The Good Business
« L’affaire » Wework a donné un grand coup de projecteur (négatif) sur l'univers du coworking. Ce n’est pas le coup de pub le plus reluisant pour les acteurs du milieu à Paris. Certains observateurs émettent même l’idée qu’une bulle pourrait exploser… Alors The Good Life est allé à la rencontre de Deskopolitan, Kwerk et Morning Coworking, trois marques bien implantées, aux modèles différents, pour en savoir plus sur les recettes d’un espace qui fonctionne, et comprendre s’il faut, en effet, craindre l’effondrement de ce modèle, tout jeune et aux contours mal définis.
1,7 milliard de dollars. Il s’agit du montant du parachute doré avec lequel Adam Neumann a pris la tangente de la direction de Wework, dont il était le CEO, après le rachat/sauvetage de l’ancienne start-up par SoftBank. Valorisée à près de 50 milliards de dollars, elle en vaudrait aujourd’hui moins d’une dizaine. Son entrée en bourse, il y a quelques mois, a obligé le leader mondial du coworking à publier ses comptes.
Des résultats bien loin des attentes des actionnaires et investisseurs, qui n’ont rassuré personne. Un échec cuisant, que peu d’observateurs avaient vu venir, tant l’entreprise affichait une puissance, une confiance et une énergie à se développer vitesse grand V. L’affaire est si retentissante, qu’une enquête aurait été ouverte par la justice de New York.
Problème, Wework était devenu une, si ce n’est « la » référence du coworking mondial (avec Regus et Spaces, dans une moindre mesure). Alors, forcément, ce nouveau marché en plein boom se retrouve sous les projecteurs. Et, comme il touche à l’immobilier, on entend certains observateurs s’alarmer de l’explosion (très) prochaine, d’une bulle.
L’immobilier, un garde-fou
Pourtant, à Paris, malgré les ouvertures à tour de bras de ce type d’espaces et la multiplication des acteurs, le coworking ne représente pour le moment qu’une infime part du marché du bureau (entre 2 et 3 %). A première vue, pas de quoi craindre un jeudi noir du coworking.
En effet, Alexis Rebiffé, co-fondateur de Deskopolitan, se veut rassurant. « Il n’y a pas encore de phénomène de bulle car l’offre de location et de vente pour les acteurs de coworking est très faible. C’est même la guerre entre nous à chaque mise sur le marché ! » Une pénurie qui sert, pour le moment, de garde-fou et empêche la surcroissance. Et après ?
20 % du marché… dans dix ans
Chez Morning Coworking, Clément Alteresco est encore plus catégorique. Il avance en effet que « le marché ne sera jamais saturé, car il ‘remplace’ le bureau classique. Les entrepreneurs passent de l’un à l’autre. Ainsi, dans le meilleur des cas, on représentera 20 % du marché dans dix ans… » Comme à Londres.
Un propos appuyé par le patron de Deskopolitan. « Quand une firme atteint 30 ou 40 collaborateurs, elle veut développer sa propre culture d’entreprise. Pour cela, le fait d’investir dans ses propres locaux a ses avantages. Le coworking, c’est en fait une offre complémentaire. »
Le schéma idéal du développement d’une start-up commence par une activité en petit comité dans des bureaux nomades, puis l’installation dans un espace de coworking avec un bail moins contraignant, de la flexibilité pour répondre à l’élargissement de ses équipes et un bel endroit dans un lieu stratégique pour recruter les meilleurs talents – c’est là qu’intervient le coworking – avant de s’envoler de ses propres ailes.
Le coworking, un modèle qui « se tient »
Une fois la théorie de la bulle écartée, reste à comprendre – outre le bilan financier désastreux – comment Wework a pu en arriver là alors que le concept du coworking connaît un succès fulgurant.
« Wework se vendait comme une plateforme technologique, avance Lawrence Knights, l’un des deux fondateurs de Kwerk, mais ça reste de l’immobilier. Avant de savoir si je peux contacter un potentiel collaborateur à New York en un clin d’œil, comme ils le proposaient avec leur application, je veux d’abord être sûr que le lieu est bien desservi, que l’accueil est bon, que l’immeuble est beau… » Un problème de communication ? Pas seulement ! Lawrence Knights ajoute : « Wework a ouvert trop d’espaces, à un rythme totalement effréné ! »
Là-dessus, il est rejoint par le patron de Morning Coworking. « Adam Neumann était dans un délire de croissance démesurée, ils ont cramé beaucoup d’argent ! Si tu fermes les espaces qui ne fonctionnent pas en Asie, en te focalisant sur tes marchés aux meilleurs taux de remplissage, New-York, Londres et Paris par exemple, le modèle de base se tient. »
Chacun sa recette
Pourtant Morning est, en surface occupée, l’un des seuls à Paris qui rivalise avec le géant américain. Frugalité, fabrication de meubles en interne, levées de fonds raisonnables, certains espaces signés en baux précaires de 12 à 36 mois : une recette qui a permis à l’entreprise du groupe Bureaux à Partager, d’être rentable sur tous ses espaces, même s’ils sont nombreux et dispersés dans toute la région.
Du côté de Deskopolitan, la prudence est de mise, avec deux espaces « seulement » dans son portfolio. Mais ce jeune acteur du marché fait figure d’OVNI dans le paysage du coworking parisien. Associé au groupe Chevrillon, il est en effet propriétaire de ses deux immeubles ! Ainsi, il peut se permettre de prendre des risques (mesurés), notamment la création d’un boutique-hôtel de 14 chambres adossé à sa dernière adresse dans le 11e arrondissement de Paris.
Concernant Kwerk, l’un des secrets de son succès sur la durée réside dans la localisation. Tous les espaces de la marque, sauf celui de La Défense, sont installés dans le Quartier Central des Affaires. Pour Lawrence Knights, « c’est la meilleure façon de conserver sa clientèle, et cela permets de transférer les clients sans bousculer leurs habitudes quand on manque de place ».
Prudence et croissance intelligente
Si la prudence, le choix de la localisation et la recherche de la rentabilité sont aussi importants pour de nombreux acteurs du coworking parisien, c’est qu’ils sont souvent adossés à des spécialistes de l’immobilier, dont la préoccupation est plus financière que de mettre des points sur la carte de la ville. C’est le cas pour Morning Coworking avec Nexity, Kwerk avec Les Nouveaux Constructeurs et Deskopolitan avec le groupe Chevrillon.
Une approche moins capitalistique, qui n’empêche pas pour autant de vouloir grandir. « Il faut se développer pour atteindre une taille critique, c’est compliqué de refuser la croissance, comme l’explique Alexis Rebiffé, l’important est de réussir à trouver le juste milieu entre développement et rentabilité. »
Adaptation et diversification
Se développer, c’est parfois s’adapter. Ainsi, le co-fondateur de Deskopolitan a remarqué, chez lui mais aussi chez ses concurrents, que les open-space avaient tendance à disparaître, revenant à un modèle plus classique de bureaux fermés pour chaque entreprise. Si les espaces plus informels, communs à tous les membres sont toujours là, ils prennent de moins en moins de place dans les adresses les plus récentes.
Se diversifier aussi. Deskopolitan a ouvert un boutique-hôtel, Kwerk ouvrira deux nouvelles adresses en 2020, toujours dans le QCA, où l’on trouvera du mobilier thérapeutique, fidèle à son concept de wellworking, et Morning a prévu de nouvelles offres. La première accompagnera les entreprises qui souhaitent avoir leurs propres bureaux, mais avec les services du coworking, et la seconde permettra aux clients, des entreprises qui ne sont pas membres d’un espace de coworking Morning, d’embaucher quand même les équipes de designers d’intérieur et d’ébénistes de Morning pour aménager ou réaménager leurs bureaux.
Le marché du coworking reste à conquérir
En réalité, Wework – dont on parle comme s’il n’existait plus, alors qu’il a toutes les chances de se relever – est un acteur à part, qui était porté par une personnalité fantasque, et au business model certainement trop inspiré de la Silicon Valley pour s’attaquer à un marché aussi mature que l’immobilier. A Paris, les acteurs locaux semblent croitre avec plus de raison et continuent de croire en un concept dont le marché est encore à conquérir.
« La demande est là, conclut Lawrence Knights, rien que dans le QCA de Paris, elle représente entre 400 et 500 000 m² par an. Et Kwerk n’ouvrira que 11 500 m² l’an prochain… Il y a encore de la marge ! »
Et tant que le bail commercial classique gardera sa rigidité – ce qui devrait durer, tant il profite aux bailleurs – la petite entreprise des acteurs parisiens du coworking ne devrait pas connaître la crise… A condition qu’ils considèrent l’affaire Wework comme ce qu’elle est : un premier avertissement.
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