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La formule E électrique « zéro émission » se veut l’improbable trait d’union entre sport auto et programme écoresponsable. Et ça marche ! Les constructeurs plébiscitent la discipline, les pilotes y prennent goût et le public commence à s’y intéresser.
Tout le monde connaît la formule 1 et ses bolides ultrasportifs aux lignes acérées. La formule E, sorte de formule 1 qui carbure à l’électrique, n’a pas encore acquis la même notoriété. Le championnat n’en est qu’à sa sixième saison, quand son aîné fête ses 70 ans. Quoi qu’il en soit, pour le spectateur lambda, les apparences peuvent être trompeuses. Les deux compétitions ont de nombreux points en commun. Elles utilisent des monoplaces assez semblables : lignes agressives, roues non carénées, moteur arrière et, dans les deux cas, le pilote demeure à l’air libre. La forme est donc assez similaire, d’autant plus que c’est la Fédération internationale de l’automobile (FIA) qui tire les ficelles dans les deux cas.
« Ces quelques ressemblances sont trompeuses, déclare Sylvain Filippi, directeur de l’écurie britannique Envision Virgin Racing. En réalité, ces disciplines sont assez radicalement divergentes. En caricaturant à peine, on peut dire qu’entre une formule 1 et une formule E la seule chose de vraiment proche, c’est le nom. » Si les bolides en formule E utilisent des moteurs électriques « zéro émission » et emportent des batteries pour le stockage de l’énergie, ceux de F1, au contraire, sont propulsés par des blocs thermiques et donc polluants, plus précisément des V6 turbo hybrides, depuis 2014.
Objectifs de haute volée
La formule E nourrit néanmoins de hautes ambitions. « Ce championnat a été imaginé comme un vecteur pour accélérer la transition de nos sociétés modernes vers les voitures “zéro émission”, explique Katie Traxton, directrice de la communication de Formula E Holdings. Cette compétition a donc l’ambition de rendre l’avenir plus propre, plus sain. » Noble cause ! Pour réussir ce pari, cette discipline travaille à améliorer la technologie électrique, dans l’espoir que les progrès générés en course profitent, in fine, aux véhicules de grande diffusion.
« Les technologies que nous utilisons aujourd’hui ont toutes les chances de se retrouver d’ici à quatre ou cinq ans sur les autos de série, se félicite Sylvain Filippi. Nous souhaiterions que, dans le futur, le consommateur achète une voiture électrique non pour les aides qui lui sont associées, mais pour ses qualités intrinsèques, pour ses performances, espère, de son côté, la responsable communication. Il faut que le véhicule électrique devienne sexy. »
Constructeurs : c’est l’embouteillage
Le plateau compte 12 équipes et 24 pilotes. Les grands constructeurs internationaux se bousculent pour entrer dans la discipline. On en dénombre 10, soit bien plus qu’en formule 1. Cette saison, Porsche et Mercedes ont rejoint le peloton.
La liste des équipes :
– Audi Sport ABT Schaeffler (Audi Schaeffler), Allemagne.
– BMW i Andretti Motorsport (BMW), Etats-Unis.
– DS Techeetah (DS Automobiles), Chine.
– Envision Virgin Racing (Audi Schaeffler), Grande-Bretagne.
– GEOX Dragon (Penske), Etats-Unis.
– Mahindra Racing (Mahindra), Inde.
– Mercedes-Benz EQ (Mercedes-Benz), Allemagne.
– NIO 333 FE Team (NIO), Chine.
– Nissan e.dams (Nissan), France.
– Panasonic Jaguar Racing (Jaguar), Grande-Bretagne.
– TAG Heuer Porsche (Porsche), Allemagne.
– ROKiT venturi Racing (Mercedes-Benz), Monaco.
Mission impossible ?
Comme Tom Cruise avant elle, la formule E a accepté une « mission (quasi) impossible » : transformer un championnat de sport automobile en discipline écoresponsable… Bonne chance ! En effet, la course est à l’écologie à peu près ce que Pol Pot est aux droits de l’homme : une très mauvaise élève. Pour être en accord avec ses engagements, la formule E a commencé à balayer devant sa porte. Pour « se verdir », cette discipline a procédé à des choix originaux avec, notamment, un modèle de monoplace identique attribué à toutes les écuries.
« En gros, si les voitures étaient livrées blanches, elles seraient toutes pareilles, résume Sylvain Filippi. Aérodynamique, carrosserie, châssis et jusqu’aux pneus sont, en effet, les mêmes pour tout le plateau de formule E. » Tout l’inverse de la formule 1 où les écuries développent leurs autos de A à Z.
Les plus belles villes du monde pour décor
Les circuits de formule E sont presque tous éphémères et implantés au cœur des plus grandes villes du monde : Rome, Paris, New York, Mexico… Les courses, qui empruntent rues et avenues « de tous les jours », ont pour arrière-plan les plus beaux monuments. Cette année, de nouveaux E-Prix étaient attendus à Londres, Séoul et Djakarta. Le Covid-19 en a décidé autrement.
Les villes d’accueil :
• Europe : Rome, Paris, Londres, Berlin.
• Afrique : Marrakech.
• Amérique du Nord : New York, Mexico.
• Amérique du Sud : Santiago.
• Asie : Sanya, Séoul, Jakarta, Dariya.
Objectifs atteints… en partie
Ce choix de monoplace monotype risquait de rendre les ingénieurs de la formule E neurasthéniques. « Pour éviter cela, ces derniers ont quand même le droit d’intervenir sur toute la partie électrique : moteur et software, boîte de vitesses et jusqu’au train arrière, rappelle le directeur d’Envision Virgin Racing. En formule E, la combinaison de la performance et de l’efficacité est plus importante que la puissance ou la vitesse pure. »
Les nouvelles batteries des voitures de génération 2, lancées en 2018, ont beaucoup progressé. Elles stockent deux fois plus d’énergie qu’avant, tout en étant plus légères et moins encombrantes. Elles se rechargent aussi plus rapidement, tout en générant moins de chaleur. Bref, elles ont accompli un grand bond en avant. Et surtout, ces accus tiennent toute la durée d’une course. Fini le temps où les pilotes devaient changer de monture au milieu du Grand Prix.
Un peu comme au XIXe siècle, quand, après un long trajet, on échangeait les chevaux fatigués de la diligence contre d’autres tout frais. « En gros, en six ans, la technique de la formule E a progressé autant qu’en trente ans dans la vie réelle », se félicite le directeur de l’écurie anglaise. La politique de la voiture unique permet de maintenir un niveau de performances proche entre les équipes. Les courses sont très disputées, avec de nombreux dépassements. Les huit derniers E-Prix ont tous été remportés par des pilotes différents. Petit cocorico, c’est un Français, Jean-Eric Vergne sur DS Techeetah, qui domine. Il a gagné les championnats en 2018 et en 2019.
Vraiment écologique ?
En matière d’écoresponsabilité, la formule E fait ce qu’elle peut. La course automobile demeure une activité polluante et les déplacements de circuit en circuit concentrent une grande part de responsabilité. Difficile d’y échapper. Pour compenser cet état de fait, les organisateurs mettent les bouchées doubles sur les à-côtés. Tout le plastique à usage unique a pratiquement disparu du championnat. « Nous avons installé des stations d’hydratation et nous proposons des sachets d’eau réutilisables et recyclables, dans la fanzone notamment. Notre taux de recyclage des déchets atteint désormais 52 % », se réjouit Katie Traxton.
Des progrès notables ont été réalisés sur le poste pneumatique. Les écuries ont droit à un seul train par course, contre une quinzaine en formule 1. Michelin, qui fournit le championnat de formule E, livre des enveloppes Pilot Sport hybrides utilisables quelles que soient les conditions météorologiques. Elles sont recyclées à 100 % après usage. L’avènement des voitures de génération 3 va constituer la prochaine grande évolution en formule E. Ces nouvelles monoplaces débuteront en 2022, une belle dose de progrès techniques en perspective. Encore deux saisons à attendre…
Empreinte carbone, qu’est-ce qui coince ?
La consommation de carbone de la formule E se décompose comme suit :
• 72 %, c’est la part de l’empreinte du fret. Le transport des voitures, des équipements, des infrastructures, d’une course à l’autre, reste de très loin le plus polluant.
• 14 %, c’est la part de l’empreinte des équipes et de leur infrastructure. Les voyages pour se rendre aux courses pèsent lourd.
• 6 %, c’est la part de l’empreinte spectateur. Elle est faible en raison notamment du choix de courir en centre-ville, ce qui réduit les déplacements.
• 4 %, c’est la part de l’empreinte de la nourriture. Il est demandé aux traiteurs de proposer des menus végétariens et de travailler avec des produits locaux.
• 3 %, c’est la part faible de l’empreinte des infrastructures. Les équipements sont réutilisables d’une course à l’autre.
• 1 %, c’est la part de l’empreinte de la construction des monoplaces. Ce bon résultat est la conséquence du fait qu’elles sont identiques et fabriquées au même endroit.
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