The Good Business
Le leader du voyage entre la Suisse et la France a amorcé une montée en gamme spectaculaire dont le climax aura lieu en 2020. Fabien Soulet, ancien du groupe SNCF, est devenu le nouveau directeur général de TGV Lyria le 1er janvier dernier.
Gare de Lyon, Paris. Les costume-cravate et les skieurs amateurs, trahis par les marques de bronzage laissées par leurs lunettes, se partagent un quai du hall 1. Ils descendent tous d’un TGV Lyria, reconnaissable à sa livrée rouge et blanc et aux petites croix qui l’habillent. Une peau qui sera progressivement remplacée par une autre, plus dans l’air du temps, courant 2019. Un changement supplémentaire pour la firme franco-suisse.
Depuis un peu plus d’un an, on a assisté au lancement de la Business 1ère, à l’arrivée d’une grande signature pour sa gastronomie embarquée, Michel Roth, et, depuis le 1er janvier, à celle d’un nouveau directeur général. Fabien Soulet, fort de son expérience au sein du groupe SNCF, compte gâter sa clientèle affaires.
Rencontre The Good Life avec Fabien Soulet :
The Good Life : Vous venez de prendre vos fonctions à la tête de TGV Lyria. Quelle est votre feuille de route ?
Fabien Soulet : Elle est claire : amorcer une croissance forte de notre trafic entre la France et la Suisse et augmenter très nettement le nombre de nos passagers. Pour nous y aider, nous avons un projet majeur, qui verra le jour en 2020. D’abord, le lancement d’une nouvelle flotte de 15 rames à deux étages entièrement rénovées. Plus de services également, notamment la mise en place du wi-fi de bout en bout en Suisse et en France. Surtout, nous allons offrir une capacité supérieure de 30 % à celle que nous proposons aujourd’hui.
TGL : En quoi votre parcours à la SCNF vous sera-t-il utile pour porter ce projet à bien ?
F. S. : J’ai travaillé à la direction du marché affaires et déjà collaboré avec les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF). J’ai également participé au lancement, il y a trois ans, du TGV Paris – Bordeaux. J’y ai également vécu la différenciation en Ouigo et Inoui, avec l’idée que le train doit répondre aux besoins de tout le monde et qu’il est important de segmenter les offres. Tout cela va dans le sens du nouveau virage pris par TGV Lyria, qui a lancé, fin 2017, trois nouvelles classes : Standard, Standard 1ère et Business 1ère, sur laquelle nous misons beaucoup pour continuer de croître.
« Le train a quelque chose de magique »
TGL : Une classe qui a très bien fonctionné, dès son lancement…
F. S. : En effet ! On a compté 80 000 clients Business 1ère la première année. Elle est très vite devenue un pilier de notre stratégie de développement. Et cela devrait continuer avec les mesures que nous avons annoncées : le wi-fi, la rénovation des rames et l’augmentation de la capacité. Après tout, même si nous représentons déjà 50 % de parts de marché sur les trajets Paris – Genève, cela nous laisse 50 % à conquérir…
Données Clés
• Date de création : 1984, avec l’arrivée des premières lignes Paris – Lausanne.
• Partenariats entre deux entreprises publiques, la SNCF (74 %) et les CFF (26 %)
• Lancement de la Business 1ère : 10 décembre 2017.
• Nombre de rames : 21.
• Nombre de voyageurs en 2018 : 4,5 M.
• Trajet le plus fréquenté : Paris – Genève, jusqu’à 8 allers‑retours quotidiens en un peu plus de 3 heures (3 h 08).
• Nombre de gares desservies : 23.
• Une équipe multinationale basée en France, à Paris, et en Suisse, à Berne.
TGL : Justement, quels sont vos arguments face à la concurrence des moyen-courriers et de la voiture individuelle ?
F. S. : Le train a quelque chose de magique, car c’est un paradoxe. La plupart de nos clients vont décrire leur voyage comme un moment pour eux, un temps libre, qu’ils se réapproprient pour travailler, se reposer, lire… Tout en allant à très grande vitesse. C’est se donner le temps tout en allant vite. Cela fait du train un mode de transport très attrayant. A nous de savoir mettre en valeur ce confort de trajet pour contrer le stress que l’avion ou la voiture peuvent engendrer. Surtout, c’est le mode de transport le plus écologique. Les Suisses sont traditionnellement très sensibles à ce critère et les Français s’en préoccupent de plus en plus. Un train entre Genève et Paris rejette 22 fois moins de CO2 qu’un avion sur le même trajet [étude Carbone 4, 2017, NDLR].
« En Suisse, on aura autant de gens qui voudront de la rapidité et du prix que de passagers qui veulent du service et sont prêts à le payer »
TGL : Quels sont les défis particuliers qu’il faut relever lorsqu’on travaille entre deux pays ?
F. S. : De fait, il s’agit de destinations de loisir dans les deux sens… même pour nos clients affaires ! Se rendre à un rendez-vous professionnel en Suisse ou à Paris invite forcément au voyage. Depuis Paris, on ne va pas à Zurich comme à Lyon, Lille ou Le Mans… Cette notion de plaisir, de découverte est beaucoup plus forte. Commercialement aussi, c’est assez différent de ce que j’ai pu connaître en France avec le groupe SNCF. Entre nous, on dit souvent qu’on couvre trois marchés : la France, la Suisse romande et la Suisse alémanique. Avec des attentes différentes. Ainsi, nous devons avoir une approche plus diverse et plus riche, lorsqu’on communique.
TGL : En quoi le marché helvète est-il différent du marché français ?
F. S. : En Suisse, on aura autant de gens qui voudront de la rapidité et du prix – la même clientèle qu’Easyjet, par exemple, qu’on touche avec des tarifs à partir de 29 euros –, que de passagers qui veulent du service et sont prêts à le payer – nos clients Business 1ère. Ces deux marchés sont plus équilibrés qu’en France.
TGL : Des clients premium que vous séduisez avec des services inspirés de l’aérien…
F. S. : Je préfère dire qu’on s’inspire surtout de leurs besoins. La restauration chaude, servie à l’assiette, signée par Michel Roth, est un atout. Tout comme notre service complet avec collation, serviettes chaudes, boisson d’accueil, un personnel dédié… Bien sûr, ce sont des prestations similaires à celles qui sont offertes en business-class sur de long-courriers, mais elles sont très supérieures à nos concurrents directs que sont les vols moyen-courriers. Et ce même au niveau du prix, avec un tarif unique de 200 euros. C’est bien inférieur à l’avion en classe affaires et cela permet, en outre, de changer son billet plus aisément.
« Les gens malins prennent le train »
Voilà un slogan qui a longtemps été utilisé par les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) et qui en dit long sur l’amour des Helvètes pour le train. La dernière étude Eurostat place la Suisse (très largement) en tête du classement des consommateurs de transport ferroviaire en Europe. Le dernier rapport en date, publié fin 2018, fait état de 72 voyages en train par an et par personne. A titre de comparaison, le deuxième du classement, le Luxembourg, plafonne à 38 liaisons par Luxembourgeois par an.
En outre, chaque Suisse parcourt chaque année quelque 2 463 km en train, 1 000 km de plus que les médaillés d’argent autrichiens. Des chiffres qui ne font qu’augmenter. En 2015, ils n’utilisaient le train que 59 fois par an, 47 en 2007. Le tout rendu possible grâce à un réseau extrêmement dense, long de plus de 5 000 km et qui dessert 804 gares, que se partagent quatre acteurs majeurs : les CFF, le Chemin de fer du Lötschberg, les Chemins de fer rhétiques et la Matterhorn‑Gotthard Bahn.
Cette année, le Parlement devrait se prononcer sur un projet qui prévoit un investissement de 11,9 Mds CHF (10,5 Mds €) pour l’amélioration des infrastructures ferroviaires d’ici à 2035. Si les élus le décident, et comme cela arrive souvent en Suisse, un référendum pourrait être organisé afin de savoir si le peuple approuve, ou non, cet investissement.
« Nous allons aussi investir 8 millions d’euros sur nos fonds propres pour l’installation du wi‑fi »
TGL : Les liaisons internationales semblent au cœur de vos priorités… Comment allez-vous les renforcer ?
F. S. : En 2020 nous allons augmenter le nombre de dessertes quotidiennes entre Paris et la Suisse. On aura alors huit trajets par jour entre Paris et Genève, contre six aujourd’hui, et six au lieu de quatre entre Paris et Zurich et Paris et Lausanne. Forcément, cela implique des changements d’horaires…
TGL : Aussi, certains de vos clients qui utilisent vos services pour relier leur région, le plus souvent en Bourgogne-Franche-Comté, craignent la disparition de leur desserte. Que faites-vous pour les rassurer ?
F. S. : D’abord, nous avons choisi d’investir dans la rénovation de nos rames sur l’intégralité de nos lignes, pas seulement sur les deux plus rentables, entre Paris et Zurich et Paris et Genève. Ensuite, l’augmentation de 30 % de la capacité de nos trains profitera à l’ensemble de nos voyageurs : les rames duplex pourront accueillir 507 passagers contre 350 aujourd’hui. Nous allons aussi investir 8 millions d’euros sur nos fonds propres pour l’installation du wi‑fi dans nos trains. Mais pour cela, il faudra mettre en place la 4G tout le long du réseau !
Les premiers bénéficiaires seront les habitants de la région Bourgogne-Franche-Comté, notamment, où l’on compte beaucoup de zones blanches. Enfin, nous dialoguons en permanence avec les représentants de ces territoires pour expliquer comment ces dessertes s’ajustent et ce que cela change pour les points d’arrêt dans la région.
TGL : Pourtant, TGV Lyria n’est pas un service public…
F. S. : Non. Notre mission première est de transporter des gens entre la France et la Suisse, et inversement. TGV Lyria est une entreprise de voyage international et le TGV en général n’est pas un service public. Mais traverser ces territoires nous permet d’offrir à leurs populations un complément à une desserte qui existe déjà.
TGL : Enfin, la nouvelle livrée est très inspirée du drapeau suisse… Et la francité dans tout ça ?
F. S. : Les couleurs sont suisses, mais le TGV est français. C’est déjà pas mal ! [Rires.]
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