghai et la France.

Damien Foschiatti. Chef pâtissier propriétaire des boutiques Fosch, à Stockholm. Élevé dans les Alpes françaises, Damien Foschiatti suit une formation classique de confiseur. Son diplôme en poche, il rêve d’ailleurs. Cap sur Washington, où il intègre une grande brigade de pâtisserie et peaufine son anglais. De retour en France, il travaille pour Ladurée, mais la vie parisienne ne lui convient pas ; il se laisse alors tenter par la Scandinavie. À Oslo, il apprend aux côtés du pâtissier français Pascal Dupuy. Quatre ans plus tard, il occupe un poste de chef de brigade dans les cuisines de Neil Perry, à Sydney, avant de s’installer en Suède, en 2012. À la sueur de leur front, sa femme et lui ouvrent une première boutique-café, puis une seconde, où ils mêlent techniques françaises et ingrédients locaux, à l’image de leur croissant à la cannelle ou de leurs macarons à l’argousier.

« Je devrais bientôt ouvrir un restaurant à Paris », Paul Pairet

Claude Bosi. Chef propriétaire du Bibendum (2 étoiles Michelin), à Londres. Après une enfance entre les vignes et le bistrot de ses parents, Claude Bosi se forme auprès de Michel Rostang et d’Alain Passard, puis part en Angleterre. En 2000, il ouvre le restaurant Hibiscus, à Ludlow, près du pays de Galles. Moins d’un an plus tard, il obtient une première étoile au Guide Michelin, puis une seconde en 2004. Audacieux, il fait alors le pari de délocaliser sa table au cœur de Londres. En 2016, il relève un défi plus ambitieux encore : celui de racheter le restaurant au pied du siège social de Michelin. Bibendum ouvre en 2017 et obtient deux étoiles la même année, du jamais-vu ! Convaincu que la capitale cosmopolite invite les gourmets à garder l’esprit ouvert, Claude Bosi adapte la cuisine française au territoire britannique ; c’est selon lui le secret de la réussite.

Lionel Beccat. Chef propriétaire d’Esquisse, 2 étoiles Michelin, à Tokyo. Corse d’origine, Lionel Beccat étudie l’histoire, puis se tourne vers la cuisine, bien décidé à voyager grâce à son métier. À 23 ans, il se forme dans les rangs du chef Guy Lassausaie, près de Lyon, et à 24, chez Petrossian, à Paris. Son rêve d’évoluer auprès de l’étoilé Michel Troisgros, à Roanne, se réalise peu après : il y reste cinq ans, jusqu’à devenir sous-chef. Bien qu’attiré par le Maroc, le cuisinier atterrit à Tokyo en 2006, quand son mentor le nomme chef exécutif de la première adresse nippone de Troisgros. Épure, jeu de textures, fermentation, umami… les multiples facettes de la gastronomie japonaise le fascinent. En 2012, Lionel Beccat quitte la prestigieuse maison pour ouvrir Esquisse, immédiatement auréolé de deux étoiles au Guide Michelin. Plus que des croquis, ses plats élégants et minimalistes s’apparentent à de véritables tableaux.

Claude Troisgros. Chef propriétaire de Chez Claude, 66 Bistrô, CT Brasserie, Le Blond et CT Boucherie, à Rio de Janeiro. Héritier de l’une des plus grandes familles de la gastronomie française, Claude Troisgros s’émancipe en s’installant à Rio de Janeiro dans les années 80. Il a tout à construire au Brésil, qui ne compte pas, à l’époque, de grandes figures de la gastronomie. Les Cariocas l’accueillent à bras ouverts et, en hommage à ses racines, il nomme son premier restaurant Roanne. Dans cette adresse de 18 couverts, il forge son identité et met le terroir brésilien à l’honneur. Le succès lui permet d’ouvrir une deuxième table, Olympe, qui met notamment à la carte une tranche de foie gras nappée d’un glaçage au rapadura et à la cachaça. À la tête de sa propre émission de télé depuis 2010, le chef à l’accent français fait rêver le public et dirige, aujourd’hui, cinq restaurants au Brésil.

Alain Caron. Chef propriétaire du Café Caron et du Petit Caron, à Amsterdam. Parisien de naissance, Alain Caron est un touche-à-tout. Batteur pour un groupe de rock, il se lance dans la cuisine et part aux Pays-Bas en 1983, mais il peine à trouver du travail et rentre se former dans un restaurant parisien. Après un long voyage en Asie, il s’installe définitivement aux Pays-Bas. Sa détermination lui permet de gravir les échelons jusqu’à devenir chef. Véritable star dans son pays d’adoption, il est tour à tour chef privé, auteur, présentateur de l’émission « Intérieur Extérieur » sur les producteurs néerlandais et juré de « Masterchef ». Poussé par ses fils et associés, il ouvre en 2017 la table bistronomique Café Caron, récompensée d’un Bib gourmand, puis les Petit Caron et Grand Caron. Moderne, sa cuisine mêle recettes françaises et influences néerlandaises.

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