The Good Business
À son arrivée à la tête d’Accor en 2013, l’ancien financier de Colony Capital a pu inspirer une certaine crainte. Sébastien Bazin s’est pourtant révélé en entrepreneur visionnaire. Trois fois reconduit pour son mandat, il a su faire monter le groupe hôtelier en gamme, tout en cédant les actifs immobiliers.
Au cœur de la tempête économique, Sébastien Bazin s’efforce désormais de garder un cap précis. À l’heure où Accor annonce le départ de 1 200 collaborateurs, c’est un homme optimiste qui a accordé une grande interview à The Good Life… et qui ne s’est défilé sur aucun sujet !
Interview de Sébastien Bazin, PDG d’Accor, par The Good Life :
The Good Life : L’année 2020 a-t-elle porté un coup à vos projets, en matière d’ouvertures, de fusions ou de signatures de contrats de gestion ?
Sébastien Bazin : Pas tellement. Nous avons 1 200 projets à l’heure actuelle, soit probablement autant qu’il y a un an, avant le Covid. Ou si on en a abandonné dix, il s’en est recréé dix. La raison est que l’hôtellerie démontre, depuis 1950, une croissance inégalée, de 5 à 10 % par an, ce qui en fait la deuxième industrie dans le monde après la finance. C’est une activité économique bénie des dieux. On l’a vécu avec les attentats de New York en 2001, puis ceux de 2015 : l’impact dure de six à dix-huit mois, pendant lesquels on a l’impression que tout s’effondre. Ensuite, la nature humaine fait que le besoin de voyager revient. Ce sera la même chose avec la situation actuelle. En temps voulu, l’industrie hôtelière reprendra ses relais de croissance. En revanche, il est sûr que la pandémie a un impact terrible sur les résultats de l’année. Mais nous devons nous projeter sur trois à cinq ans. En tout cas, la situation sanitaire n’a rien remis en cause dans notre démarche.
TGL : En novembre 2020, Accor annonçait la création d’une entité lifestyle, en partenariat avec le groupe britannique Ennismore, propriétaire des hôtels The Hoxton. Ce segment de l’hôtellerie reste-t-il porteur aujourd’hui ?
Sébastien Bazin : Il le devient de plus en plus ! Le lifestyle était un segment microscopique au cours des vingt dernières années, porté par des gens audacieux, comme Ian Schrager avec The Standard, la famille Trigano avec Mama Shelter ou Alan Faena, avec qui nous venons de signer un partenariat. Voilà seulement cinq ans que ce segment de niche rencontre une demande très large, multigénérationnelle. Parmi les hôtels que nous avons lancés depuis 2015, un sur quatre est un hôtel lifestyle, contre un sur vingt auparavant. Cette évolution s’explique par les réseaux sociaux et l’envie de partage. Sur Instagram, 50 % du contenu est relatif au monde du voyage. Au bout du monde ou près de chez soi, chacun poste ses rencontres, les lieux qu’il découvre, l’adresse que lui a conseillée un concierge d’hôtel. On va toujours à l’hôtel pour une adresse bien située et une chambre, mais il y a un élément qui compte de plus en plus : l’expérience globale, le rapport avec le quartier, l’environnement, la compréhension de la culture locale, la gastronomie ou encore le design. Nous vivons un vrai changement d’univers, tout cela était inexistant dans les années 50.
TGL : La création de cette entité s’inscrit-elle dans une stratégie plus large envisagée pour compenser la baisse annoncée du tourisme d’affaires ?
Sébastien Bazin : Dans notre activité, 60 % du chiffre est généré par la clientèle d’affaires et 40 % par celle de loisirs. Je suis convaincu que ce ratio va grimper à 50 %, du fait d’un effet rebond colossal de l’hôtellerie de loisirs sur les trois prochaines années. Au phénomène de ras-le-bol causé par la situation actuelle s’ajoute l’épargne réalisée. Nous retrouverons, fort heureusement pour nous, dans les théâtres, les cinémas, les restaurants et les hôtels beaucoup plus d’activité qu’il y en a eu depuis trois ou quatre ans. On l’a constaté au cours des deux mois d’été 2020, pendant lesquels nos hôtels en France ont connu un boom de fréquentation inédit – certes, les vacanciers ne pouvaient pas aller ailleurs, mais cela signifie que le besoin et l’envie sont là. À nous de savoir les capter, de bien nous occuper de nos clients pour les attirer et les fidéliser. En revanche, le voyage d’affaires domestique, qui compte pour 40 %, risque d’être impacté, mais de 5 à 10 % seulement, car le coût du transport en France et en Europe reste modique.
Le segment qui risque d’être le plus touché sera celui des voyageurs internationaux, pour lesquels le prix du voyage est exorbitant. L’époque où on faisait 12 000 kilomètres pour assister à une réunion de collaborateurs est sans doute révolue. Mais l’usage du télétravail risque d’avoir un impact formidable sur nos activités ; des dizaines de millions de gens dans le monde ne vont pas et n’iront plus au bureau tous les jours. Des études montrent qu’environ 50 % d’entre eux ne souhaitent pas pour autant rester chez eux, parce qu’ils y sont à l’étroit, ou qu’ils ne veulent pas passer leur temps derrière un écran, sans rencontrer personne. Le monde de l’hôtellerie est merveilleusement placé pour mettre à la disposition de ces dizaines de millions d’employeurs et de collaborateurs, quelques jours par semaine, les mètres carrés de lobbys, auditorium, bars, restaurants, salles de sport et l’excellent wi-fi qui ont été créés pour ces voyageurs internationaux. Cela s’appelle le flex office. Et je prédis que cette offre permettra de compenser largement la fréquentation que nous allons perdre.
En outre, cette évolution répond à un enjeu majeur : faire vivre un hôtel de 8 heures à 20 heures – d’où le lifestyle ! Pourquoi le Hoxton ou le Mama Shelter ont-ils un tel succès ? Ces hôtels savent accueillir dans la journée les gens du quartier, qui arrivent à 10 heures du matin pour prendre un café, mélangeant des avocats, des écrivains ou des grands-pères qui ont juste envie d’être reçus au chaud près de chez eux.
Retrouvez la suite de l’interview de Sébastien Bazin (Accor), dans le N°47 de The Good Life, 100 % France, actuellement en kiosque.
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