The Good Business
Cofondateur et coprésident de l’agence W, la pépite créative d’Havas choisie, entre autres, pour réinventer l’environnement et la signalétique du légendaire tournoi de Roland‑Garros, aujourd’hui en pleine renaissance architecturale, Gilles Deléris place sa vision de designer au cœur d’un métier qu’il ne réduit surtout pas… à de la pub.
C’est l’histoire d’un homme qui a grandi à l’Est pour s’épanouir à l’Ouest. Elevé dans le bouillon révolutionnaire de l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs dont il est diplômé, Gilles Deléris s’est construit entre ce qu’il nomme « l’eau » de Jean Widmer, Suisse rigoureux, géant du graphisme, héritier du Bauhaus, et le « feu » du collectif Grapus. Grapus (contraction d’une insulte soixante-huitarde « crapule stalinienne ») qui incarna l’âge d’or d’un graphisme engagé posant sa patte inventive au Louvre, à La Villette, sur des affiches de théâtre, et luttant contre le poison… de la publicité ! C’est pourtant sur cette planète honnie par ses maîtres que Gilles Deléris a tracé son propre destin. Il voulait autrefois devenir architecte, aurait adoré concevoir ce drôle d’immeuble couleur « jaune Renault », où gambergent les équipes de W, sur les terres des anciennes usines automobiles à Boulogne-Billancourt.
Le petit bureau de Gilles Deléris niche au 7e étage, tout près du grand plateau consacré à la création, une forêt d’ordinateurs qui s’active en silence.
Des rencontres décisives
W réunit aujourd’hui quelque 150 collaborateurs. Lors de sa création en 1998, ils se comptaient sur les doigts d’une main. Gilles Deléris a alors 36 ans. Derrière lui, un parcours au parfum d’aventure, éclectique et jubilatoire : pub, design, édition. Le voilà directeur artistique chez Agraphe Look, où circule, dit-il, le meilleur de la création mondiale, mais aussi commissaire d’expo au Centre Pompidou.
Il insiste sur ces rencontres, l’empreinte indélébile qu’elles ont laissée sur sa vision. Il y a eu Jean-Claude Decaux, ce génie fou d’art contemporain et de design, futur très gros client de l’agence BDDP, que Deléris a rejoint comme manager associé, avant de s’en séparer pour fonder W avec l’actuel coprésident Denis Gancel. Rien ne semblait a priori unir l’éloquent stratège MBA-HEC à l’ultracréatif plutôt introverti. « Nous sommes complémentaires. On nourrit la même exigence, la même quête d’excellence au service de la créativité », glisse Gilles Déleris.
Les deux se complètent pour arrimer W à un socle novateur : placer le design, l’espace, l’architecture, les lieux « physiques » au cœur de leur savoir-faire. Une poignée de signatures fidèles les conforte alors dans leur entreprise : Accor, Jean-Claude Decaux (qui, ensuite, passera chez Publicis), le groupe Suez Lyonnaise des Eaux. Puis ils conquièrent un client majeur : Total, qui réussit son OPA sur Elf grâce au travail de W et finit… dans l’escarcelle de Publicis, avec une force de frappe médiatique apte à projeter le nouveau géant du pétrole.
Jeux, sets et match !
Ainsi, il suffisait que Maurice Lévy pointe le bout de son costume pour que tout s’arrête ? Le tandem prend conscience de ses faiblesses. En 2001, il rejoint le groupe Havas qui leur ouvre son réseau. Les codirigeants conservent environ un tiers du capital, une précieuse minorité de blocage qui leur assure une marge d’autonomie certaine.
Les artistes et chefs-d’œuvre qui l’inspirent
• Jan de Selmberk
• Jan Van Eyck, dont Les Epoux Arnolfini
• Jérôme Bosch, Le Jardin des délices
• Niki de Saint Phalle, Le jardin des Tarots
• Peter Zumthor, Les thermes de Vals
• Rei Naito, Matrix à Teshima
• Et, entre autres, le Caravage, Matisse, Calder, Miró, Jackson Pollock, Le Corbusier, Tadao Ando, Joël Robuchon, Pink Floyd, Kraftwerk, Led Zeppelin, The Clash, le château de Chenonceau, Le Mont-Saint-Michel…
En vingt ans d’existence, W a surfé sur la vague d’avant la bulle Internet, résisté à l’onde de choc des attentats du World Trade Center. Elle a revisité les bureaux de Poste, progressivement délivrés de leurs queues au guichet et de la laideur sonore des fameux hygiaphones ; elle construit des restaurants pour McDonald’s et coache Accor dans sa conquête des millenials.
Aéroport de Paris est l’un de ses clients historiques, dont les anciens duty-free mal indiqués en sous-sol se sont métamorphosés en boutiques de luxe au décor « avenue Montaigne » vers lesquelles les voyageurs en transit sont intuitivement guidés. Sans oublier Roland‑Garros, ce match remporté voilà cinq ans par W, qui accompagne la mue du stade mythique, en veillant dans ses tribunes, ses restaurants, ses espaces d’accueil, à entretenir la légende sous une lumière résolument contemporaine.
W, la pionnière, n’est-elle pas aujourd’hui rattrapée par la concurrence ?
Toutes les agences de pub n’ont-elles pas, elles aussi, leur propre pôle « design » ? « Ces agences poursuivent les mêmes objectifs de valorisation de leurs clients, mais en France, W est la seule agence à intégrer les savoir-faire de branding, d’architecture, de publicité et de contenus print et numérique », réplique Gilles Deléris. Et n’allez pas lui parler de « campagne publicitaire » ! Gilles Deléris n’a que des « projets ». Le long terme, ce n’est pas du one shot. Un publicitaire à l’âme de designer, ça pense comme ça !
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