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A Strasbourg, l’International Space University (ISU) forme aux métiers du « new space », l’espace n’étant plus seulement une affaire d’ingénieurs, mais bien un nouveau secteur économique très porteur.
En octobre 2019, Jessica Meir a inscrit son nom dans l’histoire de la conquête spatiale lorsqu’elle réalise, avec Christina Koch, la première sortie dans l’espace 100 % féminine. Pendant plus de sept heures, les deux astronautes américaines ont travaillé à l’extérieur de la Station spatiale internationale (ISS) pour réparer un équipement. Ce jour-là, l’International Space University (ISU) de Strasbourg a ajouté le nom de Jessica Meir à la liste de ses étudiants devenus astronautes.
Mais la fierté de cette université ne tient pas seulement à ceux-là. Avec 4 600 anciens élèves, l’ISU se vante de former à tous les métiers de l’espace. Quels que soient l’organisme, l’agence ou le programme spatial, dans n’importe quel pays, « l’organigramme comporte forcément des personnes formées à l’ISU », affirme Chris Welch, directeur du programme Masters, professeur d’astronautique et d’ingénierie spatiale.
De la European Space Agency (ESA) à son homologue américaine, la Nasa, en passant par l’agence spatiale du Nigéria ou celle de la Chine, des sociétés privées du « new space » jusqu’aux ministères et aux centres de recherche, l’ISU a essaimé dans plus de 100 pays.
Des programmes interdisciplinaires, internationaux et interculturels
C’est en 1987 que Peter Diamandis, Todd Hawley et Robert Richards imaginent l’ISU. Tous les trois sont ingénieurs, entrepreneurs et passionnés de spatial. Leur projet : « créer une institution fondée sur la vision d’un futur pacifique, prospère et infini grâce à l’étude, l’exploration et le développement de l’espace au bénéfice de l’humanité tout entière »…
Ils veulent que les programmes de cette institution soient interdisciplinaires, internationaux et interculturels, ce qu’ils nomment « philosophie des 3I ». Les premières années, leur projet prend la forme d’une université d’été, qui réunit plus d’une centaine d’étudiants et de professionnels pendant deux mois dans une institution quelque part dans le monde.
A Strasbourg depuis 2002
La première, en 1988, se tient au MIT, puis ce sera la France, le Canada, le Japon, les Etats- Unis, l’Espagne, etc. En 1995, Strasbourg remporte l’appel d’offres de l’ISU pour créer un campus et développer un programme complet de troisième cycle afin de former les professionnels dont le secteur spatial a de plus en plus besoin. Université privée, l’ISU est financée par les principales agences et organisations spatiales et aéronautiques du monde.
Inauguré en 2002, le campus est implanté au sein du parc d’innovation de la ville, à Illkirch-Graffenstaden, qui héberge plusieurs facultés de l’université strasbourgeoise, notamment les biotechnologies, l’ingénierie informatique et télécom, ainsi que des entreprises de pointe et des centres de recherche dans ces domaines.
Au fil des années, l’ISU a enrichi son offre de formation. Le principal cursus de son programme est le master en études spatiales (Master of Space Studies, MSS). Chaque année, il accueille 45 étudiants venus d’une vingtaine de pays.
Parité parfaite
Rien d’étonnant donc à ce que les cours soient entièrement assurés en anglais. Une évolution est à souligner : les effectifs atteignent maintenant la parité. « La promotion qui a débuté en septembre dernier compte 50 % de femmes ! » se félicite Juan de Dalmau, président de l’ISU. Les cours traitent de toutes les disciplines liées au spatial : l’ingénierie, les sciences, les aspects humains (biologie, physiologie, psychologie…), l’économie, les politiques, le droit et les applications dédiées, comme, par exemple, les satellites d’observation de la Terre.
La plupart des étudiants ont démarré leur formation ou travaillent déjà dans des domaines qui sont en relation. Souvent, c’est l’organisme qui les emploie qui finance leur année de formation. Une aide bien utile, car il en coûte 25 000 euros pour l’année de master. L’ISU et les organismes des pays qui la soutiennent proposent différentes bourses d’études qui financent tout ou partie des frais de scolarité.
L’Inde, par exemple, verse plusieurs bourses à de jeunes femmes diplômées dans différentes matières afin de les attirer vers les métiers de l’espace. Les étudiants qui le souhaitent prolongent l’année MSS d’une année de thèse. C’est ce qu’a fait Ana Cristina Baltazar. Ingénieur en mécatronique, cette jeune Mexicaine avait travaillé dans la production d’énergie avant de succomber à son goût pour l’espace. « J’ai fait mon stage de master à la Nasa, à la division des petits satellites de l’Ames Research Center, en Californie. Ils ont ensuite financé mon année de thèse à l’ISU », raconte-t-elle.
D’autres prolongent leur cursus en devenant assistant d’enseignement. Cela leur permet de poursuivre des travaux de recherche sur les équipements de l’ISU. L’université dispose, entre autres, d’un radiotélescope, d’une station au sol pour satellites, d’une capsule spatiale russe Almaz et d’une structure autodéployable pour environnements hostiles (SHEE).
Données clés
• Date de création : 1987. L’ISU voit le jour sous la forme d’une université d’été itinérante avec juste un bureau à Boston.
• Date d’installation à Strasbourg : en 2002, l’ISU inaugure son campus d’Illkirch-Graffenstaden, près de Strasbourg.
• Alumni : 4 600 anciens élèves dans 105 pays, âgés de 18 à 59 ans.
• Bibliothèque : 10 000 livres, romans de science-fiction, ouvrages, ebooks, DVD et documents relatifs aux sciences fondamentales et appliquées sur le spatial. Soit l’un des principaux fonds documentaires sur l’espace en Europe.
Buzz Aldrin à Strasbourg
L’université d’été, rebaptisée Space Studies Program, consiste toujours en un cours intensif de deux mois suivi par environ 130 jeunes diplômés et professionnels. Elle se tient à Strasbourg une fois tous les quatre ou cinq ans et dans différentes villes du monde les autres années. En 2019, après Israël, l’Irlande et les Pays-Bas, elle a été l’occasion pour l’ISU d’accueillir Buzz Aldrin dans ses locaux strasbourgeois, moment gravé dans l’histoire de l’université par une photo de lui aux côtés du buste de Youri Gagarine, qui trône dans le hall d’accueil.
Le célèbre astronaute, membre de la mission Apollo 11 « qui a marché sur la Lune », avait été nommé chancelier de l’ISU en 2015. Ce titre est aujourd’hui celui de Pascale Ehrenfreund, présidente de DLR, l’agence aérospatiale allemande. Le programme SSP est maintenant décliné en SH-SSP (South Hemisphere- SSP).
Il s’agit d’un programme de cinq semaines à l’université d’Adélaïde, en Australie, destiné à une cinquantaine d’étudiants et de professionnels du spatial dans les pays de l’hémisphère Sud. Les Chinois – un quart de la promotion 2019 – y sont très représentés. Le programme Executive Space Course (ESC), une formation accélérée d’une semaine, attire un auditoire quelque peu différent.
Cette formation courte s’adresse plus particulièrement aux non-spécialistes du spatial curieux de ce secteur d’activité ou qui sont amenés à y travailler dans des fonctions support comme, par exemple, les finances, le juridique, le commercial ou les ressources humaines.
Activité de recherche
Comme toute université, l’ISU mène également une activité de recherche. Plusieurs projets ont notamment été menés pour tester le programme de payloads de l’ISS. Il s’agit de projets conditionnés pour tenir dans un cube standard de 10 x 10 cm qui est transporté vers la station spatiale afin d’en étudier le comportement en apesanteur.
En juin 2018, en tant que « bêta-testeur » de ce programme, l’ISU a envoyé trois expériences relatives à la génération du méthane, à la croissance des plantes et un projet artistique, un kaléidoscope contenant un poème rédigé par Chris Welch. Les cubes reviendront sur Terre en 2020…
Après avoir fourni leurs données aux chercheurs, ils trouveront certainement leur place dans le bureau de Chris Welch, entre la combinaison spatiale accrochée au portemanteau à côté de son gilet de cycliste, des matriochkas de cosmonautes ou encore le morceau d’un satellite récupéré après l’explosion de la fusée Ariane 5 lors de son vol inaugural en 1996… Un attirail particulièrement éclectique d’objets dont le point commun est d’évoquer l’espace, voire d’y être allé et d’en être revenu !
La référence mondiale pour les objets stellaires
L’Observatoire astronomique a été créé en 1881 au milieu du jardin botanique, alors que les Allemands construisaient un nouveau quartier, la Neue Stadt, pour faire de Strasbourg la capitale d’un nouveau Land.
Aujourd’hui, il abrite le Centre de données astronomiques de Strasbourg (CDS). Celui-ci héberge et fait vivre Simbad, la base de données référence mondiale des objets stellaires.
Grâce à Aladin, un logiciel interactif développé par le CDS, tous les curieux peuvent rechercher, analyser et accéder aux images des objets astronomiques référencés dans la base, le tout depuis leur ordinateur. Il vaut mieux savoir ce que l’on cherche, la base référence plusieurs milliards d’étoiles, de galaxies et d’exoplanètes ! Une source précieuse de données pour l’ISU voisine…
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