Horlogerie
La maison March LA.B a (un peu) bousculé les codes d’un segment horloger qui commençait à peine à se remettre de l’arrivée de Bell & Ross. Son cofondateur et patron emblématique revient sur une aventure qui n’a rien d’un long fleuve tranquille.
Ses bureaux situés au-dessus de la boutique de la rue Charlot, en plein haut-Marais, à Paris, reflètent parfaitement l’ambiance rétro seventies de March LA.B. Les meubles vintage, dont un spectaculaire Joe Colombo, le disputent à l’élégant parquet délicieusement fatigué qui craque, et aux présentoirs professionnels détournés en bois. Le tout saupoudré, bien sûr, de touches du fameux vert March.
Ce saisissant décor, reflet de l’univers puissant du cofondateur Alain Marhic, accueille de jeunes collaborateurs lookés et Marcel, le chat au superbe pelage façon panthère. Cela fait maintenant une dizaine d’années que la marque est lancée. Dix ans qu’Alain lutte pour installer son enseigne dans un paysage parfois jugé trop conservateur. La griffe a affronté ouragans et tempêtes avant de retrouver un peu de sérénité. Retour sur la marche de March LA.B… qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille !
6 questions à Alain Marhic, fondateur de March LA.B :
The Good Life : Dix ans que March LA.B existe. Un petit point avec TGL ?
Alain Marhic : Nous sommes une jeune marque horlogère française au positionnement un peu décalé. Nous nous appuyons sur un univers très personnel et assez fort. En gros, nous puisons notre inspiration dans les années 60-70, avec le vert pour fil rouge. Aujourd’hui, nous distribuons environ 10 000 montres par an, et la gamme automatique, qui tourne autour de 1 000 euros, représente 40 % de nos ventes. Nous sommes à + 50 % chaque année depuis deux ans. Pour 2019, nous visons 15 000 pièces vendues. Bref, c’est reparti…
TGL : Success-story… ?
A. M. : Pas exactement ! Tout n’a pas été simple. Le début, c’est 2009, quand je quitte Quiksilver, où j’occupais un très bon poste. L’entreprise n’évoluait plus. Elle était devenue molle. Pendant deux ans, je développe mes idées. En 2011, je sors ma première montre néo-rétro : la AM1. A l’époque, il s’agit d’un modèle Swiss Made qui frôle les 2 000 euros en automatique, et les 800 en quartz. Je n’avais pas conscience que ce segment était en réalité l’un des plus encombrés du marché. On y croisait, notamment, TAG Heuer ! Pour ne rien arranger, je rencontre une avalanche de problèmes techniques. Les glaces cèdent et les empilements d’aiguilles ne tiennent pas. Une catastrophe ! Je les appelle « mes montres boomerang ». Je les envoie à leur destinataire et, un mois plus tard, elles me reviennent en panne, en pleine figure. L’horreur ! La mort dans l’âme, je décide alors de stopper la vente pour tenter de réparer les stocks. L’opération se révèle très délicate. En 2013, de guerre lasse, j’arrête tout. J’avais la tête par terre, j’étais désespéré. Je tombe en dépression ! Jérôme Mage, mon comparse designer, cofondateur de March LA.B [il habite à Los Angeles, il est le LA de LA.B, NDLR] abandonne. « Je n’y crois plus, me dit-il. C’est un projet qui ne marchera pas. » Nonobstant, nous sommes restés en très bons termes et nous sommes encore associés.
Made in France
TGL : Comment vous en êtes-vous sorti ?
A. M. : J’ai toujours gardé la foi. Je suis reparti seul. Je me suis recentré sur le concept initial de March LA.B : une marque française de montres horlogères stylées et pas trop chères. J’ai abandonné le Swiss Made que j’avais choisi par défaut. Vu tous les problèmes rencontrés, je suis vacciné. Depuis 2013, nos produits sont made in France, assemblés dans le Doubs, au sein d’un petit atelier sérieux de la région de Besançon. J’ai réduit les tarifs d’un cran, avec un super-prix moyen autour de 1 000 euros en automatique.
TGL : Comment la marque a-t-elle repris des couleurs ?
A. M. : En 2013, j’ai quitté professionnellement Biarritz – le B, de LA.B –, pour Paris. Biarritz, ça fait rêver, mais il n’y a pas le tissu social nécessaire pour développer les affaires. Nous avons ouvert la boutique de la rue Charlot, dans le 3e arrondissement, et le bureau parisien. Cela a été un cap très important. Il restait un bon stock de produits à lancer. Quand je suis arrivé au bout de ces nouveautés, il y a trois ans, j’ai rappelé Jérôme et je lui ai demandé d’en imaginer d’autres. J’ai aussi eu la chance de toujours conserver à mes côtés Joseph Chatel, mon financier des débuts. Je l’ai rencontré il y a trente ans, quand j’étais moniteur de ski nautique. Son rôle est crucial. Car ce n’est pas avec le bénéfice des ventes, aussi formidables soient-elles, qu’on finance le développement d’une marque ou qu’on ouvre de nouvelles boutiques. Il faut de l’argent frais. Et il sait en trouver.
La montre du Président
TGL : Les produits aussi ont joué un rôle important, non ?
A. M. : Bien sûr ! Nos montres sont très bien perçues. Sept clients sur dix sont d’authentiques amateurs ou collectionneurs. Il n’est pas rare qu’ils portent également une Rolex ou une Audemars Piguet au poignet. On a eu des acheteurs connus, comme Arnaud Montebourg, à l’époque où il était ministre du Redressement productif. Il se promenait dans le quartier, il est entré dans la boutique et il a passé commande. On s’est revus par la suite. Quant à Emmanuel Macron, c’est mon financier qui était en contact avec l’un de ses conseillers. Il lui a fait parvenir des montres, il en a acheté une. Je suis très heureux que le Président porte une March LA.B. Aujourd’hui, nos créations trouvent leur place chez les distributeurs entre TAG Heuer et Breitling. C’est une grande fierté ! Nous sommes maintenant considérés comme une marque horlogère. Du coup, en 2017, quand nous avons lancé la Seventy, plus accessible, il ne fallait pas se rater. Heureusement, cette nouvelle gamme à bracelet interchangeable qui débute aux alentours de 250 euros a rencontré un franc succès, et sans écorner notre image !
TGL : Où en êtes-vous de votre développement ?
A. M. : Victor Jourdainne, qui travaillait chez Hamilton, nous a rejoints. Il a quitté Swatch Group, le plus grand groupe horloger du monde, pour la plus petite maison du secteur. Il croit en March LA.B, et il nous a aidés à reconstruire un réseau. Aujourd’hui, nous comptons 70 revendeurs en France et un peu plus du double dans le monde. Nous sommes implantés au Japon, en Inde et à Singapour, notamment. Nous pouvons aussi nous appuyer sur nos boutiques en propre. Celle du Palais- Royal a été ouverte en 2015, soit deux ans après celle du Marais. Début mars, après plusieurs années de travaux, nous avons inauguré notre troisième point de vente, situé dans le quartier de Soho, à Londres, et sur lequel nous fondons beaucoup d’espoir. Nous voulons lancer une boutique par an. Les trois prochaines ouvriront au Japon, en Corée et aux Etats-Unis, à New York. Pour le moment, nous sommes encore la petite marque qui monte, qui monte. Mais à terme, j’aimerais devenir une sorte de « Daft Punk… pour les montres ».
→ www.march-lab.com
March LA.B en dates
• 2009 : Alain Marhic quitte Quiksilver.
• 2011 : sortie de la première March LA.B AM1.
• 2013 : vente stoppée. Départ professionnel de Biarritz. Choix du made in France. Ouverture de la boutique de la rue Charlot, à Paris.
• 2015 : ouverture de la boutique du Palais-Royal, à Paris.
• 2017 : lancement de la Seventy, vendue 250 €. Progression des ventes de 50 %.
• 2018 : 10 000 montres vendues (+ 50 %).
• 2019 : ouverture de la boutique de Soho, à Londres. L’équipe espère encore une croissance des ventes de 50 %.
Surf, hommage et nouveauté
« Cela faisait longtemps que mes amis me disaient : “Tu es surfeur, mais tu ne proposes pas de montres de surf” », explique Alain Marhic. Le manque est désormais comblé. L’an passé, le fondateur de March LA.B a lancé la Belza. Cette sportive authentique n’est pas une montre de pacotille. « Elle est destinée à accompagner ceux qui pratiquent la planche. C’est une pièce solide qui ne craint pas la mer. » Elle sert aussi de base à la Belza Omareef, modèle hommage que la marque a lancé cette année en souvenir de Pierre Agnès, l’ancien patron de Quiksilver et le créateur de la division technique Omareef. « C’est lui qui m’avait embauché. J’aimais beaucoup cet homme qui a disparu un beau matin, alors qu’il était parti en bateau pêcher le chipiron », se rappelle, ému, Alain Marhic. Les bénéfices tirés de la vente des 20 exemplaires iront aux sauveteurs en mer de Capbreton. Mais la vraie nouveauté, cette année, c’est la Mansart. Une charmante petite montre carrée, de 35 mm seulement, aux coins biseautés. Elle rend hommage à François Mansart, grand architecte français du XVIIe siècle. Très réussie et élégante, elle reprend les codes March LA.B : fond vitré vert bouteille et charte graphique néo-rétro.
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